Serait-ce parce qu’il épouse notre culture matérialiste des objets et d’une maison bien tenue? Ou serait-ce parce qu’il réveille le sentiment instinctif que les lieux sont pourvus d’une énergie particulière?
Certainement un peu des deux. Et c’est certainement aussi cette particularité à lier le temporel au spirituel, le visible à l’invisible, qui explique le succès du feng shui. Toutefois, attirance n’est pas connaissance. De fait, que connaissons-nous vraiment du feng shui?
Pas grand-chose si nous l’associons au design et à la décoration intérieure. Beaucoup plus si nous l’associons au décryptage énergétique d’un lieu.
Avant de comprendre ce qu’est le feng shui et son but, comment cet art est-il donc apparu? À quels besoins répondait-il?
Cette culture se compose de communautés sédentaires chapeautées par un chef-chamane, descendant des dieux et détenteur des pouvoirs temporels et spirituels.
C’est à cette période qu’émergent les fondations du taoïsme. Le principe essentiel étant que l’homme doit suivre la voie de la nature pour vivre en harmonie avec le monde, les autres et lui-même.
Pour trouver cette harmonie, des chamanes-rois inventèrent des outils comme le yi jing, le principe du yin et du yang et les cinq éléments.
Le taoïsme se consolide sous la dynastie des Han (-206 avant JC à 200 après JC) qui a à cœur d’unifier la Chine en la dotant d’une administration rigoureuse. Elle se compose de lettrés et de conseillers parmi lesquels se trouvent les fangshi. Leur particularité étant de maîtriser les arts divinatoires dont le kan yu shu, l’ancêtre du feng shui.
Le kan yu shu est l’art (shu) de l’observation (kan) de la terre (yu). Cet art associe la topographie, la géographie, l’astronomie et la divination. Son but étant de choisir le bon emplacement d’un site funéraire, d’un palais ou d’une cité pour s’assurer de la bonne circulation du chi (énergie vitale).
Le terme de feng shui, qui signifie «vent» et «eau» apparait au Ier siècle sous la plume du devin taoïste Guo Pu. Selon Guo Pu, les Anciens avaient observé que le chi se dispersait au gré du vent et se rassemblait au contact de l’eau.
Toutefois, savoir ce que le feng shui signifie littéralement ne nous est d’aucun secours pour comprendre le but de cet art.
Les maisons possèdent leur énergie
En Chine, tout est énergie, y compris le temps et l’espace.
Une année est donc bien plus qu’un simple repère chronologique. Tout comme un lieu est bien plus qu’une simple adresse. Ce sont des entités qui possèdent leur caractère et leur énergie et interagissent avec notre propre caractère et énergie.
Le caractère et l’énergie d’une personne sont déterminés par sa date de naissance.
Pour un bâtiment, l’énergie et le caractère sont déterminés par l’endroit (l’espace) et la date (le temps) de la construction. Cette énergie se compose à la fois de yang (le temps) et de yin (l’espace). L’énergie d’un bâtiment devient stable et définitive dès que le toit est posé.
Le feng shui est l’art de décrypter les liens entre l’énergie d’une personne et sa maison. Celle-ci doit être considérée comme une alliée, une amie qui nous veut bien, contribuant pleinement à notre
bien-être et à notre vitalité.
Une vitalité optimale se devine selon deux critères: la santé (la longévité) et le plaisir de vivre.
La finalité du feng shui consiste donc à soutenir notre vitalité au travers de notre lieu de vie et de travail.
De fait, penser à consulter un spécialiste du feng shui n’est pertinent que si nous nous sentons mal à l’aise dans notre espace de vie. Ou que nous ne comprenons pas en tant que propriétaire pourquoi aucun locataire ne reste plus d’un an dans la maison louée.
Pour ce faire, le spécialiste va d’abord mettre en lumière le lien entre une maison et son occupant.
De quelle façon ce lien peut-il apparaître?
La maison comme partenaire de vie
Le lien énergétique entre une personne et un lieu peut se manifester de multiples façons.
Par exemple, l’énergie de la maison peut faire ressurgir et accentuer un de nos traits de caractère. Ce qui signifie qu’avec le temps, la maison provoque chez nous un changement de comportement ou d’état d’esprit. Bénéfique ou non.
Par ailleurs, au moment de choisir un appartement ou une maison, certains lieux nous attirent plus que d’autres. Et ce n’est pas un hasard, puisqu’ils dégagent une énergie faisant écho à la nôtre. Ou bien faisant écho à une difficulté (consciente ou non) appelée à être résolue.
