Plus de la moitié des Français connaissent une personne dans leur entourage personnel et professionnel, dont ils pensent qu’elle a un problème avec l’alcool. L’alcool est la deuxième cause de mortalité prématurée en France après le tabac, et est devenu la première cause d’hospitalisation en France notamment des femmes et des jeunes.
Ex-cadre supérieur d’une multinationale, frappée par la maladie alcoolique qui lui fit, entre autres, perdre son poste, et abstinente depuis 10 ans, Laurence Cottet dédie sa vie à la prévention de cette addiction destructrice.
Devenue patiente experte en addictologie, elle a fondée France de Janvier sobre et à l’origine de l’initiative citoyenne janvier sobre – mois national Prévention Alcool. En plus d’être l’auteure des livres « Non ! J’ai arrêté » et « petit guide pour réussir son mois sobre » chez Interéditions.
Dans cette retranscription du podcast, Laurence Cottet nous raconte comment l’alcool est rentré dans sa vie, comment a démarré son alcoolisme et ce qu’implique le mois de janvier sobre.
Comment l’alcool rentre dans une vie ?
L’adolescence : doucement mais sûrement
Comment l’alcool est rentré dans votre vie ?
Laurence Cottet : L’alcool est rentré d’une manière très silencieuse dans ma vie et dans mon corps.
Très jeune, j’ai commencé à beaucoup trop picoler vers 15-16 ans. C’est comme cela que s’est installé tout doucement cet alcoolisme qui est finalement une maladie, ce que j’ignorais à l’époque.
L’alcool devient une obsession, quelles que soient vos obligations familiales, professionnelles ou autre, vous les mettez de côté, parce qu’il n’y a qu’une chose qui compte, c’est de trouver de l’alcool pour assouvir votre addiction.
Comment à 15 ans, peut-on rentrer dans une consommation excessive ? Surtout que vous venez d’une famille éduquée et bourgeoise ?
Laurence Cottet : Vers 15 ans, j’ai quitté très rapidement le foyer familial parce qu’il n’était pas idéal. Je me retrouvais dans des groupes d’amis plutôt argentés où l’alcool coulait à flot et j’étais la petite qui faisait rigoler tout le monde. Je me souviens très bien que vers 5-6h du matin je n’arrivai pas à dormir tellement ça tournait dans ma tête, j’étais malade tellement j’étais ivre.
Mon histoire n’a rien d’extraordinaire, c’est très courant quand vous posez la question aux jeunes. Certains s’adonnent au jeu du binge drinking, qui est une défonce extrême, c’est-à-dire qu’on boit le plus possible dans un temps très court et on essaie de s’effondrer le moins vite possible. Ils sont ivres, certains font des comas éthyliques, certains se retrouvent aux urgences les vendredis et samedis soirs. A l’époque, je le faisais par mimétisme, je faisais comme les grands, mais ce n’était pas un jeu c’était une manière de fêter le week-end. Aujourd’hui, les jeunes jouent avec l’alcool.
De la maladie à la guérison
A partir de quel moment aviez-vous eu conscience de votre problème avec l’alcool ?
LC : Vers 35-36 ans. A 35 ans, je suis déjà bien dans l’alcool festif, sauf que j’ai mon mari à mes côtés. Malheureusement, Pierre va décéder de façon dramatique et violente dans mes bras. En une année, je vais complètement m’enivrer tous les soirs avec les 300 bouteilles qu’il m’avait laissées dans sa cave parce qu’il était féru d’œnologie.
L’alcool devient comme un pansement sur ce deuil que je gère très mal. En une année je bascule dans la dépendance, mais tout simplement parce que j’avais démarré une consommation excessive très tôt, à 15 ans, donc mon cerveau était déjà habitué.
Je vais traîner ça jusqu’à 48 ans, jusqu’au jour fatidique où je m’effondre ivre morte à la cérémonie des vœux dans le grand groupe où je travaillais, je touche le fond et je perds tout.
C’est le 23 janvier 2009 que vous évoquez, où vous étiez au bord du précipice avec le choix de vivre ou de mourir.
LC : Ce jour-là je touche le fond, mais avec le recul je me dis souvent que c’est la plus belle journée de ma vie. Sur le moment, ce n’est pas agréable, je perds mon travail, ma dignité de femme, les quelques amis que j’avais. Je perds tout sauf la vie.
A partir de ce jour-là, je vais enfin rencontrer un médecin qui me dit : « mais madame, ce n’est pas votre faute, vous êtes tout simplement malade, votre cas n’est pas désespéré, je peux vous aider ». Cela m’a complètement déculpabilisé, je ne savais pas que c’était une maladie. J’en avais honte, je me cachais et donc je ne soignais pas. Ces mots ont fait tomber cette honte et je vais enfin pouvoir me soigner durablement.
Les 3 facteurs de l’addiction
Derrière l’alcool
Est-ce que ce n’est pas un jeu qui cache l’envie de combler un vide, une souffrance psychologique ou c’est quelque chose qui vient comme ça de manière très légère ?
LC : Avec le recul, je sais que je comblais un vide affectif. J’ai quitté le foyer familial très jeune parce qu’il n’y avait pas beaucoup de tendresse me concernant. Ce manque d’affection m’a poursuivi quasiment toute ma vie, sauf que j’ai eu la chance de tomber sur un homme, Pierre, qui m’a beaucoup aimé et comblé d’amour et de tendresse. Malheureusement, il part beaucoup trop vite et à 35 ans je me retrouve à nouveau devant un vide abyssal de manque de tendresse que je comble avec l’alcool et d’autres drogues.
