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Publié le 21/11/2018, mis à jour le 03/10/2023
Choses à savoir culture générale
Claire Morgan, l’artiste qui met en scène le vivant
Fragments de réel // Une mise en scène du vivant
La vie commence vraiment au moment de la séparation du corps de la mère avec celui de son enfant. Bien que traumatisante, cette naissance nous permet pourtant de faire enfin l’expérience du monde et de l’autre. Le chemin de vie que chacun décide d’emprunter se heurte tantôt au rejet, tantôt à la rencontre. Celle-ci, comme le disait Baudelaire, peut se matérialiser en une fugitive beauté dont le regard nous fait soudainement renaître. C’est à cet endroit que je voudrais vous amener aujourd’hui puisque cette beauté s’est incarnée pour moi dans les œuvres si particulières de la plasticienne Claire Morgan. Ses suspensions organiques aériennes semblent avoir été figées dans le temps. Ici, l’art est là pour nous montrer une vérité. C’est un peu comme si vous faisiez un arrêt sur image pour observer avec attention ce qui était réellement en train de se jouer sous vos yeux. En scrutant l’œuvre de Claire Morgan, d’aucun diront qu’elle est le symbole de la disparition du vivant, d’autres parleront de vanité et parfois même de poésie subtile…
Née en 1980, la plasticienne d’origine irlandaise est parmi les plus recherchés et talentueux artistes de la scène internationale.
« Le travail de Claire Morgan explore l’ambivalence de l’être humain dans son rapport avec la nature qui l’entoure. La réflexion autour de la présence de l’homme dans le monde, qui a comme conséquence la progressive destruction de l’environnement naturel, est objectivée par l’artiste dans ses installations, où les animaux taxidermisés semblent s’adapter à un monde de gaspillage consumériste qui tente de les engloutir. Dans la suspension temporelle qui caractérise ces sculptures aériennes, où les corps sont figés dans un mouvement perpétuel, le conflit se joue entre la vie et la mort, entre l’organique et l’artificiel. »
Elle est représentée par la galerie Franco-allemande Karsten Greve.
« Etre un naufragé, c’est être un point au milieu d’un cercle, perpétuellement (…) Quand vous élevez le regard, vous vous demandez parfois (…) s’il n’y aurait pas quelqu’un d’exactement comme vous qui élève lui aussi le regard, lui aussi coincé dans cette géométrie, lui aussi en train de lutter contre la peur, la rage, la folie, la désespérance et l’apathie » Yann Martel, L’histoire de Pi (Perpetually at the Centre Claire Morgan)
- Parlez nous de votre processus de création ? Avez-vous dès vos débuts d’artiste utilisé la technique de la taxidermie ?
- CM : C’est le résultat d’une évolution dans ma pratique je suppose, bien que j’ai toujours utilisé des matières « dites » organiques dans mon travail. Je me suis toujours intéressée aux éléments constitutifs de la nature, au changement qu’elle provoque et donc au passage du temps. Initialement, la taxidermie m’était répugnante mais plus je prenais conscience de ce qu’il se passait dans le monde (conflits), plus je souhaitais que mes œuvres ne soient pas simplement « jolies à regarder ». J’avais envie de confronter le regardeur à sa condition d’Homme. J’ai alors commencé à créer des installations en hauteur qu’il fallait regarder en levant la tête. L’utilisation de la taxidermie a été motivée par la signification de son matériel : un corps mort. Exposer l’organique est un moyen d’atteindre la fin, de montrer le temps qui passe et de nous renvoyer à un état de nous- même.
- Peut-on qualifier vos œuvres de vanité rappelant ainsi le fameux adage « memento mori » ? (Souviens-toi que tu es mortel)
- CM : Oui, on peut en effet parler de vanité mais pas au sens traditionnel du terme. Il est question du passage du temps, de la vie et de la mort alors oui j’imagine que l’on peut évoquer la vanité. Dans mes œuvres, la présence humaine n’est pas de mise quoi que l’on puisse l’identifier peut être par la présence du plastique.
- Pourrait-on dire que vous avez un discours écologique ?
- CM : Oui définitivement, étant donné que les animaux que j’utilise dans mes installations sont tous le fruit de la nature… Ce qui me fait peur, c’est que le temps passe et que nous sommes dans l’incapacité de revenir en arrière. La manière dont se comportent les hommes envers les autres, envers les autres animaux et la planète me laisse perplexe.
Il y a une grande déconnection entre ce que nous pensons être important de nos jours et ce qui l’est réellement. Notre comportement a un impact évident sur le reste de la planète. Certaines personnes n’ont pas ce genre de préoccupations et pourtant nous sommes tous des êtres vivants partageant la même maison ! En détruisant ce qui nous entoure, nous nous détruisons nous-même alors même que dans une perspective égoïste, nous devrions nous préoccuper de cela.
Pourtant, ce n’est pas le cas et cela me terrifie de constater que certains ne veulent pas voir la nature changer. Que l’on s’entende, c’est plus facile à dire qu’à faire… Je fais de mon mieux à mon échelle néanmoins en vivant dans notre société d’ultra consommation comme tu le fais et comme je le fais nous nous rendons forcément complices de la destruction de la terre.