Ainsi, si nous avons des difficultés à nous ouvrir à nos émotions suite à une rupture amoureuse, nous pouvons choisir un lieu dont l’énergie est porteuse de cette difficulté.
Ou encore, un asthmatique peut choisir un lieu où la chambre est porteuse d’une énergie liée aux problèmes respiratoires.
Notre instinct d’autoprotection nous pousse à rejeter la faute sur le lieu en lui-même. À rendre la maison coupable de nos déboires amoureux ou de nos problèmes de
santé. Or, bien souvent, la maison n’est qu’un miroir, une amie qui essaie de communiquer avec nous en pointant du doigt un problème à résoudre.
Mettre en évidence de tels liens énergétiques entre nous et un lieu dépasse donc largement
la simple décoration. C’est pourtant ce à quoi en est réduit aujourd’hui le feng shui. Comment cette déviation a-t-elle pu advenir?
Comment le feng shui est-il devenu un art décoratif?
Les mauvaises interprétations du feng shui
Il serait assez logique de reprocher aux Occidentaux une mauvaise interprétation du feng shui.
Si ce reproche est assez juste, ils ne sont pas les seuls fautifs. Les Chinois eux-mêmes sont tombés dans ce travers.
L’Histoire de la Chine est riche et complexe, celle du feng shui qui l’a accompagnée l’est donc tout autant.
Trois raisons expliquent en grande partie comment le feng shui a été limité à la décoration:
- La complexité érudite du feng shui.
- La récupération du feng shui par la population chinoise superstitieuse.
- Les ignorances et les erreurs d’interprétation des textes anciens.
Tout d’abord, il est important de comprendre que le feng shui est incroyablement complexe.
Pendant presque un siècle, les techniques et théories du feng shui se développent. L’une des phases d’expansions exceptionnelles ayant lieu vers l’an 1000, sous la dynastie des Song. Des écoles émergent et se multiplient telle que l’école de la Forme, l’école de la Boussole et l’école des Etoiles Volantes.
Ces écoles concurrentes se méfient des unes des autres. Pour protéger leurs connaissances, elles s’emploient donc à rédiger leurs enseignements dans des textes aux allégories obscures et incompréhensives pour un néophyte. Ce jeu scriptural de cache-cache explique pourquoi les Occidentaux n’ont rien compris au feng shui pendant longtemps.
Cette abondance explique aussi pourquoi il n’existe pas un seul feng shui traditionnel, mais plusieurs.
Aujourd’hui encore, le feng shui est représenté par de nombreuses écoles créées par différents maîtres. Cette effervescence et
diversité expliquent pourquoi il est difficile de se faire une idée juste des principes du feng shui.
Ajoutons enfin une dernière donnée: le feng shui n’est pas resté aux mains des lettrés.
Le feng shui dévoyé par le folklore chinois et le New Age
Au XIIe et XIIIe siècles, le feng shui retrouve son prestige et la lumière après s’être fait discret sous le règne des Yuan. Cette dynastie mongole souhaitant faire disparaitre tout ce qui a trait à la divination, feng shui inclut.
Le retour du feng shui dépasse toutefois l’élite. Une fuite de documents secrets dévolus au feng shui fait mouche auprès des charlatans et marchands de rêve.
Auprès des villageois crédules en quête de bénéfices rapides, ils distillent des idées fausses et naïves. Les mêmes que l’on retrouve plus tard en Occident.
Côté Occidentaux, les premiers à découvrir le feng shui sont Marco Polo et les jésuites. Il faut toutefois attendre le XIXème siècle avec l’arrivée des Anglais et des Français pour que le feng shui commence à être autant connu qu’incompris. Ces derniers le font d’ailleurs connaître sous le terme de «géomancie». Un terme issu du latin geomancia qui signifie la divination par la terre. Ce que n’est pas le feng shui.
Passé l’ère moderne et la tentative de Mao d’enterrer les arts ancestraux, le feng shui connait un renouveau dans les années 1980.
Les Chinois expatriés emportent leurs traditions ancestrales et font connaitre
l’acupuncture, le taïchi, la calligraphie et le feng shui.
Mais associé au folklore populaire chinois et au
développement personnel de l’ère du New Age, le feng shui est dévoyé, vidé de sa substance. Il est désormais associé à la décoration et au design.
Il faut atteindre les années 1990 pour que des écoles de feng shui traditionnel émergent. Elles s’emploient alors à faire découvrir le but premier du feng shui. À savoir le soutien de notre vitalité à travers la bonne circulation de l’énergie vitale de notre lieu de vie.
