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Publié le 19/01/2022, mis à jour le 26/07/2024
Conseils philosophiques
La véritable histoire du manichéisme
Pourquoi le mal existe-t-il selon le manichéisme ?
Une nouvelle lecture du manichéisme
Dire d’une personne qu’elle est manichéenne, c’est lui accréditer une pensée binaire, où le monde est un théâtre divisé entre le camp du bien et du mal, du noir et du blanc.
Cet adjectif est l’héritage d’une doctrine religieuse apparue au IIIème siècle, appelée manichéisme, en référence à Mani, son fondateur.
Jusqu’au XIXème siècle, nous ne connaissions pratiquement rien du manichéisme.
Les principales sources étaient issues de témoignages indirects, parmi lesquels Saint Augustin, l’un des quatre Pères de l’Eglise catholique, qui fut pendant 10 ans un fervent manichéen avant d’être (comme le sont tous les amoureux déçus) son principal adversaire.
De ces maigres informations, le manichéisme est apparu comme une doctrine dualiste, prônant un monde divisé entre deux entités incompatibles et irréconciliables : les Lumières et les Ténèbres.
Et puis des fouilles et découvertes archéologiques bougèrent les lignes.
De nouveaux textes furent découverts et une nouvelle lecture du Manichéisme apparut, dont celle de Roland van Vliet (1960-2016) intitulée « Le Manichéisme, un christianisme de liberté et d’amour » (Triades, 2012).
Né au Pays-Bas, docteur en philosophie, auteur et conférencier, Roland van Vliet a été reconnu comme l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire et de l’émergence des principes du manichéisme.
Ses travaux de recherche l’ont mené à deux conclusions : non seulement le manichéisme n’a rien d’une doctrine binaire et dépressive, mais elle est au contraire pleine de tolérance, d’espérance et résolue à résoudre le mystère du mal.
Avant d’en savoir plus, présentons brièvement Mani, prophète mais aussi peintre, médecin, écrivain, ami des gens modestes et conseiller des grands.
Mani, le Bouddha de Lumière
Brève présentation du père du manichéisme
Mani est né en 216 au sein de l’Empire parthe devenu l’Irak actuel.
A cette période, l’Empire romain se disloque entre les invasions barbares et les révoltes internes. En Orient, les dynasties se disputent les trônes. Et au milieu de cette instabilité politique et sociale, s’en rajoute une troisième qui est spirituelle et religieuse.
Car depuis le passage d’un certain Jésus, de nouvelles croyances et prêcheurs sont apparus. Tous se réclament du Christ, mais tous ont une interprétation différente de son enseignement, alors chacun forme sa propre secte et communauté.
Enivrés par cette ébullition générale, beaucoup changent radicalement de vie, à commencer par Patik, prince parthe et père de Mani.
Alors qu’il s’apprête à devenir père d’un petit garçon, Patik part vivre dans une communauté de « puritains », les Elchasaïtes, qui prônent l’abstinence des plaisirs de la chair afin de se rapprocher de la pureté de Dieu.
Non content d’avoir abandonné son épouse, Patik revient trois ans plus tard lui enlever leur fils Mani pour l’élever dans sa communauté d’hommes austères et tristes.
Si, enfant, Mani échappe à l’emprise intellectuelle des Elchasaïtes, c’est grâce à l’intervention d’un ange, qu’il appelle son jumeau lumineux.
Ce jumeau, qui ne le quittera jamais, lui enseigne tout ce qu’il doit connaître de l’âme et de Dieu. Il lui apprend également que sa destinée est de diffuser ces connaissances au monde entier.
A 24 ans, suite à une énième dispute avec les Elchasaïtes, Mani est chassé.
Enfin libre, il voyage pour diffuser sa doctrine. C’est un succès. Les foules se pressent pour écouter Mani, dont les paroles arrivent aux oreilles de Shabuhr, roi de Perse, qui devient son ami et protecteur.
Puis Shabuhr décède. Son héritier, Vahram, s’acoquine avec les rivaux religieux de Mani et le condamne à mort en 276.
La singularité de Mani
De tous les prophètes et fondateurs de religion, Mani est peut-être le seul artiste qu’on connaisse. Un statut étroitement lié à son jumeau, puisque celui-ci aime l’instruire au travers de visions divines que Mani s’efforce de reproduire en peignant.
Et puis il y a aussi sa plume. Ses écrits sont remplis de poésie et de noms ésotériques jamais entendus ailleurs : Jésus le dieu du Soleil et de la Lune, Noûs-Lumière, Hommes-Anges, Roue des astres, Jésus la Splendeur, la Colonne de Gloire, le Vaisseau de Lumière de l’Eau Vivante de l’Homme primordial etc.
On n’y comprend rien mais c’est beau.
Cependant l’atout majeur de Mani n’est ni sa plume ni son pinceau, mais son incroyable tolérance et ouverture d’esprit.
Si Jésus est placé au centre de sa doctrine, elle est également imprégnée de sagesse astrologique égyptienne, de philosophie grecque, de zoroastrisme et de judaïsme.
