Au-delà des limites : la vision intrépide de Corinne Vachon...
Publié le 20/09/2023, mis à jour le 05/11/2024
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Au-delà des limites : la vision intrépide de Corinne Vachon à travers son objectif
40 minutes min d'écoute
Découverte de l’univers captivant de Corinne Vachon, photographe exploratrice
Une croyance répandue perdure: la vie nous impose un schéma bien défini. Elle se divise en différentes étapes. Une période de jeunesse et de retraite où l’on peut voyager et poursuivre nos passions en toute liberté.
Entre ces deux moments, s’écoule une période de responsabilité dite adulte. Nous sommes alors encouragés à mettre de côté certains de nos rêves pour bâtir un foyer et une carrière.
Pourtant, selon Corinne Vachon, ces limites ne sont que des barrières auto-imposées.
Mère de trois enfants, photographe et exploratrice intrépide, Corinne Vachon est partie à la rencontre des peuples premiers et nomades du monde entier.
Son travail captivant saisit et partage toute la splendeur de ces cultures, ainsi que celles de leurs terres préservées, épargnées par l’agitation du monde moderne.
À travers le prisme de la photographie de Corinne Vachon, nous sommes appelés à embrasser la beauté de la diversité et à célébrer la richesse de nos racines.
Comment cette mère de famille est-elle devenue photographe? Quelles ont été les étapes de sa reconversion ? Quels obstacles a-t-elle rencontrés? Comment réussit-elle à concilier sa vie familiale avec sa vie de photographe-voyageuse? Quel message cherche-t-elle à passer à travers ses œuvres?
Corinne Vachon a accepté de répondre à ses questions nous permettant d’explorer la manière dont nous pouvons harmoniser nos aspirations avec la réalité.
Un parcours inspirant : De mère de famille à photographe-voyageuse
D’une vie rangée à l’aventure photographique
Comment êtes-vous devenue photographe?
CV: J'ai intégré une école de photographie, Spéos, il y a une vingtaine d'années quand mon dernier fils a eu 3 ans. Pendant une décennie, j’ai principalement photographié l’Ouest parisien. Les gens venaient dans mon studio, souriants, mais ce travail me paraissait futile. Il me semblait que je photographiais une fausse image de la vie. Puis, un jour, une amie photographe m’a proposé un voyage au Vietnam. Au cours de ce séjour, j’ai eu l'impression de toucher la vraie vie.
Quelle a été votre première expérience photographique significative? C’était au Vietnam?
CV: Au Vietnam, j'ai pu mettre en pratique tout ce que j'avais expérimenté en studio où j'avais beaucoup travaillé sur la lumière clair-obscur. En voyage et hors de mon studio, j’ai pu retrouver cette lumière clair-obscur.
Les peuples nomades sont au cœur d’une grande partie de votre travail. Qu’est-ce qui vous attire et vous inspire chez ces peuples ?
CV: Cela s’est fait graduellement. Après le Vietnam, je suis allée en Sibérie voir les Nénètses puis en Afghanistan. Je suis partie seule, je n’avais ni réseau, ni wifi ni téléphone et j’ai vraiment aimé d’être coupée du monde et de vivre pleinement avec l’environnement et le peuple que j’avais choisi.
Pourquoi aimez-vous voyager seule?
CV: Je n’aime pas voyager avec d’autres photographes. J’en ai fait l’expérience au Sud-Soudan et je n’ai pas trouvé cela intéressant. Ce que j’aime, c’est être dans ma bulle. Je ne prends jamais de tablette, juste un livre et je suis accompagnée d’un fixeur (un guide local). C’est important d’être accompagné par quelqu’un qui parle le dialecte des peuples nomades pour pouvoir mieux communiquer.
La reconversion professionnelle de Corinne Vachon
Comment financez-vous vos voyages?
CV: J’autofinance complètement mes voyages par la vente de mes photos et les expositions. Lorsque j'organise une exposition, je choisis soigneusement celles auxquelles je participe, car je dois couvrir les coûts, notamment les tirages.
Comment s’est passée la transition financière entre vos études de photographie et le moment où vous vivez de vos photos?
CV: Au départ, mon mari m'a soutenu financièrement. Il croyait en moi, il a même acheté mon premier appareil photo. Au fil du temps, j'ai investi dans du matériel, j’ai travaillé les week-ends, et vendu des photos, ce qui m'a permis de vivre de la photographie. Grâce à cela, j'ai financé mes voyages et mes expositions.
Quels obstacles avez-vous rencontrés lors de votre transition vers la photo et comment les avez-vous surmontés?
