L’école républicaine et méritocratique remise en question
Retour sur un mythe
La méritocratie implique la notion de mérite individuel déterminé par les aptitudes et le travail de chacun. Un concept idéologique séduisant, empreint de justice sociale, qui a su conquérir les sociétés démocratiques, où nous jaugeons l’intelligence et le mérite d’une personne en fonction de sa position sociale.
Kate Pickett, professeur d’épidémiologie et membre du personnel scientifique du National Institute for Health Research, et Richard Wilkinson, professeur émérite d’épidémiologie sociale à l’université de Notthingham, ont rassemblé les diverses études sur la méritocratie.
Leurs résultats sont similaires : notre position sociale ne dépend pas de nos capacités initiales mais de notre milieu socio-économique d’origine. Pour le dire autrement, le déterminisme social est loin d’être une histoire ancienne, et une certaine aristocratie bourgeoise continue de prospérer.
Ascenseur social en panne
Dans les milieux favorisés, les parents accordent beaucoup d’importance à la réussite scolaire et la poursuite d’études supérieures de leurs enfants. Ce qui n’est pas forcément systématique dans les milieux moins favorisés.
On pourrait s’en étonner, car l’école pourrait au fond permettre à leurs enfants de mieux gagner leur vie qu’eux. Seulement, nous savons depuis les travaux* des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron sur la reproduction sociale à l’école française que les choses ne sont pas si simples.
De l’inégalité des chances à l’école
L’école reproduit les classes sociales
En sociologie, on ne compte plus les travaux menés en Occident pour mettre en évidence les dégâts cognitifs subis par les enfants qui vivent dans la pauvreté. Tous mènent à la même conclusion : les inégalités sociales engendrent les inégalités scolaires.
L’expérience de l’inégalité compromet la capacité des parents à créer un environnement nourrissant et stimulant pour leurs enfants, privant ces derniers de certains ingrédients essentiels à leur développement et à leur réussite scolaire. Les enfants nés de parents avec métiers libéraux ou intellectuels sont exposés à un capital culturel et intellectuel beaucoup plus riche que les autres.
Les études pratiques pour illustrer la théorie ne manque pas. Une équipe de recherche aux Etats-Unis a utilisé des IRM cérébrales pour mesurer le volume de matière grise de tous jeunes enfants. « A 5 mois, les différences ne semblaient correspondre à aucune hiérarchie précise, mais à 4 ans il devenait clair que la matière grise était moins développée d’environ 10 % chez les enfants de familles pauvres, comparés à ceux des familles plus aisées. »
Si la méritocratie scolaire n’a pas vraiment lieu dans les pays comme les Etats-Unis ou la France où les inégalités entre catégories sociales sont fortes, qu’en est-il dans les pays où les revenus sont plus égaux ?
Comparaison entre pays égaux et inégaux
Dans les classements des pays, l’OCDE en a un dévolu à la résilience scolaire. La résilience scolaire, c’est la capacité d’un enfant à réussir à l’école, ses études et le faire sortir de son milieu social d’origine.
Sans surprises, les enfants capables de davantage de résilience scolaire habitent dans des pays où règnent de moins grandes disparités économiques, comme le Canada, la Finlande et le Japon. Ces pays obtiennent globalement de bons résultats avec leurs enfants qui réussissent bien à l’école, quel que soit leur origine sociale.
Si méritocratie il peut y avoir, c’est donc dans les pays où l’égalitarisme et la mixité sociale ne sont pas des concepts abstraits mais une réalité. Quelles sont alors les raisons qui entravent la résilience scolaire des enfants dans les sociétés plus inégales ?
Comment une société inégalitaire impacte les enfants
Les malheurs des grands n’épargnent pas les petits
La réponse est somme toute simple : l’inégalité sociale dégrade non seulement les rapports sociaux mais aussi les relations familiales. On le sait, là où règne la précarité, les parents sont plus nombreux à souffrir de problèmes mentaux tels que la dépression, l’anxiété, l’abus de drogue ou d’alcool. Ce qui compromet leur capacité à procurer un cadre de croissance et d’épanouissement optimal dont leurs enfants ont besoin pour s’épanouir.
