La transformation du rapport au travail et la quête de sens
Quelques mots avant de développer autour du bilan de compétences. Nous le voyons, nous le sentons et des auteurs ont pu l’analyser et le documenter: la quête de sens transforme notre société. Elle transforme notamment notre rapport au travail.
Le travail n’est plus seulement observé comme un accès à une position sociale ou à des ressources financières, mais comme un moyen de se choisir un but dans la vie.
L’objectif sous-jacent étant d’accéder à une réalisation personnelle et professionnelle. Dans cette optique, de nombreuses personnes se tournent vers la reconversion professionnelle.
Pour entamer ce chemin, il existe de nombreux types d’accompagnement professionnel. Le plus connu d’entre eux étant le bilan de compétences.
Le bilan de compétences: évolutions et désillusions
Le bilan de compétences est né le 31 décembre 1991 dans le cadre d’une loi portant sur la formation professionnelle.
Depuis 1991, la loi a évolué, ainsi que le format du bilan de compétences. Son objectif est de rendre le salarié responsable de son évolution professionnelle, tout en lui en garantissant la confidentialité de sa démarche et un accompagnement.
Actuellement, il est établi que cette prestation ne peut excéder 24h et doit s’accomplir dans un délai allant de trois semaines à quatre mois.
Les organismes de formation, dans leur ensemble, proposent un suivi entre 12h et 18h avec un consultant. Les 12h à 6h restantes sont dévolues au travail personnel.
La condition pour obtenir un congé permettant de réaliser cette prestation étant d’avoir travaillé cinq années consécutives dont une au sein de son entreprise.
Si le bilan de compétences est le mieux connu des accompagnements professionnels, c’est parce qu’il est reconnu, ouvert à un large public et gratuit puisque financé par le compte personnel de formation (le CPF).
Encore que ce dernier point se doit d’être nuancé. La loi de finances pour 2023 prévoit que les salariés privés paieront à partir de cette année une partie du coût de leur bilan de compétences.
Si les conséquences de ce dernier point ne sont pas encore connues, il en va tout autrement des désillusions attachées à cette prestation comme en témoigne Marie-Eve Dausset.
Consultante en ressources humaines spécialisée dans la stratégie de projet professionnel, Marie Eve Dausset propose dans son ouvrage Le bilan de compétences autrement (Gereso) de réinventer cette prestation.
Pour qu’un tel changement puisse advenir, il convient d’abord d’en révéler les principales limites.
Quelles sont les limites du bilan de compétences?
Les limites structurelles : recherche du profit et uniformisation
Plusieurs phénomènes expliquent les limites actuelles de cette prestation dont trois principaux:
Son accès aisé a contribué à sa popularité, mais aussi à des dérives.
Si le bilan de compétences est une opportunité pour les personnes en quête d’une réorientation professionnelle, il l’est aussi pour les organismes et cabinets prestataires. Ces derniers y voient une source de financement facile et intéressante.
Dès lors, bon nombre d’entre eux ont eu la tentation de proposer des prestations superficielles pour engranger plus de revenus.
D’autant plus que jusqu’à très récemment, il n’existait aucun contrôle de qualité. Ce qui a contribué à réduire à peau de chagrin le contenu des bilans de compétences.
Face à cette première limite, le gouvernement a réagi en imposant le 1er janvier 2022 une certification qualité appelée «Qualipio» aux prestataires qui souhaitaient bénéficier des fonds publics.
Cette mesure, en principe bienvenue, a pourtant engendré des conséquences peu heureuses.
Les tâches administratives ont été plus lourdes pour les organismes. Mais surtout, la Caisse des dépôts et consignations a exigé d’uniformiser la prestation pour qu’elle soit plus fiable.
Ce qui non seulement entrave toute possible innovation, mais délaisse complétement l’aspect humain de cette prestation. Puisque chaque parcours et personne sont uniques, chaque prestation devrait l’être.
Une prestation qui ne répond pas aux besoins du client
Enfin, la troisième limite est que le bilan de compétences est souvent réduit à un accompagnement excessivement réducteur, et donc insuffisant.
