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Publié le 15/09/2021, mis à jour le 19/10/2022
Sujets d'actualité
Pourquoi la science n’aime pas les femmes?
Science et femmes : retour sur une énigme
Parmi les croyances populaires, il est souvent affirmé que les femmes n’aiment pas les sciences « dures », celles qui comprennent les mathématiques, la physique-chimie, l’informatique, la technologie et les sciences de l’ingénierie.
Une croyance qui se justifie au regard des effectifs : on compte seulement 20 % d’étudiantes parmi les élèves ingénieurs en « informatique et sciences informatiques » ou « électronique, électricité ».
Ce pourcentage est non seulement modeste mais aussi assez surprenant, puisque depuis des décennies, des efforts considérables sont déployés pour changer la donne et amener les filles vers les sciences dures.
Les acteurs de ce changement sont nombreux : l’Etat en premier lieu, les écoles, les facultés de sciences et de nombreuses associations (Femmes & Sciences, Femmes & Mathématiques) dont certaines sont affiliées à de grandes entreprises (La Fondation L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science). Pour ces dernières, l’intérêt d’accueillir des ingénieures, des physiciennes et autres, est multiple.
Non seulement cela contribue à véhiculer une image positive de l’entreprise, mais si on en croit de nombreuses études, les équipes mixtes contribueraient à booster leur créativité et leur performance :
- En 2016, une enquête avec l’UNESCO démontrait que les équipes comprenant entre 40 et 60 % de femmes étaient à 78 % plus performantes par rapport aux équipes non mixtes.
- En 2015, le McKinsey Global Institut publie une étude démontrant que la discrimination homme/femme fait perdre au monde 12 000 milliards de dollars.
Mais qu’importent les études, les journées-promotion, les conférences et autres colloques organisés pour promouvoir la diversité, les filles ne se dirigent pas plus vers les sciences dures. Pourquoi ?
C’est à cette question qu’a tenté de répondre Fabiola Flex, chef d’entreprise et journaliste indépendante, dans une enquête intitulée « Pourquoi la science n’aime pas les femmes » (édition Buchet-Chastel, 2021).
Les femmes n’aiment-elles vraiment pas les maths ?
La science aime les femmes
Il est entendu que le titre de l’ouvrage de Fabiola Flex est une provocation. Bien sûr que la science aime les femmes et que cette affection est réciproque.
Deux témoins le démontrent à commencer par l’Histoire.
Des femmes scientifiques ont discrètement sillonné l’Histoire des sciences de l’Antiquité à aujourd’hui, et même si l’on ne retient que le nom de Marie Curie, elle est loin d’être la seule.
Il y eut aussi :
- Hypatie, une mathématicienne qui vécut en Egypte et enseigna la philosophie et l’astronomie à l’école néoplatonicienne d’Alexandrie. C’est la première femme scientifique connue à ce jour.
- Marie-Anne Pierrette Paulze, épouse et première collaboratrice du chimiste Antoine Lavoisier.
- L’astronome Henrietta Swan Leavitt qui développa un système de calcul de distance entre les planètes, connu sous le nom de « Loi de Leavitt ».
D’autres ont existé. Et même si elles ont été beaucoup moins nombreuses que les hommes, leur vie témoigne de l’appétence des femmes pour la science.
Le second témoin révélant cette appétence est le fait que 64 % des étudiants en médecine et en biologie sont des étudiantes. Or, ces études demandent un solide bagage en sciences dures.
Alors pourquoi de si nombreuses biologistes et médecins et si peu d’ingénieures, de mathématiciennes et d’informaticiennes ?
Avant de lever le voile sur ce mystère, revenons sur les hypothèses à écarter.
Préférence pour une certaine science
Instinctivement, on peut suggérer que si les jeunes femmes préfèrent s’orienter vers la médecine ou la biologie, cela peut être par manque de confiance en elles (je ne serai jamais capable d’être ingénieure) ou par éducation (on m’a donné une cuisinette au lieu du kit du petit chimiste).
Or ce n’est pas vraiment le cas.
Fabiola Flex relate sa visite au sein de la Maison d'éducation de la Légion d'honneur qui accueillent les filles, les petites-filles et arrières petites-filles des décorés de la Légion d’honneur.
Cette Maison, une bâtisse ancienne et prestigieuse nichée dans un écrin de verdure, présente un cadre magnifique. Les filles y vivent toute l’année scolaire en pension, portent un uniforme et sont soutenues tant matériellement que psychologiquement.
En somme, tout est fait pour qu’elles nourrissent un état d’esprit optimal, une envie de travailler et de choisir le métier qu’elles veulent sans se mettre de barrière mentale.
Et pourtant, même au sein de cette louable Maison, les jeunes filles issues de la filière scientifique se tournent en grande partie vers la médecine et la biologie.
Un second fait va dans ce sens. Dans les pays d’Europe du Nord, où les sociétés sont exemplaires en termes de parité, seuls 20 % des diplômés en sciences sont des femmes.
Les réponses à notre mystère (pourquoi si peu d’ingénieures ?) ne sont donc pas à chercher du côté d’un état d’esprit bridé ou conditionné, mais de celui de l’environnement et de… la nature.
Pourquoi les ingénieures sont-elles rares ?
Des environnements professionnels peu accueillants
On choisit un métier comme on se met en couple. Ce choix s’établit en fonction d’un des deux moteurs que sont la passion pour les uns et la sécurité/confort pour les autres.
Certaines personnes ont la chance d’exercer une vocation, mais ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres qui choisissent leur métier en fonction de sa facilité, du confort ou encore de la rémunération.
