L’égalité homme-femme n’est pas acquise, mais elle semble être en très bonne voie. Les consciences sont plus que prêtes et aucun discours politique ou public n’irait prétendre vouloir l’inverse. Et pourtant, selon la sociologue Pauline Delage, tout n’est pas gagné, loin s’en faut. Elle a soulevé quelques points qui mènent tous à un constat : les droits des femmes sont isolés des autres enjeux sociaux-économiques et politiques. Explications.
Les droits des femmes pâtissent des restrictions budgétaires
« Le développement de l’action de l’Etat en faveur des droits des femmes intervient dans une période néolibérale, marquée par les transformations étatiques que l’on qualifie souvent de « désengagement », conduisant à la « casse » de l’Etat social ».
Le droit à l’avortement empêché
C’est mathématique, l’affaiblissement des subventions de l’Etat entraine la fermeture d’infrastructures, réduisant de fait l’accès aux soins. Dans ce contexte qui ne concerne pas que les femmes, Pauline Delage soulève néanmoins un cas intéressant, celui de l’IVG. L’IVG, droit chèrement acquis pâtit de ces coupes budgétaires. En 2014, le personnel du Planning Familial de Marseille a fermé ses portes pendant deux semaines pour protester contre le manque de moyens financiers, les subventions du conseil départemental ayant diminué.
En 2016, le conseil régional d’Ile de France, tout comme celui de Rhône-Alpes, vote la suppression du pass’contraception. Un dispositif d’accès gratuit et anonyme aux contraceptifs et tests de dépistage destiné aux jeunes. Ces fermetures ne sont pas sans conséquences. Comment toutes les femmes peuvent-elles accéder à l’IVG dans un contexte où les services hospitaliers publics ferment les portes ?
Les dérives de l’usine-hôpital
Globalement, les hôpitaux du service public entrent de plus en plus dans une logique d’entreprise et donc de rendement. Dans leur cas, cela va concerner la durée optimisée du séjour des nourrissons et des mères en maternité ou le nombre de lits. Après la ferme aux 1000 vaches, c’est l’hôpital aux 1000 lits. Si un hôpital a moins de 300 lits, il n’est pas considéré comme rentable. C’est le même schéma pour ce qui concerne les crèches. Or, cette concentration géographique affecte les personnes les plus isolées en un seul lieu. De là, Pauline Delage s’interroge :
« comment la politique de la petite enfance peut contribuer à l’émancipation des femmes en dehors des foyers alors que tous les parents n’ont pas accès à la crèche ? »
Le droit des femmes sur le marché du travail
Une ségrégation homme/femme dans le travail
En 1960, on comptait 6,6 millions de femmes actives pour 13,2 millions d’hommes. En 2012, ce sont 14,4 millions de femmes pour 15,5 millions d’hommes. L’égalité s’arrête ici. Sur le marché du travail, hommes et femmes n’exercent pas les mêmes métiers. Il y a une ségrégation du travail entre les genres. Il apparait également que les six catégories socioprofessionnelles les plus féminisées n’ont pas évolué depuis les années 1960. Ainsi depuis bientôt 60 ans, les femmes représentent :
88 % des personnels de service aux particuliers,
82 % des employés administratifs d’entreprise,
79 % des employés civils et agents de la fonction publique,
Nous déduisons de ces chiffres que certains emplois comme le service aux particuliers, le travail de nettoyage, ainsi que les caissières sont dévolues en grande partie aux femmes. Des emplois où le temps partiel est par ailleurs particulièrement pratiqué.
Les inconvénients du temps partiel
« Impulsé par les pouvoirs publics en France, le développement du temps partiel depuis les années 1980 semble avoir renforcé la concentration des femmes dans certains secteurs, et de surcroît, la précarité des femmes des milieux populaires en particulier. »
Notons que le temps partiel peut s’accompagner d’inconvénients pouvant être sources de stress au quotidien pour ces femmes : des horaires éclatés et instables imposés du jour au lendemain, ainsi que d’importantes césures ou des allongements de journées et de semaines.
Ouvrières et bourgeoises
Pourquoi ces questions ne sont pas plus mises en avant ? Parce qu’il y a une réalité : La question de l’égalité des femmes s’est centrée sur la question des limites à l’accès des femmes aux plus hautes positions hiérarchiques. Beaucoup moins sur les conditions de travail, d’emploi et de carrières des femmes dans leur ensemble. Or cette approche de l’égalité homme-femme dans la vie professionnelle ne cible que certaines femmes, les diplômées et les cadres, oubliant les plus précarisées, les moins qualifiées et moins rémunérées, qui constituent pourtant la part principale de l’emploi féminin.
Les femmes naissent libres et égales, certaines naissent plus égales que les autres.
La révolution par le haut
Cette paraphrase de Coluche résume plutôt bien l’état des lieux autour des droits de la femme tels qu’ils sont pensés aujourd’hui. Parce que des femmes des classes moyennes et supérieures ont pu se mobiliser pour se faire valoir leurs droits à l’égalité professionnelle, parce que ces femmes peuvent orienter les politiques publiques en fonction de leurs préoccupations et de leurs besoins, l’égalité professionnelle est entendue de leur point de vue. Et c’est tant mieux ! Nous croyons le sociologue et philosophe Raphaël Liogier* quand il déclare :
Les grandes révolutions commencent souvent par la révolte des dominants parmi les dominés. On ne peut discréditer un mouvement sous prétexte qu’il commencerait par ne concerner que les privilégiés. Cependant, il doit poser les bonnes questions et interroger les fondements de notre société.*
Le combat féministe continue
Dans ce contexte, le travail de la sociologue Pauline Delage est plus que précieux. Il nous permet d’affiner notre réflexion autour de la question du droit des femmes et d’avoir une vision plus juste des enjeux autour de ces fameux droits.
Son livre ne s’arrête pas à la question du genre, il nous interroge sur nos principes de modernité.
Qu’est-ce qu’une société dite “civilisée” ? N’est-ce pas cela une sociétéoùtous les êtres humains auraient les mêmes droits et devoirs, sans discrimination aucune, au nom de leur seule humanité?
Pour aller plus loin : Pauline Delage, « Droit des femmes, tout peut disparaître », éditions Textuel, 2018
* Simone de Beauvoir, le Deuxième Sexe.
*Raphaël Liogier, Descente au coeur du mâle, éditions les liens qui libèrent
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