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Publié le 17/11/2021, mis à jour le 05/10/2024
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Comment la pandémie du Covid-19 a-t-elle changé nos vies ?
En quoi la pandémie du Covid-19 est-elle exceptionnelle ?
La pandémie du Covid-19 n’est pas le premier fléau sanitaire auquel se confronte l’humanité.
De la peste d’Athènes à la grippe espagnole en passant par la peste noire, chaque pandémie a changé le cours de l’Histoire sociale, politique et économique des peuples qu’elle a ravagés.
Mais en bouleversant notre rapport à l’intime et à autrui, le Covid-19 s’est distingué de ces pandémies passées.
Effectivement, même si nos moyens technologiques nous ont permis de ne pas laisser totalement la mort et la maladie dicter nos vies, ils n’ont pas pu empêcher l’intronisation de la distance comme nouvelle norme de conduite personnelle et sociale.
De fait, comment cette distanciation a-t-elle marqué notre quotidien et les esprits ?
Que garderons-nous des gestes barrières, des restrictions sanitaires et des confinements qui ont bouleversé nos relations professionnelles comme personnelles ?
Quelles évolutions dues à la pandémie sont-elles vouées à se pérenniser ?
Pour mieux prendre conscience des conséquences du Covid 19 sur nos vies intimes et notre façon de faire société, nous recevons Anne Muxel, directrice de recherches en sociologie et sciences politiques au CNRS, suite à la publication de son enquête « L’autre à distance. Quand une pandémie touche à l’intime » (Odile Jacob, 2021).
- Anne Muxel, confinée comme tous les Français, comment avez-vous mené votre enquête ?
- AM : J’ai baptisé cette enquête « une enquête en chambre ». Je l’ai construite grâce aux données issues de sondages, de publications de journalistes et intellectuels, ainsi que d’une soixantaine de témoignages recueillis auprès de ma famille, d’amis et de leurs réseaux d’amis.
- C’est un livre que j’ai voulu chorale, c’est-à-dire à plusieurs voix. Bien entendu, dans cette pluralité de points de vue, ma propre voix intérieure se fait également entendre.
Masque & restriction : de nouvelles règles sociales
- Comment les Français ont-ils vécu la peur du virus et la restriction des libertés ?
- AM : Les Français ont effectivement eu très peur. Mais il y a eu surtout un effet de sidération collective, suivie d’une mobilisation nous obligeant à adopter une nouvelle grammaire comme le mot de « distanciation » avec pour mot d’ordre : « si vous aimez vos proches, ne vous approchez pas trop. » Ce qui est une injonction paradoxale puisque si on aime, on se rapproche. On ne s’écarte pas et on n’a pas peur de l’autre.
- Quels sont les effets de la généralisation du port du masque dans l’espace public et notamment sur les enfants ?
- AM : Le port du masque a vraiment une incidence sur notre rapport à autrui en changeant notre perception immédiate de l’autre qu’il soit un proche, un familier ou un inconnu. Qui n’a pas fait l’expérience de ne pas avoir bien reconnu un voisin masqué ?
En portant un masque, on n’aperçoit que le regard et le haut du visage, or, c’est surtout le bas du visage qui nous permet de décoder toutes les expressions et émotions ressenties par l’autre.
- AM : En ce qui concerne les enfants, des études ont démontré que le port du masque peut engendrer un trouble durable chez les petits qui découvrent l’autre (à l’école, dans la rue). On a également démontré que les confinements ont pu ralentir leur développement cognitif et/ou physique.
Parmi les comportements et gestes induits par la distanciation, le port du masque perdure. Pour Anne Muxel, c’est peut-être l’indice que nous rejoignons les règles de vie sociale des pays asiatiques (Chine, Japon etc.), où il est inenvisageable de ne pas porter un masque dans l’espace public quand on est malade.
Distanciation & lien : de nouveaux modes d’être ensemble
Extrait de « L’autre à distance. Quand la pandémie touche l’intime »
« La distance imposée par le fléau de ce virus inconnu […] reconfigure les échanges et les relations dans l’espace public, mais elle vient aussi ébranler l’un des sanctuaires les plus protecteurs des méfaits de [notre société moderne], à savoir la famille et la vie privée.
Si vous aimez vos proches, ne vous approchez pas trop, tel est bien l’impératif auquel il faut se soumettre. L’amour est donc dépendant d’une assurance mutuelle de protection, et la protection est conditionnée par un renoncement : le renoncement du contact, de l’accolade, de l’embrassade, du peau à peau, du toucher, du bisou, du baiser.
[Mais] comment être proche tout en restant à distance ?
[…] Il faut trouver des formes de réassurance et des moyens de garder le contact pour ne pas entamer les possibilités de l’échange, fixer d’autres seuils de confiance réciproque, mais aussi assumer des risques nouveaux au plus intime de ce qui se joue dans une relation.
Il s’agit là de changements qui, s’ils doivent perdurer, réorientent les voies du désir, et plus simplement, du plaisir à être ensemble.
La vie intime est un extraordinaire espace d’inventivité et de créativité. L’obligation d’une mise à distance peut aussi paradoxalement renforcer l’intensité des liens au travers de l’obligation qui nous est faite de trouver toutes sortes de voie pour les entretenir et les faire exister. »
De la nécessité de se réinventer ou de négocier
- Pourquoi avez-vous choisi de partager cet extrait ?
