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Publié le 16/03/2022, mis à jour le 01/05/2024
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Comment faire vivre la fraternité dans nos institutions?
Qu’est-ce que la fraternité ?
Le défi de notre République ?
La devise de notre République repose sur trois magnifiques concepts : Liberté, Egalité et Fraternité.
Si les termes d’égalité et de liberté sont largement présents dans le débat citoyen, il n’en est pas de même pour la fraternité.
Et si c’était une erreur ?
Et si le fait d’introduire une réflexion politique par le biais de la fraternité solutionnerait des problèmes comme l’insécurité ou l’isolement des personnes ?
C’est la question que pose Jean-François Serres dans son dernier ouvrage « Fraternité : le défi de notre République » (L’Observatoire, 2022).
Ancien délégué général d’Emmaüs Habitat et des Petits Frères des Pauvres, Jean-François Serres est le cofondateur de l’association MONALISA, la mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées, et l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la fraternité.
Nous le recevons aujourd’hui pour comprendre quelles valeurs, engagements et pratiques sont défendus par la fraternité, ainsi que les solutions et mécanismes pour la faire vivre au sein de notre société.
Ce qu’est (et n’est pas) la fraternité
- Vous reprenez la formule de Régis Debray qui comparait la solidarité à de la « fraternité décaféinée », quelle est donc la différence entre la solidarité et la fraternité ?
- Jean-François Serres : La fraternité est constituée des relations que nous tissons les uns avec les autres. Ce sont des relations choisies en conscience, qui produisent de la solidarité, de la bienveillance, du réconfort et de l’entraide.
La solidarité, c’est la réunion de tous nos moyens pour soutenir collectivement ceux qui ont besoin d’aide. C’est ce que nous faisons en créant la protection sociale, l’aide aux chômeurs ou aux malades.
Ainsi, au contraire de la fraternité, la solidarité ne nous engage en rien à tisser des liens et des relations qui comptent.
- Comment s’incarne ou émerge la fraternité en France ?
- Jean-François Serres : Elle s’incarne ou émerge à partir des relations qui la créent. Ces relations se reconnaissent en produisant pour chacun de nous trois sentiments :
- La reconnaissance, en ayant le sentiment de compter pour quelqu’un.
- La protection, en ayant le sentiment de pouvoir compter sur quelqu’un
- La participation, en ayant le sentiment d’être engagé dans une relation.
Toutes les institutions, les organisations et les collectifs qui produisent ou qui facilitent ce type de relations sont des acteurs de la fraternité.
Il y a en premier lieu les associations, mais l’école comme le milieu du travail peuvent devenir des acteurs de la fraternité s’ils promeuvent des espaces où la solidarité, l’entraide et l’attention à l’autre sont exprimés.
Pourquoi parler de la fraternité ?
Extrait de « La Fraternité : le défi de notre République » (L’Observatoire)
« La solitude est devenue une nouvelle forme d’extrême misère dont souffrent de manière de plus en plus intense des millions de Françaises et de Français aujourd’hui. Une misère qui explique en partie l’inefficacité des politiques mises en œuvre pour réduire les ruptures qui fragilisent notre pays, nous divisent et nous désespèrent. Une misère qui nous oblige à ne plus combattre seulement les inégalités mais aussi les inexistences. »
- Pourquoi avez-vous choisi de partager cet extrait de votre livre ?
- Jean-François Serres : Aujourd’hui, 14 % des Français, soit 7 millions de gens sont en isolement social. Près d’un quart des Français n’ont des relations que dans un seul réseau, c’est-à-dire leur famille ou leurs amis. En cas de rupture avec ce réseau, c’est l’isolement social.
- En quoi la mise en place d’une politique de fraternité est une solution ?
- JFS : Mes premiers engagements professionnels m’ont conduit à devenir employé d’immeuble un quartier sensible. J’ai certes nettoyé les escaliers de l’immeuble, mais j’ai aussi créé des liens et relations d’entraide avec des personnes qui souffraient de grand isolement. Tout ce travail de fraternité construit avec d’autres personnes a été mis en difficulté, voire défait par le niveau supérieur, que cela soit les directions des différentes organisations, ou de la direction des services de la ville. Ce qui est scandaleux.