D’ailleurs, les études mentionnées par Kate Pickett et Richard Wilkinson démontrent que c’est n’est pas le fait d’être parent isolé qui génère des dégâts, mais la pauvreté dans laquelle beaucoup de ces personnes vivent.
L’inégalité sociale accentue l’angoisse du statut chez les adultes, émousse l’empathie et la solidarité et renforce la tendance à l’auto-valorisation, c’est-à-dire à se prétendre meilleur que les autres.
Or les enfants sont des éponges, ils ressentent les ambiances de leurs familles, et sont nécessairement affectés par le malheur et les soucis de leurs parents. Ils prennent vite conscience qu’il y a des gens riches et des gens pauvres. Ils sont capables de se repérer entre eux par leurs vêtements, la voiture des parents, leur logement, où se situe leur famille dans la hiérarchie sociale.
Pourquoi l’école ne peut qu’échouer ?
Pour les professeurs en épidémiologie, l’origine de l’échec se trouve dans le système : on demande aux écoles, aux instituteurs et à des professeurs surmenés de faire disparaître les écarts scolaires entre leurs élèves, alors qu’ils n’ont aucune prise sur le contexte social de pauvreté et d’inégalité qui les crée.
Les enseignants ne peuvent rien faire d’autre qu’en constater leurs conséquences, dont deux majeures : le harcèlement et racket scolaire et les abandons scolaires des enfants issus des classes populaires, voire même des classes moyennes.
Pickett et Wilkinson concluent ainsi :
L’inégalité, de même que la pauvreté, crée des cycles intergénérationnels qui reproduisent les handicaps et gâchent des masses prodigieuses de compétences, de talents et de potentiels humains.
Comment peut-on y remédier ? Selon les chercheurs, « ni la croissance économique, ni une redistribution de ses fruits privilégiant le système d’éducation publique ne semblent être la panacée pour régler le problème de l’échec scolaire. »
Ce qu’il faut, c’est renverser la table pour tout repartir à zéro. Comme l’ont fait les Finlandais.
Quelles solutions pour rétablir l’égalité des chances ?
L’exemple finlandais
Il y a 40 ans, la Finlande a révolutionné son système d’enseignement en abandonnant tout processus sélectif. Qu’importent vos résultats scolaires, tout le monde peut aller à Henri IV. Côté enseignants, leur formation a évolué qualitativement et leur statut professionnel a été revalorisé. Mais ce qui était révolutionnaire pour eux, c’est l’évolution de leurs conditions de travail.
En effet, les enseignants jouissent d’une très grande autonomie pour définir leurs méthodes et le contenu de leurs cours à l’intérieur du cadre fixé par le système scolaire. Les enfants démarrent leur scolarité plus tard que dans la majorité des autres pays, passent moins de tests standardisés, et ont plus de pauses pendant la journée.
Les progrès ont été fulgurants, conduisant la Finlande en tête du classement PISA (Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves) en 2000, 2003 et 2006 et 3e en 2009. C’est aussi elle qui détient le record d’Europe pour le nombre d’élèves en résilience scolaire.
A quand une révolution française de l’Education Nationale ?
Cela fait des années que nous savons que l’école à la finlandaise est non seulement inspirant, mais aussi efficace. Ce qui peut que nous faire réfléchir en France. Quand viendra le jour où nos gouvernements seront lassés de réformer par petites touches pour enfin faire une révolution dans notre système éducatif français ? Et dans l’ensemble de notre système d’ailleurs.
Car ce n’est qu’à la condition de plus d’égalité des chances de l’école aux entreprises que l’on pourra accorder, à nouveau, du crédit à l’existence de la méritocratie.
À défaut de quoi, cela ne sera qu’un témoignage de plus de l’hypocrisie de l’élitisme républicain. La première cause de la montée d’un populisme toujours plus agressif.
*Les Héritiers, Les étudiants et la culture, Bourdieu et Passeron, 1964 & La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d'enseignement, Bourdieu et Passeron, 1970
Source : Kate Pickett & Richard Wilkinson, “Pour vivre heureux vivons égaux », éditions LLL, 2019
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