En Chine, l’énergie vitale est appelée le chi (ou le qi) et possède de nombreux attributs.
Que représente le chi dans le feng shui?
Qu’est-ce que le chi?
Le chi se traduit littéralement comme étant le souffle qui nourrit la vie. Il est la substance qui traverse le monde, assure la cohésion de l’univers, et rend la vie possible.
Son idéogramme représente un grain de riz cuisant dans un chaudron et dont se dégage une vapeur. Ce qui suggère plusieurs informations concernant la nature du chi:
- Le riz indique que le chi est la nourriture essentielle au développement de la vie.
- La cuisson renvoie à l’idée du mouvement et de la transformation dynamique (du yin en yang, et inversement) de la vie. Sous l’effet de la chaleur, la matière dense, visible et solide se transforme en étant subtile, invisible et gazeux.
- Le mouvement et la transformation dynamique renvoient à l’idée de souffle et de circulation du chi. Un chi en bonne santé est d’ailleurs un chi dynamique, toujours en mouvement.
Il existe trois types de chi:
- Le chi du Ciel (l’univers) qui influence les planètes, le soleil et la lune.
- Le chi de la Terre (la nature), qui se transforme sous l’effet des reliefs et cours d’eau, du magnétisme terrestre et des souffles produits par le Ciel (vent, pluie)
- Et le chi de l’Homme, qui traverse son corps physique (via les organes et les tissus) mais aussi ses émotions et ses pensées.
Ces trois chi communiquent en permanence les uns avec les autres. La lune et le soleil influencent le chi de la nature. Qui, elle-même, influence le chi de l’homme.
Tout l’intérêt des arts chinois est d’éviter le mauvais chi et d’attirer le bon chi.
L’impact du chi sur une vie
Il existe deux
qualités de chi:
- Le sheng chi, le chi positif favorise le bien-être et la vie humaine, animale et végétale.
- Le sha chi, le chi négatif signifie le «souffle tueur» et favorise l’absence de vie et de bien-être.
Il est assez facile de savoir si une personne ou un lieu est baigné de sheng chi ou de sha chi. Une personne mélancolique et amorphe est imprégnée de sha chi, tandis qu’une personne positive et joyeuse est habitée par le sheng chi.
Un endroit aride est imprégné de sha chi. Tandis qu’un paysage verdoyant démontre la présence du sheng chi.
La bonne qualité du chi qui nous habite et entoure est fondamentale pour notre
épanouissement.
Les Anciens estiment en effet que la réussite et le
bonheur dépendent de cinq facteurs:
- Le destin est le facteur le plus déterminant. C’est l’époque à laquelle vous naissez, votre pays, votre famille et statut socio-économique vont déterminer la qualité de votre vie.
- La chance est le second déterminant. Contrairement à la pensée occidentale, la chance n’est pas déterminée par le hasard. Elle est la conséquence d’influences mystérieuses qui apparaissent sur notre chemin de vie. Ses conditions d’apparition dépassant notre entendement, l’humain ne peut rien faire que de la considérer comme une faveur de la vie.
- Le feng shui, à savoir le souci du sheng chi, est le troisième facteur affectant la qualité de la vie, et le premier sur lequel nous pouvons agir.
- La gentillesse et les bonnes actions gratuites incitent les bonnes personnes, les événements favorables à se manifester dans votre vie.
- Le développement personnel, qui est à comprendre de façon linéaire, à savoir l’amélioration de son caractère et de sa force morale. Ce travail sur soi procure les mêmes bienfaits que ceux de la gentillesse.
Comment stimuler sa vitalité grâce au feng shui?
Le diagnostic feng shui d’un foyer
Un foyer véhiculant un sheng chi procure un sentiment de sécurité et de convivialité.
En revanche, le sha chi revêt plusieurs impressions:
- Le manque de tonus et une tendance au repli sur soi peuvent provenir d’un chi stagnant. C’est le cas dans les foyers encombrés où règne le désordre.
- La sensation d’être toujours en retard ou de déployer des efforts pour peu de résultats résulte d’un chi lent. Le foyer est mal éclairé ou trop sombre.
- La nervosité et le stress chronique ressentis peuvent résulter d’un chi trop rapide. Le foyer est trop éclairé et/ou trop vide.
Quelques méthodes permettent de sentir si une habitation dispose d’une
énergie (chi) favorable à la nôtre.
