Être une femme, c’est vivre avec de nombreux tabous autour du corps et de sa sexualité.
Très vite après avoir compris que les bébés ne naissent pas dans les roses, la petite fille est confrontée à ses règles qui la mettent face à des questions sociétales sensibles.
Des questions qui restent souvent sans réponses, à tel point qu’aujourd’hui une adolescente sur quatre ignore qu’elle a un clitoris.
Certes, le féminisme fait évoluer les choses, la parole se libère et les connaissances se partagent. Le clitoris est redécouvert, et depuis peu, correctement représenté dans les manuels scolaires. Tout comme l’endométriose n’est plus une maladie ignorée.
Il reste cependant de nombreuses sources d’angoisse et d’idées reçues. Ainsi, beaucoup pensent que le papillomavirus s’attrape dans les piscines, ou que les hormones prescrites pour mieux-vivre la ménopause donnent le cancer.
Anne de Kervasdoué, médecin gynécologue et auteure de nombreux ouvrages dont le plus récent « La vie intime des femmes » (Odile Jacob, 2021), lève le voile sur certains de ces préjugés et tabous.
Des ignorances sur le papillomavirus et la ménopause
Le papillomavirus
A partir de quel âge doit-on consulter un gynécologue ?
AdK : Dès qu’on a une certaine maturité sexuelle. Il ne faut pas aller voir un gynécologue sans motivation sérieuse, une maman peut répondre à certaines questions. Quand je reçois une jeune fille, je ne fais pas d’examen, je pose beaucoup de questions et j’essaie de l’informer sur ce qu’elle doit savoir sur les précautions contraceptives. La première étant le préservatif pour la protéger d’une grossesse et d’une MST.
Dans votre livre, vous dites que les maladies sexuellement transmissibles peuvent être évitées, mais qu’en même temps il y a 80% de risques de rencontrer un de ces virus.
AdK : il y a 80 % de risque d’avoir le papillomavirus, mais pas les autres. Le papillomavirus est quelque chose d’invisible, qui ne se dépiste qu’avec le frottis, contrairement au gonocoque, où on se retrouve avec des douleurs et des pertes.
Quels sont les moyens pour pouvoir prévenir ce genre d’infection ?
AdK : Le premier des moyens est le vaccin, or en France nous sommes très en retard. Ce qui est hallucinant, puisqu’aujourd’hui c’est le seul moyen d’éviter le cancer de l’utérus. En Nouvelle-Zélande et en Angleterre, où les enfants sont vaccinés systématiquement, on voit ce cancer disparaître.
Quelles sont les recommandations vaccinales pour le papillomavirus ?
AdK : Idéalement il faut se faire vacciner entre 10 et 14 ans, car l’immunité étant plus forte, la jeune fille a seulement besoin de 2 vaccins, et non de 3. La vaccination concerne aussi les garçons, puisque les hommes sont aussi porteurs du virus.
Quels sont les risques pour les hommes ?
AdK : Ils peuvent contaminer les femmes auxquelles ils tiennent, et se contaminer eux-mêmes lors de rapports oraux buccaux, et développer un cancer de la gorge.
La ménopause
Qu’est-ce que la ménopause précoce et tardive ?
AdK : La ménopause tardive débute après 55 ans. La ménopause précoce débute avant 45 ans, ce qui est préoccupant car on s’expose à des risques cardiovasculaires. Il est utile de se renseigner auprès de sa mère, car on a souvent une ménopause au même âge qu’elle.
A partir de quel âge doit-on s’inquiéter de la ménopause ?
AdK : Il ne faut pas s’inquiéter de la ménopause, mais s’y préparer. C’est une étape naturelle sans être forcément agréable. On peut grossir sans raison, avoir des douleurs dans les seins, des rétentions urinaires, des troubles de l’humeur, etc. Des moyens gynécologiques existent pour traverser cette période, et pas forcément avec des hormones.
Quelles sont les différences entre les hormones de la pilule et celles de la ménopause ?
AdK : Les deux hormones sont des œstrogènes, sauf que :
pour la pilule, c’est de l’éthynylestradiol, un œstrogène de synthèse.
pour la ménopause, c’est de l’estradiol, une hormone naturelle, qui est le clone de l’estrogène lorsque les ovaires fonctionnaient.
Combien de temps dure ce traitement hormonal ?
AdK : Il y a des recommandations de 5-6 ans, mais au fond c’est très variable. Mes patientes peuvent le prendre pendant 10-15 ans. Si les seins et l’utérus vont bien, on ne se fait que du bien à continuer le traitement.
Quelles sont les observations scientifiques qui ont été publiées sur les personnes qui sont en ménopause et sous traitement ?
AdK : C’est un long sujet. Néanmoins énormément d’études ont démontré qu’avec le traitement hormonal, les femmes gagnent en qualité de vie et en longévité. Le traitement régule l’humeur, fait disparaître les bouffées de chaleur en 15 jours, améliore la santé des os et protège de cancers du côlon et digestifs.
Des non-dits sur le désir et l’incontinence urinaire
La baisse de libido
L’absence ou la perte prolongée de désir est l’un des premiers motifs de consultations chez les sexologues et les gynécologues. Qu’est-ce qui contrarie le désir ?
AdK : Avant, les femmes étaient obsédées par la différence de qualité entre l’orgasme clitoridien et vaginal, alors qu’il n’y en a aucune. Depuis une dizaine d’années, les femmes se plaignent toutes de leur libido, même les jeunes. Elles accusent la pilule, mais même celles qui ne la prennent pas rencontrent des problèmes de libido.
