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Publié le 20/10/2021, mis à jour le 28/06/2023
Sujets d'actualité
Lever les tabous autour de l’erreur chirurgicale
Les droits et devoirs du chirurgien selon le Professeur Vibert
Au fil des témoignages de patients et de soignants sur notre système de santé, il est apparu qu’une révolution médicale est nécessaire. Et celle-ci se situe avant tout au niveau des mentalités.
La relation au soin, par exemple, se doit d’être plus horizontale et plus humaine entre le soignant et le patient. Non par souci démocratique, mais parce que l’état d’esprit serein et battant du patient joue un rôle déterminant dans sa guérison. Or, cet état d’esprit idéal repose en grande partie sur une bonne relation avec son médecin.
Si cette relation au soin est un aspect important de la révolution médicale, elle n’est pas la seule. Au niveau des chirurgiens, une autre relation se doit d’évoluer : la relation à l’erreur.
Aujourd’hui, cette relation n’existe pas, parce que l’erreur chirurgicale n’existe pas elle-même. Quand un chirurgien commet une erreur, il rectifie, quand il le peut, ce qui doit l’être mais n’en dit mot à personne. Ou presque.
Pour la recherche, l’enseignement et l’apprentissage, ce comportement est aussi surprenant que pénalisant. Car sans la possibilité de faire des erreurs, il est impossible d’apprendre et d’innover. Et surtout il est plus que possible de voir cette erreur se répéter.
Dans un ouvrage édifiant « Droit à l’erreur, devoir de transparence » (L’Observatoire, 2021), Eric Vibert, professeur de chirurgie digestive, spécialiste des maladies du foie et des voies biliaires à l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, explique les raisons de cette mise au ban de l’erreur.
Pourquoi l’erreur chirurgicale est-elle taboue ?
Un système hospitalo-universitaire à double tranchant
Le système hospitalo-universitaire est souvent qualifié de système de mandarinat. Un système où les membres d’une élite sont choisis en fonction des diplômes, des titres et de l’ancienneté. Cette élite gouverne tout le monde et toutes choses.
Une comparaison plutôt juste puisque tous les pouvoirs au sein de l’hôpital sont concentrés entre les mains de l’élite du corps médical : les chefs de service qui sont aussi de grands chirurgiens et professeurs reconnus.
Ces pleins pouvoirs s’exercent bien-sûr dans le bloc opératoire, où tous les autres intervenants (internes, aides, infirmiers etc.) sont relayés au rang d’observateurs et de subalternes au service du grand professeur. Personne à part ce dernier ne tient le bistouri.
Ces pleins pouvoirs s’étendent également jusqu’à l’organisation et la structure de l’hôpital. Si un chef de service veut ouvrir tel département de santé, promouvoir ou freiner la carrière d’un plus jeune confrère, il le peut.
Toutefois, il y a une contrepartie. A la moindre erreur, le mandarin perd ses pouvoirs, sa réputation est ruinée, sa carrière finie. Sans compter les potentielles galères financières et juridiques si l’hôpital et les patients décident de porter plainte.
Dans ces conditions, on comprend aisément qu’admettre, partager et analyser une erreur ne soit pas possible, il y a beaucoup trop de risques.
Dans la tête du chirurgien-mandarin
Pourquoi souhaite-t-on devenir médecin ou chirurgien ? Parce que l’on souhaite sauver des vies. Mais il y a aussi des motivations moins avouables, bien que compréhensives, dont le désir de réussite et de reconnaissance professionnelle et sociale. Des désirs largement portés et entretenus par notre société et que beaucoup de chirurgiens nourrissent.
Néanmoins, si ces désirs ne sont pas conscients, s’ils ne sont pas observés et reconnus, ils aboutissent à nourrir le feu de l’ego. Ce qui est problématique, car dès lors que l’ego est aux commandes, l’humilité et la remise en question sont difficiles à atteindre.
Commettre une erreur est jugée impossible, et si un problème survient au bloc opératoire, la faute retombe sur les épaules d’un autre ou du système qui manque de moyens matériels.
Enfin, en voulant préserver la bonne santé de son ego, le chirurgien-mandarin néglige celle de son patient. Comme nous le verrons plus loin, céder aux sirènes de l’ego accroît les risques d’erreur dans le bloc opératoire.
Alors comment changer les mentalités et accorder à l’erreur sa légitimité ?
Car au fond, l’erreur est bien légitime. Il y a bien sûr des erreurs plus terribles et mortelles que les autres, mais ce n’est pas en niant leurs existences qu’elles se feront moins nombreuses. C’est même tout le contraire.
