L’alcoolisme en France : entre maladie chronique et tabou social
Publié le 28/10/2021, mis à jour le 30/10/2024
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L’alcoolisme en France : entre maladie chronique et tabou social
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Une Plongée dans l’addiction et les solutions
L’alcoolisme est une maladie chronique qui se développe sur des dizaines d’années. Au fil du temps, la personne s’accoutume à boire de grandes quantités d’alcool, jusqu’au jour où elle tombe dans la dépendance.
Cette maladie est à la fois la première addiction des Français et un mal tabou, responsable de 40 000 décès annuels en France, et de plus de 7 % des maladies et décès prématurés en Europe.
Bien qu’étant un enjeu de santé publique déclaré, l’alcoolisme reste difficile à combattre.
Ensuite, parce que l’alcool est un produit vicieux. Si on n’y prend pas garde, notre consommation peut devenir régulière, puis indispensable, jusqu’à créer une dépendance. L’alcool n’est alors plus associé à la joie de vivre mais à la souffrance.
De fait, combien de violences, d’accidents, de viols, de suicides ou de meurtres sont causés par l’usage abusif de l’alcool ?
Comment faire pour rompre l’enfermement dans lequel nombre de personnes alcooliques se trouvent ?
N’est-il pas temps de mettre encore plus en garde sur les risques d’une consommation importante d’alcool, qui peut avoir les mêmes effets qu’une drogue dure chez certaines personnes ?
Pour mieux comprendre les enjeux de l’alcoolisme et comment sortir de ce mal chronique, nous rencontrons Michel Craplet, médecin alcoologue engagé depuis 35 ans dans la prévention du risque de l’alcool et l’auteur de « l’alcool, première addiction » (Odile Jacob, 2021).
L’alcoolisme, un mal Français refoulé
L’autocensure sociale
Vous commencez votre livre en dénonçant la banalisation de l’alcoolisme avec l’usage répété du mot « addiction » pour éviter de dire le mot « alcoolisme ».
MC : A l’origine, l’alcoolisme est un mot médical inventé au XIXème siècle pour remplacer le terme d’« ivrognerie ». En devenant alcoolique, l’ivrogne n’est plus un délinquant mais un malade qui a besoin de soin. Seulement, au fil du temps, le mot « alcoolique » est devenu aussi péjoratif que celui d’« ivrogne ». On préfère aujourd’hui parler d’addiction, un terme plus moderne et branché.
Quelle est la conséquence de ce néologisme ?
MC : Les mots comme « alcoolisme » et « alcoologie » disparaissent des médias et des discours. Ce qui est très préoccupant car l’addiction à l’alcool représente 80 % des problèmes de violence liés aux addictions.
Il y a une relation établie entre l’alcool et l’inceste. Sauf qu’aucun média n’ose l’aborder.
Dans les violences faites aux femmes, 30 à 40 % des agresseurs et victimes abusent de l’alcool. Lors de grandes réunions sur ce sujet, les associations spécialisées ont demandé d’aborder la question de l’alcool. Cela n’a jamais été possible, les autorités ministérielles n’ont même pas daigné répondre à ces associations.
Comment expliquez-vous ce refoulement ?
MC : Les enjeux économiques et la pression des lobbies existent, mais notre histoire et nos racines culturelles doivent aussi être prises en compte. L’alcool est enterré très profondément dans notre inconscient collectif. Depuis les Gaulois qui ont mis en tonneaux le vin apporté par les Romains, nous avons un rapport très particulier avec cette boisson. Arracher une vigne, c’est nous arracher le cœur.
Le client étant roi, le garçon s’exécutait à chaque fois que ce client revenait pour demander la même chose.
Un jour, le garçon osa lui en demander la raison. Le client lui expliqua que lors de la libération de la France en 1944, un soldat Américain lui avait sauvé la vie et qu’ils avaient décidé qu’ils boiraient systématiquement un verre à la santé de l’autre de part et d’autre de l’Atlantique chaque fois qu’ils s’en serviraient.
Un jour, le client demande un whisky.
Le garçon s’approche avec compassion :
– Alors… votre camarade est malheureusement décédé.
– Pas du tout, lui répond le client, tout va très bien, mais moi j’ai arrêté de boire !
Pourquoi avez-vous choisi de partager cet extrait ?
MC : Cette blague dit beaucoup de vérités de l’alcoologie. Elle explique comment on peut se faire croire soi-même qu’on ne boit plus.
A quel moment doit-on s’inquiéter de sa consommation d’alcool ?