CV: Je n’ai pas surmonté tant d’obstacles. J’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique puis je me suis arrêtée après eu mon troisième enfant. J’habitais en banlieue parisienne en tant que mère de famille et je m’ennuyais profondément. Mon mari m’a encouragé à faire ce que je voulais, alors j’ai décidé de suivre une formation en photographie et cela m’a redonné de l’énergie.
Une énergie qui l’a conduite une décennie plus tard à partir capturer les peuples nomades à travers son objectif.
À la rencontre des peuples nomades du monde
La préparation et le choix des voyages
Comment choisissez-vous vos destinations?
CV: Souvent un peu par hasard. Quand je suis partie voir les Nénètses en Sibérie, je souhaitais initialement aller au Groenland. En entrant dans une agence de voyage, j’ai découvert les Nénètses qui m’ont tout de suite intéressée. J’ai donc trouvé un fixeur à Moscou qui m’a organisé le voyage. Je me renseigne aussi sur Instagram qui est un vivier d’informations pour choisir mes destinations et mes guides.
Le principal critère de sélection de Corinne Vachon est l’isolement. «Plus c’est isolé, plus ça me plait.» Elle apprécie tout particulièrement partir à la rencontre des peuples reculés des montagnes du Pérou, de la Bolivie, de l'Himalaya indien, de l'Afghanistan et du Kirghizistan.
Comment sélectionnez-vous le bon guide?
CV: Certains photographes partagent leurs recommandations, d'autres non. En Afghanistan, j'ai eu la chance de rencontrer Andrew Quilty, un photojournaliste australien vivant à Kaboul, qui m'a recommandé son guide. En Inde, au Ladakh, j'ai rencontré un super guide passionné d'histoire bouddhiste, qui ne trouvait pas de poste de professeur d'université. Je travaille actuellement sur un projet avec lui.
Dans quelles conditions voyagez-vous?
CV: J'apprécie les conditions extrêmes et la simplicité. Je préfère les climats froids, porter deux doudounes et trois paires de chaussettes. Il est difficile de travailler sous 40 ou 50 degrés comme cela m'est arrivé au Kenya.
Qu'est-ce que votre vécu auprès des peuples nomades vous a appris?
CV: J’ai appris qu’il ne fallait pas voir avec nos yeux. En Afrique, vous rencontrez des sociétés très patriarcales où les femmes ne sont pas forcément malheureusement car elles n’ont connu que cette réalité. Dans notre société, on veut souvent aller trop vite dans l’émancipation, or chaque culture avance à son rythme. Nous ne devrions ni intervenir ni juger la façon dont les gens vivent.
Créer un lien avec les peuples nomades
Dans l’à-propos de votre site internet, vous écrivez: « il y a ce que je vois et ce que je veux ». Qu’est-ce que cela signifie?
CV: Chaque photographe voit les choses avec son cœur et choisit ce qu'il veut montrer. Nous ne sommes pas objectifs dans nos choix. Si dix photographes capturaient la même scène, ils ne montreraient probablement pas la même chose ni avec la même émotion.
Comment établissez-vous la connexion avec vos modèles pour créer ces images riches en émotion?
CV: Je vis avec eux pendant plusieurs jours.
C'est-à-dire?
CV: Établir une connexion demande en moyenne trois à dix jours. Toutefois, certaines photos se font très rapidement, au bout de 2min de rencontre. Au Kirghizstan, à peine arrivée, une grand-mère me demande de prendre en photo sa petite-fille. Je lui dis que c’est trop tôt. Finalement, je prends la photo et elle s’avère être, selon moi, une de mes photos les plus fortes.
Comment vous vient l’inspiration?
CV: En voyage, vous êtes forcément inspiré, mais je peux aussi revenir sans photo. Je ne suis pas inspirée par les paysages «carte postale» avec un beau ciel bleu. Je préfère les ciels chargés. En février, j’ai réalisé un trek au Zanskar où j'ai rencontré une petite fille. L'inspiration m’est venu naturellement grâce à ses vêtements typiques et aux murs bleu indigo de sa maison.
Contrairement à ce que nous pourrions imaginer, Corinne Vachon ne revient jamais de voyage avec beaucoup de photos. « Il est rare que je revienne avec plus de dix photos après un mois de travail.»
Avoir un tel parcours de vie ne tient pas uniquement aux forces du hasard et aux rencontres, Corinne Vachon est également dotée d’un état d’esprit intrépide. Comment l’a-t-elle forgé et nourri?
Cultiver un esprit intrépide : L'histoire inspirante d'une aventurière
L’absence de toute peur
En plus d’être photographe et baroudeuse, vous êtes aussi marié et maman de trois enfants. Quel regard porte votre famille sur votre travail?
