Votre coeur bat sans relâche, depuis votre toute première cellule. Il s’accélère à l’approche de ce que vous aimez, ralentit dans les bras de ceux qui vous apaisent. Il palpite de joie, de peur, de chagrin. Et s’il ne se contentait pas de battre, mais mémorisait, influençait vos émotions, vos choix… sans que vous en soyez conscient ?
Ce n’est pas une métaphore romantique. C’est une hypothèse fondée sur les dernières découvertes scientifiques. Dans Votre cœur, cet inconnu (Albin Michel, 2025), le Pr Jean-Noël Fabiani, chirurgien cardiaque reconnu, et le journaliste Emmanuel Salmon nous invitent à regarder autrement cet organe que nous croyions connaître.
Le cœur n’est pas qu’une pompe. Il est le seul muscle humain capable de battre en dehors du corps, tant qu’il est perfusé. Il possède son propre système d’auto-génération électrique — le nœud sinusal — qui lui permet de fonctionner indépendamment du cerveau. Dans les blocs opératoires, les chirurgiens cardiaques savent que le cœur continue parfois de battre même une fois extrait, comme l’a vécu le Pr Fabiani lors de ses plus de 20 000 opérations.
Chaque jour, il propulse environ 8 000 litres de sang dans un réseau de 100 000 kilomètres de vaisseaux sanguins. Et pourtant, ce héros infatigable peut vaciller… sans bruit.
Le cœur a-t-il une mémoire ? Ce que dit la science
Depuis quelques décennies, les neurocardiologues ont identifié un réseau d’environ 40 000 neurones dans le tissu cardiaque. Ce système nerveux intracardiaque communique avec le cerveau via le nerf vague. Il ne pense pas au sens cognitif, mais il ressent, anticipe, et module nos réponses émotionnelles.
C’est ce lien subtil qu’explore le concept de cohérence cardiaque : un état de résonance physiologique entre le cœur, le cerveau et la respiration. Loin de la fantaisie, ce phénomène est mesurable, reproductible, et utilisé dans certaines prises en charge du stress, de l’hypertension ou des troubles anxieux.
Cette capacité à se synchroniser ne s’arrête pas là. Des études in vitro ont montré que des cellules cardiaques, prélevées sur deux cœurs différents, mises côte à côte dans une boîte de culture, commencent à battre à l’unisson. Sans contact physique. Juste par proximité. Comme si le cœur humain était biologiquement conçu pour entrer en résonance avec l’autre — même dans le silence, même dans l’invisible.
Mais si le cœur influence nos émotions à travers des signaux biologiques, pourrait-il aussi garder une trace plus intime, plus profonde… de ce que nous avons vécu ?
C’est là que l’exploration bascule.
« Il y a une mémoire du cœur. Les greffés en témoignent parfois, troublés par des souvenirs qui ne sont pas les leurs. »
— Pr Jean-Noël Fabiani
Une mémoire extracérébrale ?
Traditionnellement, on pense que la mémoire — les souvenirs, les goûts, les émotions — réside exclusivement dans le cerveau. Pourtant, certains témoignages de patients ayant reçu une greffe cardiaque semblent contredire cette vision. Le livre rapporte des cas où des greffés ont ressenti des émotions, attirances ou souvenirs inexplicables, comme si une part de l’identité du donneur avait été transmise avec l’organe.
Des témoignages troublants
Parmi ces récits : un homme greffé se découvre une passion soudaine pour la musique classique — son donneur était violoncelliste. Une autre, végétarienne de longue date, se met à rêver de fast-food juste après sa greffe… avant d’apprendre que le cœur venait d’un adolescent amateur de burgers.
Anecdotiques, oui. Mais leur récurrence questionne.
L’hypothèse de la mémoire cellulaire
Certains chercheurs évoquent une piste : celle d’une mémoire cellulaire. Nos cellules — même non neuronales — pourraient conserver des « traces » informatives via des mécanismes électromagnétiques, hormonaux ou épigénétiques. Ces hypothèses, encore controversées, sont explorées dans des disciplines émergentes comme la psycho-neuro-immunologie ou la biophysique.
