Il y a une dizaine d’années, deux prestigieux universitaires américains, élaborèrent la théorie du Nudge dans leur ouvrage commun : « Nudge. Comment inspirer la bonne décision » (Vuibert, 2010).
Le premier est Richard H. Thaler, professeur d’économie et de sciences comportementales à l’université de Chicago, également prix Nobel d’économie 2017.
Cass R. Sunstein, le second, est un juriste de renommée internationale, professeur de droit à Harvard, qui conseilla le Président Barack Obama.
La théorie du Nudge, signifiant en anglais « coup de coude », a été pensée pour orienter, sans pression et contrainte, les choix et les comportements des individus, en agissant sur le contexte et l’environnement.
Quel est l’intérêt du Nudge ?
Bien-être individuel et collectif
D’une part l’intérêt est politique. Au regard des différents enjeux sociétaux, notamment sanitaires et écologiques, le Nudge répond à la nécessité des gouvernements d’accompagner les citoyens à changer, et à adopter de nouveaux comportements de vie.
D’autre part, cette théorie a été pensée suite au constat que nous ne faisons pas toujours des choix rationnels et utiles à notre bien-être. En effet la connaissance d'une information n'est pas suffisante pour nous inciter à prendre les bonnes décisions. Elle crée l’intention, mais ne nous aident pas toujours à passer à l’action.
Si tout le monde mangeait sain, faisait du sport, ne fumait pas et affrontait ses problèmes de vie à bras le corps au lieu de s’anesthésier, les comptes de la Sécurité Sociale ne seraient pas les mêmes. Mais tel n’est pas le cas.
En fait, c’est même tout le contraire. Nos choix sont plus émotionnels que rationnels parce que nous sommes soumis à des biais cognitifs, (pulsions, inerties, procrastinations, injonctions et influences sociales). Tout le but du Nudge va être d’utiliser ces biais pour nous aider à faire de meilleurs choix.
Nota Bene : Rappel des principaux biais cognitifs
Le « biais du cadrage », qui provient des questions fermées ne pouvant que nous amener à raisonner de façon binaire, et à répondre par oui ou non. Par exemple : « Doit on privilégier l’écologie sur la croissance économique ? ». Ces questions nous condamnent à ne voir que deux possibilités et excluent toute autre solution.
Le biais de confirmation, où l’on ne cherche que des informations destinées à conforter notre idée. Quelque part, le choix est déjà fait.
Le biais des émotions impulsives où notre choix est fait sous le coup de la peur ou de la colère.
Puis le biais d’autorité où nous nous décidons en fonction de l’avis d’une personne considérée comme plus compétente que nous, comme notre médecin ou supérieur hiérarchique.
Et enfin le biais de l’excès ou de déficit de confiance en nos connaissances et aptitudes pour faire un choix.
A travers la théorie du Nudge, Thaler et Sunstein promeuvent une forme de gouvernement appelée « paternalisme libertaire », qui se veut être l’équilibre entre un interventionnisme dirigiste et un laxisme total.
Comment cette théorie se présente-t-elle concrètement ?
Quelques exemples de Nudge
Quelques exemples sont connus pour être une application concrète de la théorie du Nudge :
Thaler et Sunstein rapportent l’expérience d’une directrice des cantines scolaires d’une grande ville, qui décida de changer l’emplacement des aliments. Les frites, par exemple, étaient relayées derrière les carottes râpées. Conséquence de quoi, la consommation de carottes augmenta de 25 %.
En 2011, dans les sanitaires de l’aéroport de Schiphol d’Amsterdam, les autorités ont dessiné une grosse mouche au fond de chaque urinoir. Ce qui fit bel effet, 80 % des éclaboussures d’urine disparurent.
Le Métro de Stockholm a installé un escalier musical pour encourager de façon ludique les passants à le préférer à l’escalator.
Des images morbides sur les paquets de cigarettes pour inciter les fumeurs à moins fumer
Le nutri-score que l’on trouve sur tous les produits alimentaires pour nous renseigner sur leur qualité nutritionnelle et nous inciter à choisir ceux ayant la lettre « A ».
Initialement conçue pour les pouvoirs publics, la théorie du Nudge s’est très bien adaptée au besoin des entreprises.
Que cela soit pour inciter ses collaborateurs à faire preuve de civisme, d’éco-responsabilité ou les encourager à prendre leur place ou mieux collaborer ensemble, le Nudge peut apporter des réponses efficaces.
Le Nudge, par exemple, inspira à Alan Eustace, vice-président de Google, l’idée d’adresser un courriel à ses collaboratrices pour qu’elles défendent leur travail et osent réclamer des promotions. Afin de contrebalancer leur biais cognitif (qui est ici le déficit de confiance en soi) qui les entrave souvent.
Les limites et leçons du Nudge
Vous serez peut-être surpris (ou non) d’apprendre que parmi les entreprises et pouvoirs publics ayant adopté la théorie du Nudge, y figure notre propre gouvernement.
Rappeler régulièrement l’existence de l’application Anti-Covid.
Jouer sur les normes sociales : « des millions de Français sont déjà vaccinés ».
Une pub montrant les retrouvailles d’une grand-mère avec ses petits-enfants
Il n’empêche que la stratégie qui a semblé le plus efficace, fut l’instauration du Pass sanitaire dans les cafés et bars-restaurants. Ce qui démontre les limites du Nudge.
Dès lors qu’il y a un déficit de confiance au sein d’une organisation ou d’une quelconque autorité ou d’un vaccin, le coup de pouce est inefficace. Cela serait même perçu comme une tentative dérisoire de manipulation.
Conclusion ?
Au même titre que le développement personnel, le Nudge n’est rien d’autre qu’un outil. Non une solution miracle.
Tout aussi brillants que soient les chercheurs des sciences comportementales, ils sont condamnés à ne jamais oublier qu’en ce qui concerne la nature humaine, une seule loi reste infaillible : l’imprévisibilité.
Source : Richard H. Thaler & Cass R. Sunstein, « Nudge. Comment inspirer la bonne décision », éditions Vuibert, 2010
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