Quelles sont les dérives du développement personnel?
Publié le 02/06/2021, mis à jour le 05/11/2024
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Quelles sont les dérives du développement personnel?
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Que peut-on reprocher au développement personnel?
Le développement personnel et le coaching n’ont pas que des amis. Evidemment. Dès lors qu’une personne, une pratique ou un mouvement rencontre du succès, apparaissent en même temps ses détracteurs.
Parmi les critiques, la première étant les dérives sectaires de certains mouvements et coachs.
L’autre critique, beaucoup plus répandue en France, étant que le développement personnel est une escroquerie intellectuelle destinée à ruiner les naïfs incapables de se débrouiller seuls et de lire Heidegger.
Mais limiter le développement personnel aux méthodes douteuses et aux livres tels que « Les 5 secrets du bonheur », ou au coach Américain qui harangue la foule à coup de « You can do it guys ! », c’est ne pas le connaître du tout. Et l’ignorance enduite de mépris nous commande de lui retourner la politesse.
En revanche, quand une critique est intéressante, on se doit d’en tenir compte. C’est notamment le cas de celle apportée par Thierry Jobard, un libraire spécialisé en sciences humaines et auteur du livre « Contre le développement personnel » paru aux éditions Rue de l’échiquier.
Son ouvrage s’ouvre ainsi : « Le développement personnel est probablement l’une des plus belles inventions de notre temps, il serait injuste de ne pas reconnaître les bénéfices qu’il procure et de ne pas lui accorder l’attention qu’il mérite ».
Seulement, la mission du développement personnel, qui est celle de nous faire du bien, peut être détournée et se retourner contre nous sur un plan politico-social et au sein des entreprises.
Quels sont les dangers du développement (trop) personnel?
L’abandon de la Cité
La première critique, la plus évidente, est celle que le développement personnel soit trop personnel et aboutisse à un délaissement total des enjeux politiques et sociaux, autrement dit délaisse la vie de la Cité.
Ce qui n’est pas sans danger pour une société démocratique comme l’avait écrit, presque 200 ans avant, Tocqueville.
Ce que ce génie avait vu est d’ailleurs doucement en train d’advenir. Si on regarde notre propre Cité, on constate des fractures sociales béantes, des inégalités économiques croissantes, des libertés et conditions de vie (chèrement acquises par nos grands-parents et aïeux) disparaître au nom de la nécessité de soutenir un système à bout de souffle.
Or, Thierry Jobard note que dans beaucoup de livres et conseils, les auteurs affirment que le bonheur et la santé ne dépendent que de soi-même et de quelques judicieuses méthodes pour nourrir des émotions positives.
Autrement dit, toute démarche et quête de mieux-être doit s’affranchir des problèmes et réalités économiques, politiques et sociétales.
Non seulement toutes les études en la matière prouvent le contraire, mais le bon sens suffit à en comprendre l’aberration.
La servitude volontaire
Personne n’est pas préservé du contexte politique et social dans lequel il évolue. Ou alors est-ce à affirmer (sans rire ni rougir) que les Russes sous la terreur stalinienne auraient eu une vie sereine grâce à la méditation, la pensée positive ou la pratique de la cohérence cardiaque ?
Est-ce à dire, aujourd’hui, que les inégalités sociales, les droits des femmes et les bouleversements climatiques doivent nous laisser de marbre ? Devons-nous nous libérer de cette « vilaine » émotion qu’est la colère par une petite méditation et vivre l’instant présent en sourds, aveugles et muets en attendant que cela passe ?
Si c’est le cas alors cela revient à embrasser la servitude volontaire décrite par La Boétie à 16 ans, âge où la demi-mesure est rarement conviée.
Radical, La Boétie soutient que les esclaves, plus nombreux que les maîtres, n’ont qu’à s’en prendre à eux même si leurs conditions de vie leur déplaisent. En fait, s’ils étaient honnêtes avec eux-mêmes, ils reconnaîtraient que leur position leur octroie un certain confort et plaisir qu’ils ne sont pas près de troquer contre plus de liberté, et donc de responsabilités.