Ce que cela dit de notre humanité
Fabiani ne conclut pas. Mais il ouvre un espace de réflexion : si le cœur peut transmettre quelque chose de l’ordre de l’émotion, voire de l’identité, alors ce n’est plus seulement un muscle. C’est un organe de lien, un porteur d’empreinte humaine.
« Écouter son cœur, ce n’est pas une image. C’est un acte biologique. »
Un organe relationnel… et spirituel ?
Depuis l’Égypte ancienne, le cœur est vu comme le siège de l’âme. Il était le seul organe conservé lors des momifications — contrairement au cerveau, extrait par le nez. Lors du jugement d’Anubis, il était pesé face à une plume de vérité. Trop lourd, il était dévoré.
Le livre de Fabiani-Salmon montre que cette vision symbolique a traversé les âges : chez les Aztèques, dans la dévotion au Sacré-Cœur, mais aussi aujourd’hui dans nos gestes quotidiens — "avoir le cœur lourd", "écouter son cœur", "avoir le cœur brisé".
Et la science ? Elle révèle aujourd’hui que lors d’un câlin ou d’un silence partagé, deux rythmes cardiaques peuvent se synchroniser. Des cellules cardiaques, prélevées sur deux cœurs distincts et mises côte à côte dans une boîte de culture, commencent à battre à l’unisson. Sans contact physique. Juste par proximité.
Le cœur serait-il conçu pour la résonance ?
Le sexe, l’amour et le cœur : un triangle d’or
Tomber amoureux, c’est un coup de foudre hormonal : dopamine, ocytocine, adrénaline. Le cœur s’emballe. Mais ce n’est pas un effet secondaire. Il est acteur.
« L’amour naît dans le cerveau, mais il bat dans le cœur. »
Il envoie, lui aussi, des signaux au cerveau. Le coeur module l’humeur, influe sur la mémoire émotionnelle. Et le sexe ? Bien plus qu’un plaisir, un véritable "cardio doux" : il stimule la circulation, réduit le stress, améliore le sommeil. Le Dr Fabiani rappelle que l’amour, dans sa dimension affective et physique, est l’un des meilleurs facteurs protecteurs du cœur.
« Le cœur est un organe profondément social. Il réagit à la présence de l’autre, au toucher, à la voix, à l’émotion. »
Sport : pas de performance sans récupération
L’activité physique régulière est l’un des piliers de la prévention cardiovasculaire. Elle réduit la pression artérielle, le taux de LDL, augmente le bon cholestérol (HDL) jusqu’à +30 % chez les sportifs réguliers.
Mais attention : le surentraînement, sans récupération adaptée, peut fragiliser le cœur. Le Dr Fabiani met en garde contre certaines arythmies détectées chez les marathoniens ou triathlètes de haut niveau. Mieux vaut marcher 30 minutes chaque jour que courir deux heures le dimanche.
Maladies cardiovasculaires : les signaux invisibles
Les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité en France. Leur progression est souvent silencieuse. Et les symptômes, notamment chez les femmes, sont atypiques : douleurs dans le dos, fatigue extrême, essoufflement. D’où des retards diagnostiques et une prise en charge plus risquée.
Le cœur des femmes : un organe mal compris
Pendant longtemps, la médecine cardiovasculaire a été pensée pour les hommes. Pourtant, les maladies du cœur tuent plus de femmes que tous les cancers réunis. Le problème ? Leurs symptômes sont souvent plus diffus et moins bien reconnus.
Des signes d’alerte différents :
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fatigue intense,
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nausées ou douleurs interscapulaires,
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palpitations ou souffle court,
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insomnie inexpliquée.
Et pourtant, moins de femmes sont orientées vers des examens cardiaques, et leur risque est sous-estimé.