Le professeur Vibert propose des solutions très concrètes, qui impliquent de nouveaux modes de faire et surtout d’innovants savoir-être.
Quelles solutions pour briser l’omerta ?
Des nouveaux modes de faire
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Mieux protéger les chirurgiens
Mieux protéger les chirurgiens, c’est leur donner le droit de commettre une erreur sans que leur carrière ou leur vie soit ruinée.
Ce point est capital et le plus évident. Un enfant qui se fait battre à la moindre bêtise ou mauvaise note cachera tout à ses parents. Un enfant qui est autorisé à faillir sera naturellement plus enclin à tout dire et mieux faire. Même si nos grands pontes ne sont plus des enfants, le processus psychologique reste le même.
En fait, si le système doit « condamner » un chirurgien, c’est parce qu’il aura commis une faute. L’erreur est la conséquence d’un manque de concentration, d’une prise de risque, d’une mauvaise manipulation ou d’une mauvaise lecture de la situation. En tout cas, elle n’est jamais voulue. Contrairement à la faute, qui est un acte volontaire.
Ainsi, commettre une erreur ne devrait jamais être lourdement sanctionné. En revanche, cacher une erreur devrait l’être, parce que c’est une faute.
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Rendre accessibles toutes les informations
Le second changement est de rendre accessibles toutes les informations et données issues d’opérations chirurgicales pour les commenter et analyser. Le but n’étant pas de « fliquer » les chirurgiens mais de repérer les erreurs, de les comprendre et les analyser pour ne plus les reproduire.
C’est par ailleurs dépénalisant pour les étudiants.
Aujourd’hui, tous les films d’opérations en bloc opératoire (qui durent des heures) sont découpés de façon à devenir des exemples d’opérations parfaitement menées en 20min. Ces films sont destinés aux élèves-chirurgiens qui apprennent à recopier une opération parfaitement menée.
Aucun support n’existe pour montrer quelles sont les erreurs courantes pouvant advenir durant une opération. Ce qui, du point de vue pédagogique, est une aberration totale.
Des innovants savoir-être
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Passer de l’équipage à l’équipe
Comme mentionné plus haut, le système hospitalo-universitaire est très pyramidal, et au sein du bloc opératoire, le chirurgien est seigneur et maître.
Selon le professeur Vibert, ce système « à l’ancienne » a fait son temps. Il suggère que la chirurgie soit pensée et reconnue comme un travail d’équipe, et non plus individuel.
Il s’agit pour cela d’instaurer un environnement sain et confiant pour créer un réel collectif.
Comment ? En donnant davantage de responsabilité aux internes et aides pendant les opérations chirurgicales. Aujourd’hui, des solutions technologiques existent et permettent de réaliser certains gestes chirurgicaux jusqu’alors réservés aux seuls experts.
Ce changement permettrait ainsi de calmer les egos et de mieux partager les responsabilités, ainsi que les erreurs et les succès.
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Mieux se connaître
Nous en arrivons au dernier point qui serait d’apporter des notions de sciences cognitives dans la formation des chirurgiens.
Ces cours permettraient d’anticiper les erreurs issues des biais cognitifs, c’est-à-dire des schémas de pensées erronés.
Par exemple, un biais cognitif courant étant « l’effet de tunnel », qui consiste à suivre une stratégie qui fait sens mais décidée sur une mauvaise lecture du problème. Obnubilé par la stratégie adoptée, on ne se rend pas compte qu’on va droit à l’erreur.
Ces biais cognitifs confirment la nécessité qu’au sein du bloc opératoire, le chirurgien ne doit pas être seul responsable. Et il est de la responsabilité d’un interne ou de quiconque d’oser lui dire de s’arrêter et de passer la main.
Bienveillance et collectif
Au fond, ce à quoi le professeur Vibert invite, est d’intégrer au sein de l’hôpital davantage de bienveillance et d’esprit collectif.
Des notions, que beaucoup voient comment des leurres ou effets de mode venus des entreprises.
Appliqués avec sérieux, ce sont pourtant des modes de faire réalistes et porteurs d’excellence, car favorisant l’essor de la créativité et du progrès.
Ils favorisent également, et ce n’est pas un moindre mal, des qualités d’être qu’il est urgent de voir chez tous ceux qui occupent un poste de responsabilité : l’humilité et le sens des responsabilités.
A ce titre, le professeur Vibert, en dénonçant l’individualisme nuisible au sein du monde médical alors que sa carrière est loin d’être terminée, est un exemple.
Source : Pr Eric Vibert, Droit à l’erreur, devoir de transparence, éditions de l’Observatoire, 2021
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Publié le 20/10/2021, mis à jour le 28/06/2023