On ne le dit pas assez, mais beaucoup de personnes se fichent totalement de s’accomplir dans leur vie professionnelle. Leur bonheur et épanouissement se trouvent dans leur vie privée et les activités qui leur font du bien. Quant au travail, qu’importe ce qu’il est tant qu’il n’est pas une source de stress. Ou que ce stress soit largement compensé.
Pour ce qui est de notre sujet, une jeune femme dont le rêve est de devenir ingénieure, mathématicienne ou informaticienne va se donner les moyens pour y parvenir.
Mais pour d’autres, le choix de leur voie professionnelle va être conditionné par des critères beaucoup plus pragmatiques. Elles vont préférer choisir des métiers où elles peuvent se projeter et seront sûres de sentir bien.
Or, il apparait que les environnements professionnels liés aux sciences dures ne fassent pas tellement rêver les femmes :
- Soit ce sont des milieux très masculins, où l’ambiance sera potentiellement lourde, vulgaire voire toxique. Et faire sa place en tant que femme va être une bataille de chaque jour. Tout le monde n’a pas envie de s’infliger cela.
- Soit ce sont des milieux universitaires où les contraintes financières et administratives sont quotidiennes et le salaire rebutant.
Ces environnements suffisent à comprendre pourquoi les scientifiques en herbe préfèrent les voies sûres de la médecine ou de la biologique. Cependant, ils ne sont pas les seuls à expliquer pourquoi les ingénieures se font rares.
Le pouvoir des hormones
Si les femmes préfèrent la médecine à l’informatique, ne serait-ce pas naturel ? Cette question délicate car source de polémique, apporte pourtant quelques réponses.
Il a été observé que lorsque l'on donne des jouets aux bébés singes, les mâles se ruent sur les voitures et les femelles sur les poupées. Pourquoi ?
La faute aux hormones comme l’explique Mélissa Hines, neurologiste à l’université de Cambridge : en phase prénatale, le cerveau des mâles est beaucoup plus exposé à la testostérone que celui des femelles.
Or cette exposition aux hormones influence nos goûts personnels :
Cette étude en rappelle une autre.« Plus l'exposition prénatale à la testostérone est forte, surtout entre la 12e et la 19ème semaine, plus l'enfant serait attiré par les activités liées aux « choses » (comme l'ingénierie).
Inversement, plus cette exposition est faible, plus les activités orientées vers les personnes (comme la médecine) auraient de chances d'être préférées.
Or, les embryons garçons sécrètent naturellement de la testostérone, alors que les embryons féminins sont exposés à celle de leur mère [disponible qu’en faible quantité]. »
Les psychologues Gjisbert Stoet (Université Leeds Beckett) et David Geary (université du Missouri) ont publié en 2018, une étude relatant que les femmes représentent 35 % des diplômées en sciences « dures » en Albanie, aux Emirats Arabes Unis et en Turquie. Des pays où la parité est un non-sujet.
Pour les chercheurs, les femmes font ce choix de carrière afin de fuir les contraintes économiques et sociales de leur pays.
Mais on peut aussi s’interroger sur le rôle des hormones. Dans son dernier ouvrage, Boris Cyrulnik nous apprend que le stress quotidien des femmes dégrade leurs hormones féminines, faisant que leur testostérone s’exprime plus et vient, de fait, influencer leurs goûts et préférences.
Sujet passionnant mais glissant
Les hormones sont une première réponse biologique à nos préférences. D’autres paramètres comme la génétique ou les chromosomes sexuels sont tout aussi susceptibles d’apporter leur concours. Pour l’heure, rien n’est déterminé, les recherches se poursuivent.
Expliquer les différences entre les hommes et les femmes sur le plan biologique est un sujet aussi passionnant que glissant.
Nombreux seront les imbéciles qui nieront les recherches pour sauver l’idée qu’il « n’y a pas de différence entre les hommes et les femmes » par peur de voir d’autres imbéciles justifier leurs stéréotypes et la hiérarchie des sexes.
Ce que ces mêmes imbéciles ne comprennent pas, c’est qu’il est difficile de réduire les individus à des cases. Par nature, nous sommes tous différents même si des repères sociaux, culturels, religieux et familiaux nous donnent l’illusion que nous sommes pareils.
Ce qui nous amène à notre dernier point : la diversité et l’égalité.
Penser l’égalité au-delà de la parité
Comme le rappelle Fabiola Flex, ni la diversité ni le combat des inégalités ne peuvent se limiter à la seule question de la parité.
Oui, combattre les inégalités hommes/femmes est important, mais il est d’autres inégalités qui ne le sont pas moins, comme les inégalités sociales et économiques qui empêchent bon nombre d’enfants de classes défavorisés d’accéder aux études supérieures.
Selon un rapport de l’Observatoire des inégalités, les enfants d’ouvriers « forment 12 % des étudiants à l’université, 7 % dans les classes préparatoires aux grandes écoles et 3 % des élèves des écoles normales supérieures. »
Pour faire entrer plus de diversité au sein des entreprises, c’est-à-dire d’autres façons de comprendre, de sentir et de penser le monde, il serait peut-être plus intéressant de raisonner en termes de classe sociale plutôt que de genre.
Après tout, les filles de cadre qui choisissent médecine plutôt qu’ingénierie ont beaucoup plus de références et de codes communs avec les garçons de cadre, que ces derniers n’ont avec les fils des ouvriers.
La conclusion de Fabiola Flex est donc qu’on se trompe de point de vue : « garder et faire fructifier les compétences, quel que soit le sexe. N’est-ce pas le premier combat que mérite la science ? ».
Ce à quoi on pourrait rajouter : n’est-ce pas le premier combat que mérite la société ?
Source : Fabiola Flex, Pourquoi la science n’aime pas les femmes, éditions Buchet-Chastel, 2021
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