CV: Mon mari m'a toujours beaucoup encouragée. Mes enfants ne savaient pas vraiment ce que je faisais avant d'avoir des amis plus âgés qui leur ont fait réaliser que je voyageais seule en Afghanistan, en Iran et dans l'Himalaya.
Quels conseils donneriez-vous aux parents qui aspirent à réaliser leur rêve tout en assumant des responsabilités familiales?
CV: Beaucoup de gens ont peur de tout, personnellement je n’ai peur de rien. Le Covid-19 ne m'a pas fait peur, et je ne crains pas de voyager seule. Je ne perçois pas le danger, mais je planifie soigneusement mes voyages en amont avec de bons guides. Je ne prends pas de risques inutiles. Et puis si des problèmes surviennent, ils surviennent. La peur est ce qui retient les gens. Il ne faut pas avoir peur, donc allez-y!
D’où vous vient cette confiance?
CV: Je crois avoir une bonne étoile. Je pense que cette confiance vient d’un accident vécu à 14 ans et qui, peut-être, explique ma tendance à vivre à cent à l’heure.
A 14 ans, Corinne Vachon se fait tirer dessus accidentellement. La balle est entrée dans son dos, puis est ressortie de l’autre côté à quelques millimètres de sa colonne vertébrale, sans lui causer aucun dommage.
CV: Depuis ce jour, j'ai l'impression de toujours passer à travers les situations dangereuses. Récemment, j'ai dormi à 5200 mètres d'altitude sans problème bien que cela ne soit pas recommandé. Je ne sais pas si c'est psychologique ou réel, mais je n'ai pas peur.
Une confiance forgée très tôt
Comment vos parents ont réagi à cet accident survenu à vos 14 ans?
CV: Mon père est venu me chercher pour me ramener à la maison, où ma mère était avec des amis médecins. Ils ont constaté que je marchais bien, et donc qu’il n’y avait rien de grave. Mes parents n'ont pas dramatisé la situation. Cela m’a donné confiance en la vie, en me disant que tant que ce n 'est pas grave, il ne faut pas dramatiser.
Voulez-vous dire que les parents doivent accompagner leurs enfants sans dramatiser?
CV: Quand je suis partie faire mes études aux États-Unis, je ne savais pas où dormir. Contrairement aux autres parents, les miens m'ont laissé me débrouiller pour trouver un appartement. J’en ai trouvé un dans un quartier de Philadelphie que je pensais risqué. J'ai appelé mes parents pour leur expliquer la situation, mais ils m’ont répondu qu’à plus de 6000km, ils ne pouvaient rien faire pour moi. Il y a peu de temps, mon père m’a avoué qu’ils ont toujours eu une grande confiance en moi et dans ma capacité à me débrouiller.
Cette confiance se retrouve-t-elle chez vos frères et sœurs?
CV: Un peu moins. Mes parents travaillant beaucoup, je suis devenue comme une figure maternelle pour mes sœurs, même si je n’avais pas recherché à occuper cette place.
Quid de vos enfants?
CV: Je n'ai pas ressenti une inclination maternelle particulière envers mes propres enfants. Je leur ai donné ce dont ils avaient besoin. Ni plus ni moins. Lorsqu'ils ont déménagé à l'étranger pour leurs études, je ne les ai pas accompagnés pour trouver un appartement. Je les ai laissés se débrouiller seuls, et ils ont choisi de ne pas me demander d'aide. Il est essentiel de ne pas surprotéger ses enfants.
Découvrir le travail de Corinne Vachon
Où vous emmènent vos prochains projets?
CV: En juin, j'ai rencontré les Changpas du Karnak. J'ai promis de revenir les voir en hiver. J'aimerais aussi découvrir de nouvelles destinations comme le Laos.
Où pouvons-nous découvrir votre travail ?
CV: Au mois de mai et juin, j’ai fait une belle exposition au 3cinq, un centre d’art contemporain à Lille dont on peut voir quelques photos sur mon compte instagram.
Sa prochaine exposition se tiendra du 7 au 12 novembre à la galerie Motte Masselink située au 12 rue Jacob dans le 6ème arrondissement de Paris.
Si vous avez envie d’évasion durant l’automne parisien, chacune des photographies de Corinne Vachon vous propulsera vers des mondes et des peuples oubliés.
À travers son objectif, elle capture l'essence de la diversité culturelle qui unit l'humanité, rappelant que malgré nos différences apparentes, nous partageons tous la même planète et une histoire commune. Ses images nous invitent à explorer ces coins reculés et à plonger dans les traditions et les visages qui façonnent notre riche tapisserie humaine.
Elles nous rappellent que la curiosité est une passerelle vers la compréhension, que l'empathie transcende les frontières, et que la préservation de notre patrimoine culturel est un devoir sacré.
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