A partir du moment où elle n’est pas ordinaire. Cela reste difficile à définir car les ruses de notre inconscient ne sont pas toujours évidentes à percevoir. Une patiente racontait avoir pris l’habitude de boire une flûte de champagne en prenant son bain moussant pour se détendre le soir. Puis un jour elle s’est aperçue qu’elle prenait 10 bains par jour pour avoir ses 10 flûtes.
Néanmoins, contrairement aux croyances collectives, la question de la quantité d’alcool bue n’est pas aussi importante que celle de la motivation. « Quel est notre objectif quand on boit ? » est la question fondamentale à se poser.
L’alcoolisme, entre mythes et réalités
Sommes-nous tous égaux face à l’alcool ?
MC : Non à cause de deux paramètres :
Le taux d’alcoolémie qui varie selon le poids et le sexe. A consommation égale, le taux d’alcoolémie des femmes est plus élevé que celui des hommes.
La décroissance, c’est-à-dire l’élimination de l’alcool, qui est très variable selon les individus en fonction de leur métabolisme (et non du poids et du sexe). C’est de l’ordre de 1 à 5. Certains éliminent l’alcool 5 fois plus vite que d’autres.
Est-ce que la consommation d’alcool présente des bénéfices pour la santé ?
MC : A la fin des années 1970, une étude déduit que les Crétois font moins d’infarctus que les Finlandais grâce au vin qu’ils buvaient. C’était faux. Aujourd’hui, on sait que la différence s’explique par le régime méditerranéen et la manière de vivre.
L’éthanol, la molécule de l’alcool, n’a presque aucun intérêt thérapeutique. On ne pourrait pas en prescrire comme médicament car les doses dangereuses sont trop proches des doses efficaces.
Le seul effet protecteur existerait vers l’âge de 50 ans et selon deux conditions : avoir le bon métabolisme et boire de l’alcool en petite quantité. Malheureusement avec l’âge, cet effet protecteur s’estompe.
Un dépendant peut-il gérer seul sa consommation ?
MC : Essayer de se gérer seul est une perte de temps. La personne reste focalisée sur la question de la quantité, au lieu de s’interroger sur ses raisons de boire.
Ceux qui ont un problème avec l’alcool sont allergiques à l’alcool, dans le sens où ils ont une réaction particulière à ce produit. Alors que tous les allergènes sont aujourd’hui bien connus, personne n’évoque le plus dangereux qui est l’alcool.
Le rôle des proches, entre sabotage et salut
Dans votre livre, vous soulignez l’importance de l’entourage dans la prise en charge du dépendant : « le conjoint, les enfants, les amis, les collègues, tous les proches interviennent dans le problème activement par leur réaction d’agressivité et de rejet, ou passivement par leur laisser-faire. »
A ce titre, vous évoquez le principe de codépendance avec l’exemple d’une femme alcoolique, abstinente, dont le mari souhaite l’emmener en voyage en Bourgogne pour visiter les châteaux et les caves.
Comment se manifeste la codépendance ?
MC : L’exemple cité est un cas extrême. Le mari, qui devrait être heureux du choix de son épouse d’arrêter de consommer de l’alcool, s’arrange pour la faire rechuter. Quel intérêt avait-il de sa dépendance ? Était-elle soumise à certains désirs qu’il pouvait exprimer ? Ou tout simplement, en arrêtant l’alcool, a-t-elle retrouvé son autonomie et l’envie de prendre ses décisions pour elle-même ?
La codépendance s’inscrit toujours dans un processus compliqué où l’entourage n’est pas dépendant de la boisson mais d’une situation inextricable.
Comment bien accompagner un proche dépendant à l’alcool ou en sevrage ?
MC : Il y a différentes voies : le proche peut aller en consultation de son côté, participer à des groupes de parole ou aux consultations de son conjoint ou parent.
Le sevrage est un travail à plein temps. Avant de pouvoir affronter les situations où l’alcool est présent (dîner entre amis), il faut d’abord apprendre à éviter les pièges, les tentations, ainsi que mettre en place différentes stratégies et astuces pour éviter l’alcool.
Ceux qui sont les plus amènes d’aider les malades sont les rétablis. Leur expérience de vie est plus que précieuse pour puiser de bons conseils, et retrouver le chemin pour « vivre pleinement avec modération » selon l’expression fétiche du Dr Michel Craplet.
Must read : L'Alcool, première addiction, Michel Craplet (Auteur) Pour sortir d'un mal chronique
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