L’entreprise veut-elle vraiment notre bien-être ?
Les dessous du « happy management »
S’il est un endroit où le développement personnel s’est imposé, c’est au sein du monde du travail. Et ce, pour le bien-être des collaborateurs, du moins officiellement. Mais qu’en est-il en réalité ?
D’une part, on peut s’intéresser sur les raisons qui ont poussé les entreprises à s’occuper du bien-être des individus : est-ce une démarche purement philanthropique ou calculée ? Après tout, il a été maintes fois démontré qu’un salarié est beaucoup plus productif heureux que malheureux.
Dans les années 1940-1950, les travaux en psychologie du travail d’Abraham Maslow ont dévoilé nos motivations qui découlent de nos 5 besoins. Le premier étant la survie et le second le besoin de sécurité. Dans le monde du travail, cela s’est traduit par des conditions qui permettent un stress minimum : un CDI, un salaire et des horaires fixes.
Puis, quelques décennies plus tard, les neurosciences sont arrivées et sont venues bousculer la Pyramide de Maslow en stipulant que le bonheur dépend avant tout de notre état d’esprit reposant sur le 5e besoin qui est l’estime, la confiance en soi, et le désir d’accomplissement.
Et dans une société d’abondance, où la sécurité est plus ou moins acquise, ce besoin se conçoit et devient le premier credo des entreprises. Le premier credo mais pas le premier objectif qui reste la rentabilité maximale pour un coût minimal en effectif et ressources matérielles.
Les réelles visées du développement personnel
Sous couvert de voir leurs collaborateurs s’épanouir en les rendant plus autonomes et en leur offrant une formation pour qu’ils optimisent leur flexibilité, résilience, compétences et potentiels, l’entreprise ne cherche pas à les rendre heureux mais plus efficaces.
Preuve en est, c’est que les besoins de sécurité des collaborateurs sont complètement niés. De même que l’équilibre de vie Pro/perso nécessaire à une vie bonne et heureuse.
Nous travaillons toujours plus, pour le même salaire, et dans des conditions toujours plus stressantes et insécurisantes. Des cadres supérieurs aux caissières et gardiens d’immeuble, n’importe qui peut le constater. Et tout cela dans un contexte de marché du travail toujours plus incertain.
Qui peut croire sincèrement qu’une formation et deux séminaires annuels de développement personnel empêcheront les burn-out et la consommation des anxiolytiques ?
Comment éviter les dérives du développement personnel?
Ce n’est pas tant le développement personnel que critique Thierry Jobard que son utilisation détournée dans une logique néolibérale.
Ce même modèle qui ne juge que par la croissance, l’efficacité et la rationalité. Et qui pourtant manque cruellement de ces deux dernières qualités quand il s’agit de pallier les conséquences environnementales et sociales qu’il engendre.
Grâce à diverses techniques et conseils, le développement personnel doit nous aider à mobiliser nos forces vitales qui sont physiques, mentales et intellectuelles. Il doit nous aider à rester debout, pas nous mettre à genoux et rendre supportable ce qui ne l’est pas.
En cela, le développement personnel est un outil, pas une fin en soi. Ce n’est pas une solution miracle aux problèmes qui, si elle échoue, n’est que l’effet d’un manque de volonté. Un manager qui le présente comme tel se joue de ses collaborateurs.
Pour que le développement personnel ne devienne pas une chaîne peinte en rose, instinct et intuition, confiance, conscience et esprit critique doivent lui être associés. Ce sont même précisément ces qualités que l’on doit développer.
Sans cela, il ne répond en rien à son objectif d’épanouissement et d’accomplissement. Il devient, dans le pire des cas, un outil redoutable pour voir ériger le meilleur des mondes façon Huxley.
Et qui veut de ça ?
Source : Thierry Jobard, Contre le développement personnel, éditions Rue de l’échiquier, 2021
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