Assistons-nous à la révolution spirituelle des entreprises ?
Publié le 03/09/2019, mis à jour le 30/10/2024
Qualité de vie au travail
Assistons-nous à la révolution spirituelle des entreprises ?
9 min de lecture
Peut-on parler de spiritualité dans l’entreprise ?
Ce que l’on comprend par spiritualité
Est-il incongru de parler de spirituel dans l’entreprise et le monde du travail en général ? Tout dépend ce que nous entendons par là, car très souvent la spiritualité est associée à la religion. Il est vrai que leur démarche commune est de chercher à répondre aux grandes questions existentielles qui donnent du sens et du relief à notre vie :
Qu’est-ce que je fais là ?
Et, les autres, qu’est ce qu’ils font là aussi ?
Quel est le sens de la vie ?
Pourquoi l’injustice existe ? Etc.
Nous pourrions écrire un essai en 5 volumes pour décrire les différences entre la religion et la spiritualité. Mais l’essentiel à retenir, c’est que la première est une affaire de civilisation et de culture particulières, inscrites dans le temps, avec ses textes, ses dogmes et ses rites. Les réponses qu’elle apporte à la quête de sens y sont donc assujetties.
La spiritualité est autre, ni sociale, ni familiale, elle est intime, la spiritualité pose la question du sens et de l’accomplissement de soi.
Le monde matérialiste nous a coupé de nous même, de notre dimension spirituelle. Dépression, addiction, burn out et suicide sont les maux de notre époque. “En nous coupant de nous-même, nous nous sommes également coupés de la nature et de ses lois et nous touchons aujourd’hui les limites de notre monde pour flirter avec notre propre disparition en tant qu’espèce.”
En quoi les entreprises sont-elles concernées ?
Les entreprises ont soif de sens
Les questions existentielles et donc spirituelles concernent tout le monde. Les comptables, les juristes, les hôtesses d’accueil, les dirigeants, etc., tout le monde s’interroge sur le sens de sa vie. Les changements que l’on peut voir à l’œuvre reflètent d’ailleurs le retour des gens aux questions fondamentales et l’évolution de leur état d’esprit.
En témoigne la promotion d’une organisation de travail horizontale, où les responsabilités de chacun sont renforcées, et non plus verticale où tout se déciderait d’en haut sans consulter personne.
Ou encore la volonté des collaborateurs de vouloir davantage concilier un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Si les crises ont quelque chose de positif, c’est leur capacité à nous faire revenir à l’essentiel.
Aujourd’hui, plus personne ne trouve qu’il y ait de sens à consacrer ses efforts à sa carrière au détriment de ses autres sphères de vie, notamment familiale et sociale. D’autant plus quand ses valeurs et aspirations sont en contradiction totale avec la recherche à tout prix du profit et de la croissance illimitée des entreprises, dans un monde où les ressources fondent et où le temps pour soi est devenu un luxe.
Romain Cristofini, conférencier, coach et fondateur de Monasterra qui accompagne des coachs, des dirigeants et des managers dans des séminaires-retraites pose donc la bonne question dans son dernier ouvrage :
Et si les crises économiques, sociales et écologiques qui secouent notre époque avaient avant tout pour origine une crise spirituelle ?
Les défis du leadership d’aujourd’hui
Parce qu’il a prêté son oreille à de nombreux dirigeants et cadres supérieurs, R. Cristofini témoigne :
La cause d’un mal-être existentiel est de croire que nous pouvons mettre entre parenthèses un besoin essentiel lorsque nous franchissons le seuil de l’entreprise : celui du sens et de notre accomplissement profond.
Pour lui, le grand défi qui atteint les dirigeants est donc d’enfin intégrer notre soif d’accomplissement et d’épanouissement au cœur de l’activité de l’entreprise.
Retrouver un mieux-être dans les bureaux ne passera pas par des coups de communication qui ne font rien avancer, ni par l’embauche d’un Chief Hapiness Officer qui serait l’équivalent d’un pansement sur une fracture. Rapporter du sens passera par un véritable travail de fond.
Les entreprises ne manquent pas d’intelligence, mais de sagesse.
Comment faire ? En commençant par soi. Ce que Cristofini appelle le leader éclairé, à savoir inspirant, chaleureux et efficace.