En vous mettant au calme, essayez de décrypter les sensations physiques qui vous traversent. Généralement, ces ressentis se perçoivent en haut du corps, de la gorge à l’estomac. Notez chaque sensation éprouvée dans ces parties du corps ainsi que les
émotions qui l’accompagnent. Un estomac qui se contracte est clairement le signe d’un sha chi.
Focalisez-vous sur la stabilité de votre corps. Une sensation de déséquilibre ou de lourdeur indique un chi déséquilibré. La sensation de calme et de robustesse indique, tout au contraire, un bon chi.
Les pensées sont aussi de l’énergie. Pour prendre la bonne température du lieu, adoptez d’abord un état d’esprit calme et neutre. Ensuite, soyez attentif et observez comment votre état d’esprit se modifie.
Finances et vie professionnelle obligent, nous ne pouvons pas tous nous permettre de déménager. Encore moins de construire notre propre maison feng shui. Ou d’abattre une cloison si nous sommes locataires.
Il existe heureusement quelques astuces pour améliorer la circulation du chi et passer du sha chi au sheng chi.
Les trois piliers énergétiques de la maison
Une maison où l’on se sent bien est une maison où les
forces yin (repos, calme) et yang (mouvement) sont judicieusement réparties.
La tradition chinoise se focalise sur trois espaces principaux, considérés comme les piliers énergétiques d’une maison:
L’entrée est le lieu le plus important car elle
accueille, filtre et répartit le chi venu de l’extérieur.
L’idéal est que la porte d’entrée s’ouvre sur un vestibule avec plusieurs portes qui répartit l’énergie. Ou qui donne directement sur le salon.
Pour faciliter la pénétration et la circulation du chi, l’entrée doit être dégagée de tout encombrement. Les bibelots, le gros mobilier et les chaussures doivent être rangés dans des placards ou ailleurs.
De façon générale,
ranger et désencombrer fait partie des grands principes feng shui.
-
L’emplacement du lit (la chambre)
On s’interroge souvent sur la place du lit. S’il doit être placé au sud-est ou au nord-ouest. Si les draps doivent être rouges ou bleus. Or, cette préoccupation quasi-superstitieuse n’a aucun intérêt.
Le seul principe important à retenir est que le lit doit être placé le plus loin possible de la porte de la chambre. Et la chambre dans une pièce calme de la maison. L’idée étant de favoriser la venue du repos.
Les autres astuces pratiques comme retirer la télévision ou autres appareils électroniques de la chambre fonctionnent également.
C’est le coin yang par excellence de la maison. Non seulement c’est là où nous nous activons pour préparer à manger. Mais la cuisine est également le lieu qui concentre le plus de chaleur avec les cuissons et les appareils.
Une cuisine désordonnée, fermée, où l’espace de travail est isolé doit être réarrangée pour laisser apporter une énergie yang.
Dernières recommandations feng shui
En complément de ces principes de base, vous pouvez également retenir ces quelques astuces:
- Si vous avez une pièce trop vide, ou comprenant trop de fenêtres, disposez un gros meuble, quelques plantes, rideaux et voilages. Le mieux étant les tapis qui permettent également d’habiller une pièce.
- Si vous avez un long couloir vide, décorez-le de tableaux et photos.
- Un plafond trop haut peut amener le chi à trop se disperser. Dans ce cas, installez des suspensions et éléments décoratifs. Si le plafond est trop bas, dirigez des lumières vers le haut. Cela supprimera l’impression d’écrasement.
- Jouez sur les lumières et les couleurs si votre espace est trop sombre (trop yin). À propos des couleurs, retenez un principe simple: les couleurs yin et apaisantes sont les couleurs froides (bleu et vert). Les couleurs yang et dynamiques sont les couleurs chaudes (rouge et jaune).
Et si jamais aucune de ces astuces feng shui ne marchent?
Si vous avez toujours le moral en berne, malgré ces astuces, c’est que le problème ne vient pas de votre foyer mais directement de vous-même.
Rappelez-vous d’ailleurs que l’énergie d’une maison est toujours moins importante que votre propre énergie. Tout travail commence systématique sur le corps et l’esprit.
Pour ceux souhaitant avoir davantage de techniques, (re)visualisez
notre atelier en ligne consacré au feng shui!
Sources: Bruno Lecourt, Ma Bible du feng shui, éditions Leduc, 2021 _ David D. Kennedy & Agnès Dumanget, Le feng shui au quotidien pour les Nuls, éditions Firts, 2021