On est souvent en polyaddiction. Pour moi, il y avait l’alcool et la bouffe, ce qui est très courant chez les femmes. J’ai aussi abusé de psychotropes, d’anxiolytiques, de somnifères, d’antidépresseurs, etc. parce que j’étais quand même suivie par des psychiatres.
Or, ils ont parfois la prescription facile et légère et j’en abusais, parce qu’il n’y avait pas de contrôle de ce côté. Enfin, il y avait et un petit peu de cocaïne aussi. Quand on m’en proposait en soirée, je la prenais. Donc tout cela fait beaucoup.
Si on veut sortir d’une addiction, quelle qu’elle soit, il faut travailler sur ce qui se cache derrière le produit, ce que j’ai fait et en ce qui me concerne, c’est un vide d’amour.
La personne, l’environnement et le produit
On comprend dans votre livre que l’alcool est venu très tôt dans votre vie pour fuir votre environnement familial. En revanche, vous dites également que vous êtes devenue alcoolique sur votre lieu de travail
LC : On dit souvent que devenir addict, c’est la rencontre de 3 paramètres : la personne, l’environnement et le produit. Pour ce qui est de l’environnement, j’ai fait une très belle carrière professionnelle mais toujours dans un milieu très masculin. En tant que femme, j’avais du mal à me faire ma place. Bêtement je me disais que si je refusais un verre de whisky ou de champagne, l’intégration aurait été beaucoup plus compliquée.
Quant au produit, il était présent. Le secteur du BTP c’est un secteur où l’alcool est présent, de bonne qualité et gratuit. Il est présent aussi bien dans les bureaux que dans les cabanes de chantier. C’est pour cela aujourd’hui que je fais beaucoup de formation dans le monde du BTP puisque je suis également la marraine d’un très beau concept qui s’appelle Déclic Addiction et qui a été mis en place par la Fondation du BTP pour des formations dans toutes les entreprises de ce secteur.
Qu’est-ce que le Janvier sobre ?
Conscientiser sa relation à l’alcool
Aujourd’hui, à travers vos actions, vous ne militez pas pour une abstinence totale de l’alcool, pourquoi ?
LC : Je suis pour une abstinence totale pour une personne comme moi, droguée à l’alcool, là il n’y a pas de discussion. J’ai longtemps essayé de réduire ma consommation mais cela ne marche pas. Le cerveau est complètement imbibé d’alcool, il ne faut surtout pas réactiver les cellules. La meilleure solution, c’est l’abstinence totale, ce que je fais depuis 10 ans et cela ne me pose aucun problème alors même que mes meilleurs amis continuent à boire dans la modération.
Qu’implique le mois de janvier sobre ?
LC : Je propose le mois de janvier sobre où l’on boit peu de boisson alcoolisée. Le janvier sobre permet de donner des informations sur ce qu’est l’alcool et de bien faire la différence entre l’alcool plaisir et l’alcool à risque.
L’alcool plaisir, c’est le fait de déguster un bon verre d’alcool, d’arrêter de le boire si on ne le déguste plus, de le consommer toujours avec un aliment et surtout de respecter les repères de consommation à moindre risque posés par Santé Publique France qui sont de 2 verres par jour et pas tous les jours.
LC : Au cours du mois de janvier sobre, on se pose la question de sa relation à l’alcool, on se teste avec des défis. Par exemple, si tous les soirs j’ai l’habitude de prendre un verre de whisky, on arrête de le prendre un soir et/ou toute la semaine et on regarde comment ça se passe. Si cela s’avère compliqué, on va en parler tout simplement à une personne qui peut être un alcoolique abstinent, son médecin traitant, un médecin addictologue, etc. L’important est de savoir se poser la question de sa relation à l’alcool respecte les normes ou si elle est problématique.
Lumière sur l’alcoolisme féminin
Vous dites dans votre livre, que la première cause d’hospitalisation en France est liée à l’alcool et qu’elle est très dominante chez les femmes et les jeunes.
Je gère beaucoup de groupes de parole et d’ateliers thérapeutiques et je suis un peu effrayée. Depuis quelques années, je vois beaucoup de jeunes, notamment des femmes qui ont 23-24 ans complètement droguées à l’alcool comme j’ai pu l’être. C’est dramatique parce qu’à leur âge, on a encore toute la vie devant soi et l’alcool sera là. Comment vont-ils faire en soirée ou ailleurs ? C’est d’autant plus difficile pour eux de résister qu’une personne comme moi à l’aube des 60 ans.
On est en train de casser un tabou : celui l’alcoolisme féminin.
LC : L’alcool est beaucoup mieux accepté chez l’homme. Une femme qui boit est automatiquement considérée comme une pochtronne, une femme facile, elle le sait et donc elle va se cacher. C’est tout le sens de mon message à visage découvert. J’ai été une des premières à en parler en 2014.
Il faut le faire, notamment pour toutes les femmes qui se cachent, et qu’on estime être entre 500 000 et 1 million. On n’a pas même pas de statistiques précises. Mais je peux vous dire qu’elles existent, parce que je suis beaucoup d’entre elles dans le cadre de la clinique addictologique de Grenoble et d’addict’elles, une association ouverte aux femmes fondée en 2018 par le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve. Il y a beaucoup de femmes de tout âge, de toute catégorie socio-professionnelle et de niveaux intellectuels divers.
Si vous aviez un ou plusieurs derniers mots à partager , quels seraient-ils ?
LC : Si vous vous interrogez, si vous pensez avoir un problème avec l’alcool, ne restez surtout pas seul(e), allez en parler à quelqu’un.
Propos de Laurence Cottet recueillis par Amal Dadolle
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