Les 7 aptitudes spirituelles du leadership
1. Cultiver un fort désir d’accomplissement existentiel au travail
Devenir (vraiment) ambitieux
La vision que nous avons de l’ambitieux aujourd’hui est somme toute paradoxale. Derrière un certain courage reconnu socialement, on a l’image d’un individu sans foi ni loi, aux dents longues, qui sacrifiera tout pour sa carrière professionnelle. Il en existe et R. Cristofini décrit chez eux ce qu’il appelle la fracture existentielle. La fracture représente ce « qui nous a coupé de l’autre, du collectif, de la Nature pour se plonger dans un individualisme exacerbé dans un monde en compétition. » La solitude, et son lot de mal-être ou de cynisme, sont le revers de la médaille du succès des carriéristes.
Pour un leader éclairé, qu’est ce qu’être vraiment ambitieux ?
Dans une société où le travail est la clé de voûte de notre vie quotidienne et où nous voyons plus souvent nos collègues que notre famille, la vraie ambition est donc de trouver son épanouissement au travail. Comme le note R. Cristofini, pour le "leader éclairé, le sens de sa vie et la direction de son engagement professionnel se rapprochent, s’alignent pour ne faire qu’un."
Mais pour franchir le pas, il faudra aller au-delà des attentes de la hiérarchie, de ce qui nous est connu, et montrer la 1ère qualité du leader éclairé, le courage. Celui de renverser la table et de sortir de sa zone de confort.
Sortir de sa zone de confort
Pour pouvoir renverser la table au sein de son entreprise, il faut d’abord commencer par renverser son mental afin de trouver le courage de sa zone de confort. Ce qui signifie démarrer sa démarche spirituelle et partir en quête de soi. Très concrètement, cela signifie se poser les bonnes questions, celles qui piquent en nous montrant nos incohérences et nos contractions.
Voici les bonnes questions à se poser :
Quels sont les conditionnements ou les croyances limitantes qui vous empêchent de projeter dans votre travail toute votre personne, tout votre cœur, tous vos rêves et d’en attendre le meilleur pour votre vie ?
Où se cachent vos petites ou grandes souffrances, vos renoncements et vos frustrations et que révèlent-ils de la fracture existentielle qui est la vôtre ?
Si cette introspection a le bénéfice d’apporter humilité et lumière sur nos vrais désir et vocation perdue, elle est également très inconfortable, parce qu’elle s’attaque au responsable de la fracture existentielle, l’ego.
2. Apprendre à se libérer des pièges de l’ego
Le repas de l’ego
L’ego, nous en avons tous, c’est notre « moi je ». Il peut nous aider à nous affirmer, comme il peut nous perdre s’il prend trop de place. Et cela arrive très souvent, quand nous n’arrivons pas à regarder nos peurs multiples et variées qui sont nées de nos blessures d’enfance. En effet, ses peurs sont le repas de l’ego. Plus nous les nourrissons, plus l’ego érige une forteresse, nous rendant le monde méfiant et apathique. En tant que dirigeant ou manager, quand l’ego a pris toute la place, on a l’impression de devoir tout porter et d’être obligé de devoir tout contrôler.
Pour commencer à dégonfler l’ego , il faut passer, encore une fois, par des questions qui piquent :
Regarder d’où proviennent ces vides que votre ego, inlassablement cherche à remplir (besoin de reconnaissance, sécurité financière, de réussir, etc.). De quelle blessure ancienne proviennent ils et quels besoins inassouvis avez-vous à nourrir ?
Identifier les caractéristiques de ce « masque » que votre rôle de cadre/ directeur / entrepreneur vous a amené à endosser de manière inconsciente
Challenger vos motivations et vos objectifs moyens et longs termes pour démêler ceux qui viennent de l’ego de ceux qui proviennent de votre moi profond.
Comment mieux vivre avec son ego ?
Pour mieux vivre avec son ego, R. Cristofini recommande 3 ingrédients : courage, vigilance et humour. Mais surtout, la clé réside dans un nouveau regard apporté les échecs et les succès. Il ne s’agit plus d’y voir des critères pour savoir si nous sommes des génies méritant la gloire ou des loosers finis.
Le leader éclairé part du principe qu’il n’échoue jamais mais qu’il apprend toujours. Pour ce qui est du succès il est conscient qu’il n’a pas été tout seul car la réussite est toujours collective, même le hasard a son mot à dire !
3. S’aligner sur sa mission de vie et la vivre pleinement
Qu’est ce qu’une mission de vie ?