- Comment peut-on apprécier la mort, elle qui est à tout prix cachée dans notre société ? Comment le public réagit-il ?
- CM : Certains viennent vers moi et me disent : “c’est beau mais pourquoi a-t-il fallu que tu inclues des animaux morts ? ». Ils manquent toutefois l’essentiel puisque si l’on convoque l’état de nature, l’être vivant, il est lui-même indissociable du processus de mort. La beauté que l’on perçoit est liée à un moment précis du cycle de la vie. Si elle a pu se montrer, elle devra peu à peu disparaître pour faire place à une autre étape. Je veux montrer différents états du même spectre.
- Les titres donnés à vos pièces m’ont interpellée. Ils évoquent le morbide (Time of death, Time to die), la poésie (Will You still love me tomorrow) et même la fantaisie (Fanstastic Mr Fox). Pourquoi ces choix, aviez-vous l’envie de raconter une nouvelle histoire pour chaque animal que vous exposiez ?
- CM : Pour reprendre les titres positifs, ils sont teintés d’une pointe d’ironie et de sarcasme. Par exemple « Fantastique monsieur renard » est tiré d’un livre célèbre. Bien souvent, il faut aussi garder en tête que le titre n’a pas de lien direct avec le sujet. Les animaux utilisés dans mes œuvres représentent surtout une présence organique et un état d’esprit plutôt qu’un personnage narratif. Je suppose également que beaucoup de mes œuvres sont autobiographiques. Chacune est liée à ce qu’il se passe dans ma vie et ce qu’il se passe dans le monde. J’ai voulu montrer cette violence qui existe dans le monde entre les hommes et la nature.
- Par pure curiosité, comment trouvez-vous ces animaux que vous utilisez dans la taxidermie ?
*Elle est l’une des rares artistes d’art contemporain à empailler elle-même ses animaux. - CM : La plupart des animaux que j’ai en ma possession étaient déjà morts. Souvent, ils ont été trouvés et ramassés. C’est le cas par exemple des petits oiseaux qui s’écrasent contre les fenêtres ou des animaux qui se laissent mourir dans la nature. Il faut savoir que beaucoup de gens savent ce que je fais et viennent me rapporter les corps d’animaux qu’ils ont trouvés.
Ces animaux partagent une partie de votre vie… Est-ce difficile pour vous lorsque vous devez les donner « au bon soin de la galerie » ?
CM : Oui parfois, mais vous savez, si je veux être réaliste, certaines de mes pièces sont trop grosses pour être installées chez moi. La plupart du temps, c’est même assez excitant de voir mes installations à la galerie ! C’est en fait la première fois que je peux les voir dans leurs aspects finis, exposées dans un bel espace lumineux. Ce qui est assez triste en revanche, c’est que je n’ai pas le temps de m’assoir en face d’elles et les regarder (vraiment) dans ce nouvel espace. D’un autre côté, je suis heureuse lorsque l’œuvre trouve un « propriétaire » car je sais qu’elle sera regardée et choyée. Ces œuvres, ces animaux, qu’ils soient couchés sur du papier ou disposés dans un espace 3D, sont en réalité à chaque fois le résultat de questionnements intérieurs. Aussi, lorsqu’une de mes pièces est finie, je passe alors à un nouveau questionnement.
- Enfin, Claire, pouvez-vous nous faire part de vos influences artistiques ?
- CM : Je m’inspire autant de la prose que de la musique et de l’art visuel. J’adore par exemple l’écrivain David Foster Wallace. Son œuvre a nourri la mienne à bien des égards. Les phrases et descriptions que je lis induisent souvent des idées pour mes nouvelles pièces. La musique joue également un rôle assez important pour mes dessins les plus récents (plus abstraits, spontannés). J’en ai besoin pour ressentir ce lien avec l’animal et le moment présent. J’ai écouté entre autre Vulnicura de Bjork, Tarot Sport du groupe Fuck Buttons , Aphex Twin (J’adore sa musique), Persona de Rival Consoles et The Digging Remedy du groupe Plaid. En ce qui concerne les arts visuels, j’ai toujours été fascinée par le mouvement minimaliste (Hesse, Accession II, Judd’s stacks), l’Arte Povera (Les arbres de Penone) ainsi que par l’expressionnisme abstrait (Mitchell, Twombly). Enfin j’adore les peintures de Bacon et les machines de Rebecca Horn.
Expositions de Claire Morgan
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Audubon, Then and Now au Biggs Museum of American Art à Dover (USA) du 3 octobre au 25 novembre 2018
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Losses chez Deyrolle à Paris (France) du 30 novembre au 26 janvier 2019
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Beyond Borders à la Villa Empain- Fondation Boghossian à Bruxelles (Belgique) du 6 septembre au 12 février 2019.
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Plenty More Fish in the Sea au Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie à Angers (France) depuis le 10 juin 2016.
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Elise Roche
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Publié le 21/11/2018, mis à jour le 03/10/2023