Les causes de baisse du désir sont multiples :
Manque de communication, routine sexuelle qui éloignent la perspective du plaisir. Contrairement à un homme, le plaisir de la femme n’est pas automatique. Et cela, même dans un couple qui s’aime, ce qui est sujet de désarroi : « je l’aime mais je n’ai plus de désir. »
La diminution du taux des œstrogènes au moment de la ménopause ou après l’accouchement pendant plusieurs mois, surtout si la femme allaite.
Au fond, c’est à l’homme de créer le désir chez la femme, et peut être à elle-même de travailler son désir. Le désir n’est automatique qu’au début de la relation amoureuse. Après 2-3 ans, il devient mental.
Vous écrivez : « Les femmes semblent avoir gagné en savoir, mais perdu en sérénité ». Pourquoi ?
AdK : Je suis constamment interpellée par des femmes qui reçoivent une foule d’informations. Certaines sont intéressantes et utiles, mais d’autres sont dangereuses parce que contradictoires ou fausses. Je vois des femmes enceintes dans des états d’angoisse qu’on ne connaissait pas il y a 30 ans. Terrifiées, elles sont incapables de faire appel à leur bon sens. Il leur manque les bases de la physiologie féminine. C’est pour cette raison que j’ai écrit ce livre, afin qu’il serve de guide.
« Les femmes semblent avoir gagné en savoir, mais perdu en sérénité »
L’incontinence urinaire
En France, plus de 3 millions de personnes souffrent d’incontinence urinaire. Vous dites à ce sujet que « 10% des femmes avant 20 ans souffrent de problème de périnée, et 30% après un accouchement. Ces chiffres peuvent être en plus bien en dessous de la réalité. »
AdK : Totalement en dessous parce que beaucoup de femmes n’osent pas en parler à leur médecin. Il y a deux types d’incontinence urinaire :
L’incontinence urinaire d’effort, qui se manifeste quand vous toussez, éternuez, courrez. Beaucoup de joggeuses sont incontinentes, parce que cette activité n’est pas terrible pour le périnée.
L’incontinence d’impériosité qui suit une très grosse envie d’uriner que vous n’arrivez pas à contrôler.
Beaucoup d’incontinences sont mixtes, c’est à dire qu’on a un peu des deux.
Quelles sont les solutions pour prévenir ou guérir ?
AdK : Pour l’incontinence d’effort :
Faire un bilan urodynamique pour repérer quels sont les sphincters concernés. Puis faire une rééducation périnéale pour muscler les muscles du périnée.
Pauser une bandelette urétrale pour remplacer le sphincter déficient. Cette solution a soulevé beaucoup de polémique, parce qu’il y a des femmes qui n’ont pas supporté telle ou telle bandelette. Un bon urologue doit savoir choisir la bonne bandelette qui vous convient.
Pour l’incontinence par impériosité :
Des médicaments marchent très bien : les anticholinergiques.
Une éducation mentale afin de ne pas attendre trop longtemps avant d’uriner. Il s’agit de se fixer des heures pour que cela ne soit ni tout le temps, ni trop peu.
Des appareils permettant de stimuler les muscles du périnée en restant chez soi.
L’utilisation de Pelvi tonic, qui ressemble à une boule de geisha avec un embout en caoutchouc que l’on porte 20-30 minutes par jour.
Parcours et réflexions d’Anne de Kervasdoué
De la psychologie à la gynécologie
Comment êtes-vous devenue gynécologue ?
AdK : Au départ, j’étais passionnée par la psychologie, j’ai donc fait un doctorat de psychologie. Puis, je suis partie 3 ans aux Etats-Unis, où j’ai enseigné le Français. Quand je suis revenue, j’étais très insatisfaite des cours que je suivais, et je me suis rendue compte qu’au fond ce que je voulais, c’était être médecin. Soutenue par mon mari, je me suis inscrite à la fac de médecine à 26 ans et avec 2 enfants.
Pourquoi avoir choisi la gynécologie ?
AdK : Parce que c’est ce qui est tabou, et touche ce qui est au fond de la femme : la jeune fille avec ses interrogations, la sexualité, la maternité, le rapport amoureux, le couple.
La gynécologie est une sorte de psychologie appliquée parce que vous êtes en situation d’observation, de conseil et de guide permanent.
Quelle est la rencontre qui a changé votre vie ou fait évoluer votre pratique ?
AdK : Je suis très reconnaissante à l’égard de celui qui est mon mari depuis plus de 50 ans. Il m’a toujours accompagné et soutenu dans mes choix, que tous n’auraient pas acceptés. Pour me permettre d’étudier, il faisait beaucoup de choses à la maison pour me soulager.
Le Vrai, le Bien et le Beau
En quoi croyez-vous ? Qu’est-ce qui vous inspire ou vous émeut ?
AdK : Je suis quelqu’un de très sensible, donc tout m’émeut : la musique, l’ambiance, la peinture, la photo et les personnes sensibles, parce que je ressens ce qu’elles ressentent. Je suis plus troublée par les personnes qui ne laissent rien apparaître.
Qu’est qui vous indigne ?
AdK : Beaucoup de choses, dont celle de propager de fausses informations avec tout le mal qui en ressort.
Qu’est-ce qui vous fait du bien ?
AdK : J’aime l’harmonie, voir et écouter de belles choses, ressentir de bonnes ambiances et m’entourer de personnes positives. Je trouve que la vie passe suffisamment vite pour ne pas perdre de temps à se faire du souci avec des gens qui vous font du mal.
Quel mantra ou phrase vous fait du bien ?
AdK : « Tu vas voir, tout va bien se passer », mais seulement si c’est dit sur un ton sûr, confiant, et non de façon mécanique.
Article rédigé à partir des propos d’Anne de Kervasdoué recueillis par Amal Dadolle
La vie intime des femmes d'Anne de Kervasdoué aux éditions Odile Jacob
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