De nombreux déçus du bilan de compétences relatent la même expérience: «Cela ne m'a servi à rien. Je n’ai fait que cocher des cases et faire des tests pour aboutir à un projet que je n'ai jamais mis en place tellement il était loin de mes aspirations.»
Selon l’expérience de Marie Eve Dausset, beaucoup d’organismes obligent leur consultant à proposer à tout prix un projet professionnel à leur client. Quitte à faire totalement l’impasse sur leur réflexion personnelle.
Cette approche créée de la frustration puisqu’elle ne répond pas au vrai but du client ayant entrepris un bilan de compétences: celui de s’épanouir professionnellement.
Pour que le bilan de compétences retrouve tout son attrait et sa raison d’être, il doit délaisser les QCM pour offrir un accompagnement centré sur l’individu et aligné sur ses aspirations profondes.
Comment faire évoluer le bilan de compétences?
Analyse de la pertinence du terme «bilan de compétences»
Selon Marie Eve Dausset: «le terme "bilan de compétences" suscite des questionnements quant à sa pertinence.»
Ses arguments font plutôt mouche.
«Bilan» est effectivement un mot appartenant au vocabulaire de la comptabilité. Il évoque essentiellement ce qui a été accompli dans le passé. Or, l’important lors d’une réorientation professionnelle est la projection vers l’avenir.
Quant au vocable «compétences», il porte moins à défaut puisque les compétences déjà acquises peuvent être transférables dans un autre emploi. Quant à celles qui nous manquent, elle peuvent être développées à l’avenir.
Outre le fait de lui choisir un nouveau nom de baptême, repenser le bilan de compétences consiste essentiellement à passer d’une prestation standardisée à un accompagnement qui soit du «sur mesure».
Pour ce faire, la prestation doit répondre à de nouvelles exigences.
Repenser le bilan de compétences: vers un accompagnement sur-mesure
Ne pas se fixer sur la création d’un projet professionnel finalisé.
Au début de la prestation, il convient plutôt de se concentrer sur la démarche du client. Qu’est ce qui le pousse à vouloir changer sa vie professionnelle?
L’accompagnement ne doit plus se réduire à un simple reclassement.
Le prestataire ne doit pas simplement proposer un poste équivalent ou conseiller une nouvelle voie professionnelle. Il doit plutôt aider son client à s’approprier pleinement sa reconversion. A le rendre pleinement acteur de son changement.
Pour ce faire, l’accompagnateur doit aider la personne à conscientiser sa démarche. L’aider à comprendre ce qu'elle recherche réellement et quel est son désir profond.
Pour ce faire, Marie Eve Dausset préconise d’évoquer la vie personnelle du client, afin de comprendre le cheminement qui l’a amené vers son ancienne profession. Cette réflexion a pour but d’aider la personne à identifier son comportement et son fonctionnement dans le monde professionnel.
Oublier les outils standards comme les listes de métier à cocher ou les tests de personnalités.
Il ne s’agit pas d’abandonner les outils. Il s’agit simplement de pas utiliser les mêmes outils avec tout le monde. Dausset propose également d’élargir son trousseau d’outils en y intégrant des outils inspirés par l’écriture-thérapeutique ou l’art-thérapie.
Ces outils ont pour but de stimuler la réflexion et les émotions du client afin qu’il puisse explorer différentes perspectives et clarifier ses aspirations.
Quelles sont les conditions d’un accompagnement professionnel réussi?
Un accompagnement holistique
Un accompagnement professionnel réussi est celui où la personne a une vision claire de son devenir professionnelle.
Elle a commencé la prestation dans le brouillard en ne sachant que faire ou vaguement. Elle en ressort ragaillardie, assurée avec la conviction d’être pleinement actrice de son changement.
Voici les étapes et les conditions essentielles à réunir pour y parvenir :
La première séance consiste à instaurer un climat de confiance pour susciter le plein engagement du client. Une fois cette alliance entendue, Marie Eve Dausset lui impose un premier travail personnel.