Il y a donc une nécessité de durabilité de ces projets et de valorisation des citoyens (souvent modestes et sans diplômes) qui les portent. Une politique publique de fraternité se justifie donc.
Quels sont les obstacles à l’instauration de la Fraternité ?
- Vous évoquez les résistances des hommes et femmes politiques face à la fraternité ? Quelles sont-elles ?
- JFS : Il existe trois raisons :
La fraternité est considérée comme une valeur un peu inconfortable. Les politiques redoutent qu’elle soit le cheval de Troie d’une pensée religieuse qui ne serait pas suffisamment laïque.
Les politiques ont souvent pensé que la fraternité était une initiative privée. C’est une valeur morale et intime que l’on ne peut pas légiférer. Leur discussion s’arrête souvent là.
Enfin, le manque de liberté et d’égalité constitue des combats, des revendications que tout un chacun comprend. Or, la fraternité ne fait pas l’objet de telle revendication. Personne ne descend dans la rue pour clamer : « c’est dégueulasse, je n’ai pas d’amis et suffisamment de relations ». Malheureusement, nos politiques ne comprennent que le rapport des forces.
- « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». Cette phrase de Saint François de Sales vous sert à introduire tout un chapitre dans lequel vous rappelez le scandale financier de l’ARC et des malversations de son président et fondateur. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
- JFS : Rien en fin de compte. Cette parole de sagesse nous renvoie à notre humanité. Dans une relation, nous pouvons construire de la fraternité ou de la domination et du pouvoir. Or, les institutions sont souvent extrêmement productrices de risque de pouvoir, et les associations ne sont pas à l’abri de ce risque.
A quoi ressemblerait une politique publique de fraternité ?
Rendre la fraternité vivante
- Comment se met en place une politique de fraternité au niveau d’un gouvernement ?
- JFS : Sur trois niveaux :
- En mettant en place des équipes citoyennes partout sur le territoire. Où que vous soyez en France, vous trouverez ces équipes qui seront chargées de la convivialité du quartier au travers d’actions, projets et rencontres, ainsi que de l’accueil des plus vulnérables.
- Les collectivités territoriales seront chargées d’animer la coopération de l’ensemble des acteurs (à commencer par les grandes associations) qui peuvent soutenir ce maillage d’équipes citoyennes.
- Au niveau national, ce projet doit être inscrit dans les axes du gouvernement, et doit être incarné par un ministre ou un délégué autonome et surtout interministériel. L’isolement social concerne effectivement à la fois les politiques de santé, d’habitat, d’éducation, d’aménagement et cohésion du territoire etc.
- Comment, simple citoyenne, puis je aider à créer des liens fraternels ? Dois-je obligatoirement m’engager dans une association ?
- JFS : Non, bien sûr, on peut être porteur de fraternité sans être engagé dans une organisation ou une association. Notre capacité à être dans l’entraide, dans l’empathie, la précaution, l’encouragement et le réconfort fait partie de l’œuvre de fraternité.
- Toutefois, en s’engageant dans un collectif, on a beaucoup plus de force pour répondre à des besoins difficiles à prendre en charge si nous sommes seuls. La fraternité trouve sa puissance dans le collectif.
Ainsi, beaucoup de gens n’osent pas rendre visite à un voisin, qui est une personne âgée et isolée. Ils doutent de leur capacité à tenir dans le temps un tel engagement. Que se passera-t-il s’ils veulent partir en vacances ou déménager ? De telles questions ne se posent pas quand nous faisons partie d’un collectif, où il est plus facile de s’organiser et de faire des relais auprès du voisin.
Le chemin se faisant en marchant
Liberté, Egalité, Fraternité. Ces trois principes au fondement de notre République méritent que nous continuions à les chérir et les défendre. Car, comme le rappelle Antonio Machado, « le chemin se faisant en marchant », rien n’est jamais acquis ou gagné.
Il faut pour cela revoir régulièrement les conditions qui rendent patente notre devise.
A cet égard, s’il est assez commun de croire en la Liberté et en l’Egalité, il semble que la Fraternité soit le moteur des deux. Voire même la condition pour qu’elles s’incarnent pleinement. Sans fausses notes.
Article partir des propos de Jean-François Serres recueillis par Amal Dadolle
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Publié le 16/03/2022, mis à jour le 01/05/2024