Plus tard, au cours de son périple en Inde, quand Mani découvre le bouddhisme et l’hindouisme, il préfère s’en nourrir plutôt que les rejeter. A tel point qu’il restitue Jésus dans l’incroyable cosmologie indienne et intègre dans sa doctrine chrétienne le concept de réincarnation des âmes.
Après la mort de Mani, le manichéisme persécuté à l’ouest (à l’instar des Cathares, très proches des idées de Mani) survivra à l’est, sur les terres de Shiva, de Brahma et de Vishnu, puis de Bouddha.
C’est d’ailleurs derrière les murailles de Chine que le manichéisme survécut le plus longtemps, et où Mani fut connu comme le « Bouddha de Lumière ».
De Lumière, parce que Mani n’a jamais cessé de disserter sur les Ténèbres et la Lumière.
D’où viennent les Ténèbres ? Pourquoi leur présence est-elle permise ? En clair, pourquoi le mal existe-t-il ? Et a-t-il une raison d’être ?
Quelle est la raison d’être du mal ?
Pourquoi tant de violences, de souffrances, d’injustices, de maladies, de jalousies et d’égoïsmes dans le monde ?
L’origine du mal est un mystère auquel se sont confrontés tous les sages et religieux.
Chez Saint Augustin, l’origine du mal trouve sa réponse directement dans la Genèse. Il est la conséquence du péché originel d’Eve et d’Adam.
Une réponse guère satisfaisante, puisqu’elle pose un dilemme quant à la nature de Dieu :
- Ou Dieu est responsable de l’origine du mal, mais dans ce cas il n’est pas Toute Bonté et Tout Amour.
- Ou alors Dieu n’est pas responsable, mais dans ce cas, cela signifie qu’il n’est pas Toute Puissance. Et qu’un rival, le Diable, le concurrence, voire le dépasse.
Selon la Genèse, la deuxième hypothèse est la plus probable.
La réponse de Mani est tout autre : Dieu est à la fois Tout Amour et Toute Puissance, et Il est donc également Celui qui a permis au mal de se déployer.
Pourquoi ? Parce que c’est nécessaire pour l’évolution et l’accomplissement de l’âme, qui est de retourner définitivement vers sa véritable nature, son véritable foyer, qui est la Lumière.
Ce retour vers la Lumière suppose d’avoir l’état d’esprit adéquat, à savoir joyeux, libre et transporté d’amour.
Or, sans les Ténèbres, il n’est pas possible d’adopter cet état d’esprit. Parce que sans les Ténèbres, il n’est pas possible de faire le choix libre et conscient de la Lumière, c’est-à-dire de l’amour.
Sans le mal il n’est pas possible de choisir le bien. Et tant que nous ne comprenons pas cela, nous nous incarnons le nombre de fois qu’il faut.
Quel est le sens de la vie selon Mani ?
Selon la cosmologie manichéenne, il existe Trois Temps :
- Un Premier Temps où les Ténèbres et la Lumière sont séparées.
- Un Second Temps, où les Ténèbres déclenchent les hostilités contre La Lumière. Cette attaque conduit à une fusion des deux entités et à notre monde, où tout le vivant, et jusqu’à nous-mêmes, est composé de Lumière et de Ténèbres.
- Un Troisième Temps, où les Ténèbres, métamorphosées, transformées retournent à leur juste place.
Ainsi, si Dieu tolère les Ténèbres c’est parce qu’Il sait qu’elles sont destinées à être vaincues.
Et si nous avons décidé de nous incarner, si Eve et Adam ont « chuté », c’est pour participer à cette bataille.
Mais attention, on ne peut vaincre les Ténèbres (en soi et autour de soi) en les combattant au sens premier, mais en les saturant d’amour.
Comme l’a fait Jésus en réalisant le plus grand acte d’amour que l’on connaisse : le sacrifice de sa vie.
Ou comme l’a fait Monseigneur Bienvenu pour Jean Valjean dans les Misérables de Victor Hugo. Alors que l’évêque a nourri et hébergé le gaillard, celui-ci est ramené par les gendarmes qui l’ont intercepté les bras chargés de vaisselle.
L’évêque fait mine de rien et offre même le reste de l’argenterie. Cet excès de bonté bouleverse Valjean et le transforme en homme admirable.
Par son geste, Monseigneur Bienvenu a fait un pas de plus vers la Lumière, mais il a également combattu les Ténèbres en faisant disparaitre celles qui hantaient Jean Valjean.
Le sens de la vie, d’une incarnation, est de suivre l’exemple de Monseigneur Bienvenu.
Il reste évidemment encore beaucoup à raconter sur Mani et le manichéisme. Nous en resterons là et invitons les plus curieux à poursuivre leurs recherches, notamment en commençant par lecture du roman Les Jardins de Lumière d’Amin Maalouf.
Source : Roland van Vliet, Le Manichéisme. Un christianisme de la liberté et de l’amour, éditions Triades, 2012
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