Il devra pour la deuxième séance préparer un récit de sa vie en veillant à mettre en lumière les éléments qui ont pu influencer son orientation professionnelle.
Quand vient la seconde séance, le client arrive «plein de leurs histoires» avec l’envie de partager son parcours.
Lors du récit, l’accompagnateur doit très peu intervenir. Il doit seulement se contenter de demander des précisions si besoin.
Par exemple: «Vous commencez votre récit à l’obtention de votre bac. Mais j’ai besoin d’un cadre plus large. Comment s’est passé votre petite enfance ? Quel enfant étiez-vous ? Quelle était votre relation à l’école ? Que faisaient vos parents»
Cette étape permet de mettre en lumière les expériences passées, les forces familiales en présence, les logiques et les croyances qui les sous-tendent. C’est une démarche nécessaire pour comprendre les motivations profondes du client.
Un accompagnement réussi commence donc toujours par une approche globale, holistique, qui prend en compte l'histoire de vie de la personne.
Révéler les désirs et dissiper les doutes
Les autres séances se concentrent sur les deux autres conditions d’un accompagnement réussi. La première étant de révéler les rêves, les passions ainsi que les éléments nécessaires à un épanouissement professionnel.
Pour ce faire, Marie Eve Dausset s’emploie à deux grandes étapes:
Faire le tri.
Autrement dit, aider la personne à distinguer ce qui lui appartient vraiment de ce qui ne lui appartient pas. Cela lui permet de définir ses priorités et ses aspirations professionnelles et de conscientiser ses rêves et ses désirs.
Trouver son mode de fonctionnement et choisir une posture.
La construction d'un projet professionnel nécessite toujours de comprendre notre choix de posture pour ne pas se tromper de poste.
Parmi ses postures, on trouve le décideur, le créatif, le concepteur, le soignant, etc. Ces postures peuvent se combiner de manière subtile pour définir des profils tels que le concepteur-créateur, l'administrateur-exécutant, le décideur-entrepreneur, ou encore le militant désintéressé.
Après ce gros travail, la dernière condition est de lever les doutes quant aux capacités du client à réaliser ses désirs. Il s’agit alors pour l’accompagnateur d’analyser les ressources de son client:
Ses compétences acquises dans le passé et qui peuvent être transférables à son nouveau projet.
Comprendre comment la personne peut utiliser différentes facettes de sa personnalité pour servir son nouveau projet.
Naturellement, le projet désiré doit être évalué en fonction de sa faisabilité et en tenant compte des exigences du monde économique. C’est à l’accompagnateur de proposer des solutions et des idées qui tiennent la route.
Accompagnement professionnel ou thérapie?
Honnêtement, il est difficile de ne pas rapprocher cette évolution du bilan de compétences d’une séance de thérapie.
Des similarités sont évidentes (notamment le récit de vie) et aux dires de Marie Eve Dausset, certains clients font un bilan de compétences pour éviter d’aller chez le psy.
Malgré tout, l’auteure défend la distinction entre le rôle de l'accompagnateur et celui du thérapeute:
«Mon métier est complexe et subtil, touchant profondément l'individu. Si des problèmes personnels émergent au cours des discussions, mon cabinet n'est pas l'endroit pour les résoudre, mais plutôt pour analyser leur impact sur la sphère professionnelle. […]
Si certains aspects de la personne guérissent, cela découle de l'expérience, des intentions de la personne et de l'énergie bienveillante partagée. La frontière entre être mieux au travail et aller mieux de façon générale est ténue.»
On ne peut lui donner tort.
Si nous souhaitons que le bilan de compétences cesse d’être une perte de temps, il n’y a d’autre choix que de sortir de la superficialité pour entamer un travail plus en profondeur.
Qui y perdrait?
Personne, car tout le monde serait gagnant.
Les clients bénéficieraient d’une bien meilleure aide. Quant aux consultants, leur métier serait beaucoup plus enrichissant et valorisant.
Source: Marie Eve Dausset, Le bilan de compétences autrement, Gereso, 2023
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