- AM : Il résume mon sentiment que la distanciation change durablement nos relations, ainsi que la façon dont on peut se positionner dans ses relations.
- Par exemple, la rencontre amoureuse suppose une prise de risque. Or, la distanciation oblige à se méfier de l’inconnu, ce qui peut redéfinir les conditions de la rencontre, et de la prise de risque que l’on est prêt à engager pour aller vers l’autre.
- Vous pointez les conséquences de l’anxiété due à la distanciation, au niveau du développement cognitif des adultes mais aussi des enfants : « Plusieurs études dans le champ des neurosciences ont montré qu’une préoccupation constante affaiblissait à terme nos compétences et nos capacités de concentration et diminuent donc nos performances ».
Vous reprenez ainsi les propos d’Isabelle Barth, chercheuse en sciences du management qui indique que « Les professeurs doivent s’attendre à avoir des élèves plus distraits, les managers des collaborateurs plus influençables et avec moins de discernement. »
- Comment lutter contre cette anxiété montante, tant au niveau des entreprises que des particuliers ?
- AM : Je ne sais pas si on peut lutter contre ce phénomène, mais on peut s’adapter en négociant, c’est-à-dire en trouvant des façons de faire des pas de côté pour que nous puissions continuer à être en lien avec les autres. Par exemple, quand on se rencontre pour la première fois, on peut accepter de baisser son masque quelques instants pour voir le visage de l’autre. Les réponses et comportements choisis révèlent beaucoup de la personnalité de chacun.
Quoiqu’il en soit, la contrainte de la distanciation nous oblige à redéfinir les seuils entre les choix individuels et les obligations collectives. Autrement dit, à reconsidérer l’espace de nos libertés. Et peut-être aussi de ce qui fait l’essence de l’humanité.
Vivre & mourir : de nouvelles prises de conscience
Solidarité et renouveau
- Vous citez une enquête menée pour la Conférence des grandes écoles en mars/avril 2021, dans laquelle 79% des étudiants interrogés pensent qu’ils ont été « privés de leurs plus belles années » et 71% qu’ils ont été « sacrifiés au nom de la sécurité sanitaire ».
Plusieurs études ont mesuré une montée des souffrances psychologiques au sein de la population jeune et plusieurs suicides et tentatives de suicide ont été recensées durant le mois de janvier 2021.
- Peut-on dire que la jeunesse a été sacrifiée ?
- AM : Le terme est trop fort et reflète l’instrumentalisation d’une mise en concurrence des générations où les jeunes sont sacrifiés pour protéger les plus âgés. Or, je ne pense pas que cela soit vécu ainsi :
- Les jeunes ont très peur d’être des vecteurs de contamination pour leurs parents et grands-parents. Preuve en est, une large majorité de jeunes ont respecté les gestes barrières.
- Les personnes âgées s’inquiètent des implications que suppose leur protection sur la vie et l’avenir des jeunes générations.
Ce qui ressort de cette crise sanitaire n’est pas un délitement des liens entre générations, mais au contraire une capacité à être solidaires et inventifs pour maintenir le lien. Certaines familles séparées n’ont jamais autant communiqué que pendant la pandémie.
La pandémie a donc permis différentes prises de conscience sur notre vulnérabilité face à la maladie et à la vie tout court. Ce qui a pu amener à des remises en question et reconstructions personnelles. Des gens ont quitté les villes, changer de travail, des familles ont reconsidéré leur mode de séparation, des couples se sont séparés et d’autres se sont formés.
Respecter la mort et les adieux
- Comment la pandémie a-t-elle changé notre rapport à la mort ?
- AM : Entre les images de personnes en réanimation et le décompte mortifère du nombre de décès, la mort et le tragique rendus invisibles dans les sociétés occidentales, se sont rappelés à notre conscience.
- Néanmoins, la distanciation et les restrictions ont empêché les individus de dire au revoir à leurs proches mourants, de les enterrer et de se réunir. Ces restrictions ont laissé des dégâts psychiques importants.
- Pensez-vous qu’une limite a été franchie en interdisant les enterrements ?
- AM : Oui et je ne suis pas la seule à le penser : beaucoup ont parlé de rupture anthropologique.
- En plus de ceux qui ont été privés d’enterrement, il y a également les personnes qui sont mortes loin de leurs proches sous ventilation. A cet égard, le personnel soignant a joué un rôle admirable en faisant le lien entre les patients et les familles. Et ce dévouement ne s’est pas fait sans l’économie d’une charge émotionnelle difficile qui ne s’allégera pas de sitôt.
Quel monde post-covid ?
Puisque la crise sanitaire est toujours en cours, il est évidemment prématuré de bien cerner quel héritage laissera le covid-19 dans nos vies privées et sociales.
La distanciation marquera-t-elle durablement nos relations ? Nos prises de conscience résisteront-elles dans le temps ?
Ce qui est sûr, c’est que l’irruption du virus n’a fait que conforter un désir collectif pré-covid : le désir de voir émerger de nouveaux modes de faire et d’être qui soient porteurs de sens et de beauté.
Espérons qu’à sa façon, le covid a forcé et accéléré les transformations empruntant cette voie.
Article rédigé à partir des propos d’Anne Muxel recueillis par Amal Dadolle
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