« Là où vos talents rencontrent les besoins du monde, là est votre vocation. » Aristote
Une mission de vie n’est pas un métier en soi, cela peut être aussi une activité quelconque qu’une capacité unique à manifester une qualité. Votre mission peut consister à « redonner du sens à la finance » ou apporter de la légèreté dans votre passage.
Comment trouver sa mission de vie ?
Trouver les 3 adjectifs qui vous décrivent le mieux depuis votre enfance.
Identifier les 3 activités que vous aimez faire et dans lesquelles vous avez des facilités, y compris celles pratiquées à l’âge de l’enfance et de l’adolescence.
Trouver l’activité que vous aimez faire plus que tout.
Trouver enfin un sens au niveau collectif. Qui allez vous aider ou quelle cause allez vous servir ?
4. Aider l’autre à se découvrir et à s’accomplir par son travail
Devenir détecteur de trésor
Faire évoluer ses collaborateurs a toujours fait partie du rôle de manager. Mais dans quel but jusqu’à présent ? Pas celui de le faire grandir ou de l’aider à s’épanouir dans son espace de travail, mais pour qu’il soit plus polyvalent ou plus communiquant si c’est là une de ses faiblesses. En clair, d’en faire un collaborateur plus performant. Or, pour le leader éclairé : « Votre rôle, va bien plus loin, c’est d’éveiller ce qu’il y a de meilleur en lui en tant qu’être humain. C’est de lui permettre d’entrapercevoir la richesse de ce cocktail unique de talents, de qualités et peut être de blessures qu’il possède et qu’il peut offrir au monde ».
Ouvrir les consciences
Cristofini recommande aussi aux dirigeants de faire confiance en leur instinct, et ressenti, quitte à faire fi des logiques d’aujourd’hui, comme celle des diplômes. Certaines tâches ou postes relèvent davantage du savoir-être que du savoir-faire.
5. Savoir se relier à « plus grand que soi » pour s’affranchir de la peur et décider selon les élans de son âme
Faire le pari de la foi et du bien commun permet de faire taire les voix dissidentes du jugement, de la peur et du cynisme. A long terme d’ailleurs, tous les choix qui se sont avérés infructueux ont pris leur source dans ces 3 calamités. Nous reparlerons des retombées politiques des mesures de Trump dans 20 ans…
6. Etre attentif aux signes et à ses élans intérieurs pour les traduire en pistes nouvelles pour son organisation
Comprendre Chronos et Kaïros
Pour les Grecs Anciens, le temps avait une double nature : il était à la fois quantitatif, Chronos, et qualitatif, Kaïros. Nous connaissons très bien Chronos, le quantitatif, c’est le temps qui passe et que nous pouvons compter en jour, mois, année. Celui qui nous échappe un peu, c’est Kaïros. C’est un temps dit de « qualité », car c’est le temps « opportun » où se présente la bonne affaire ou la bonne rencontre.
Nous pouvons rester aveugle à Kaïros pour le reste de notre vivre, mais essayer de l’attraper, c’est s’ouvrir à une vie plus profonde, mystérieuse, et disons-le plus belle. « Celui qui rentre dans le Kaïros sait rentrer dans une profondeur de présence qui lui permet de saisir des surgissements temporels inattendus : signaux, coïncidences, intuitions, etc. »
La particularité de Kaïros
Essayer d’accéder à Kaïros, c’est s’ouvrir à la sérendipité et aux synchronicités :
La sérendipité, c’est le fait de découvrir une invention ou un fait scientifique par hasard, alors qu’on était en train de chercher tout autre chose. Cela arrive beaucoup plus souvent que l’on ne pense, car 1/4 à 1/3 des prix Nobels de chimie et de physique en sont issus.
La synchronicité, elle, « correspond à la survenue simultanée d’au moins deux évènements qui ne présentent pas de lien de cause à effet apparent entre eux, mais dont l’association a un sens pour celui qui le perçoit. »
Dans tous les cas, ces deux phénomènes favorisent les intuitions et les idées géniales.
Comment s’ouvrir aux signes ?
Le lâcher-prise et l’attention à ce qui survient sont les ingrédients à cultiver pour favoriser l’apparition de synchronicités.
Cristofini rapporte également qu’il est aussi possible de créer volontairement les conditions propices pour que les signes viennent. Toute la difficulté consiste à faire taire les différentes voix qui habituellement censurent nos élans du cœur et à cultiver 3 attitudes inverses :
Ouvrir l’esprit (voir avec des yeux neufs)
Ouvrir le cœur (ressentir la situation et rediriger son attention)
Et ouvrir la volonté (laisser partir les vieux schémas et lâcher prise avec tout objectif (ou toute volonté de contrôle) pour accepter de se laisser porter et traverser par les idées, les intuitions ou les élans de vie.
7. Adopter une discipline de vie pour protéger et cultiver son intériorité
Il s’agit tout simplement de préserver sa capacité à prendre du recul et à se reconnecter à son essentiel. Pour ce faire, il existe différentes approches :
Investir en soi en se faisant coacher ou en suivant une thérapie qui nous aidera à révéler nos blessures, nos peurs, nos croyances limitantes, mais aussi à discerner notre force et nos moteurs.
Se reconnecter avec la Nature.
Pratiquer la déconnexion digitale les weekends.
On ne compte plus les interventions dans les médias qui appellent à replacer l’humain au centre des entreprises ou des institutions. C’est exactement à cela que sont dévolues les 7 aptitudes spirituelles. Certes, le management deviendra une mission exigeante, mais aussi magnifique, qui commencera par la propre quête de soi. Comme le dit si bien R. Cristofini :
Le leader éclairé n’est pas celui qui sait, mais celui qui est .
Source : Romain Cristofini, « L’intelligence spirituelle au cœur du leadership », InterEditions, 2019
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Désolé de casser l’ambiance, mais ne peut-on pas voir aussi le verre à moitié vide et se dire que mettre de la spiritualité dans l’entreprise est un moyen trouvé par le capitalisme pour permettre aux salariés de se sentir mieux dans des environnements de plus en plus durs, au lieu d’essayer de changer l’entreprise et le monde économique ? Comme d’hab, changer l’homme plutôt que les structures. En outre, je suis assez suspicieux face à des entreprises qui proposeraient d’organiser cette spiritualité comme cela s’est passé chez Google qui a embauché un spécialiste (gourou ?) de la méditation pour ses salariés.
Le débat est ouvert !
Merci Eric. Et ce débat me semble essentiel. Il peut-être également complémentaire. On ne peut nier que certains individus aient cette volonté de donner davantage de sens à leur action et activité professionnelle. Qu’à leur niveau ils puissent faire bouger les lignes au sein de leurs équipes ou de leur organisation dans une orientation systémique. Parfois c’est la Patron qui instaure cette orientation spirituelle et là tout peut aller plus vite avec la vigilance que tous les salariés n’auront pas envie de suivre cette direction. Après l’exploitation des concepts RPS, QVT, Bien être au travail et bonheur au travail est courant, souvent du soupadrage pour faire passer la pillule, voir comme Google introduire dans l’entreprise cette notion de plaisir individuel à venir travailler dans le seul but en effet e faire du chiffre sans aucun envie d’aller chercher un sens plus profond et spirituel au service de quelques chose qui est plus grand que nous. A mon sens tout est là. Merci de vos retours.
Désolé de casser l’ambiance, mais ne peut-on pas voir aussi le verre à moitié vide et se dire que mettre de la spiritualité dans l’entreprise est un moyen trouvé par le capitalisme pour permettre aux salariés de se sentir mieux dans des environnements de plus en plus durs, au lieu d’essayer de changer l’entreprise et le monde économique ? Comme d’hab, changer l’homme plutôt que les structures. En outre, je suis assez suspicieux face à des entreprises qui proposeraient d’organiser cette spiritualité comme cela s’est passé chez Google qui a embauché un spécialiste (gourou ?) de la méditation pour ses salariés.
Le débat est ouvert !
Merci Eric. Et ce débat me semble essentiel. Il peut-être également complémentaire. On ne peut nier que certains individus aient cette volonté de donner davantage de sens à leur action et activité professionnelle. Qu’à leur niveau ils puissent faire bouger les lignes au sein de leurs équipes ou de leur organisation dans une orientation systémique. Parfois c’est la Patron qui instaure cette orientation spirituelle et là tout peut aller plus vite avec la vigilance que tous les salariés n’auront pas envie de suivre cette direction. Après l’exploitation des concepts RPS, QVT, Bien être au travail et bonheur au travail est courant, souvent du soupadrage pour faire passer la pillule, voir comme Google introduire dans l’entreprise cette notion de plaisir individuel à venir travailler dans le seul but en effet e faire du chiffre sans aucun envie d’aller chercher un sens plus profond et spirituel au service de quelques chose qui est plus grand que nous. A mon sens tout est là. Merci de vos retours.