« Le cœur féminin est plus vulnérable au stress, en raison notamment des variations hormonales. »
Trois moments à haut risque :
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La contraception hormonale : risque accru de thrombose, surtout après 35 ans et chez les fumeuses.
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La grossesse : elle augmente la charge sur le cœur. Certaines pathologies (hypertension, pré-éclampsie) peuvent émerger ou s’aggraver.
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La ménopause : la chute des œstrogènes entraîne une perte de la protection vasculaire naturelle.
Le Dr Fabiani appelle à une médecine genrée, qui prenne en compte ces vulnérabilités spécifiques. Il plaide aussi pour un suivi personnalisé : tension artérielle, cholestérol, tour de taille, qualité du sommeil doivent être évalués différemment selon le sexe et l’âge.
Le ventre : un miroir du cœur
La graisse abdominale profonde est inflammatoire. Elle augmente le risque de diabète, d’hypertension et d’athérosclérose.
Tour de taille à ne pas dépasser :
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Femmes : 88 cm
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Hommes : 102 cm
Nutrition : votre assiette peut sauver votre cœur
Le cholestérol n’est pas l’ennemi. Mais ses transporteurs, oui. Trop de LDL oxydé = artères bouchées. Trop peu de HDL = artères non nettoyées.
Que manger ? Poissons gras, huile d’olive, noix, légumes verts, légumineuses, chocolat noir (70 % minimum), thé vert, fruits rouges. Et éviter : graisses transformées, sucres raffinés, excès de viande rouge, alcool.
Fabiani rappelle que les patients méditerranéens vivant longtemps partagent trois choses : peu de stress, beaucoup de légumes, et des repas pris ensemble.
Prévention par âge et sexe : une nouvelle carte du cœur
Alors à 20 ans : pas de cigarette. Bouger. Écouter son rythme. Puis à 30 ans : surveiller sa tension. À 40 ans : bilan complet si stress ou surpoids. À 50 ans : ménopause = vigilance accrue. Et enfin à 60 ans : bouger, créer, se relier.
Le Pr Fabiani plaide pour une médecine personnalisée. On ne prescrit pas pareil à une mère célibataire de 42 ans qu’à un cadre stressé de 58 ans.
Sommeil, stress, et cœur épuisé
L’apnée du sommeil est un facteur sous-estimé. Elle provoque des micro-réveils, élève la tension nocturne, fatigue le muscle cardiaque. Elle touche 30 % des femmes ménopausées, souvent sans diagnostic.
Quant au stress chronique — surcharge mentale, charge affective invisible, solitude — il bouche littéralement les artères. Fabiani l’évoque avec humour : tous ses amis chirurgiens qu’il a opérés… étaient stressés. Le cœur, dit-il, est l’organe du temps pressé.
L’infarctus : chaque minute compte
Un infarctus est une artère bouchée. Il faut agir vite. Deux solutions :
⚠️ Signes à ne pas ignorer : oppression inhabituelle, nausée, vertige, fatigue soudaine.
Demain : greffes, cœur artificiel, intelligence émotionnelle
Le cœur Carmat — moitié mécanique, moitié biologique — offre une alternative aux greffes, trop rares. Le Pr Fabiani y voit un espoir technologique, mais rappelle que rien ne remplace l’écoute du cœur vivant. Pas seulement ses battements… mais ses silences, ses alertes, ses élans.
Framingham : la ville qui a changé nos cœurs
Depuis 1948, cette ville américaine fait l’objet d’une étude épidémiologique continue. Résultat : on connaît aujourd’hui les 5 ennemis du cœur :
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tabac
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sédentarité
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hypertension
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diabète
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cholestérol
Écoutez votre cœur : il a peut-être quelque chose à vous dire
Écouter ce qu’il murmure
Le cœur est souvent le dernier à s’exprimer… mais le premier à savoir. Il bat pour nous avant même que nous sachions parler, et il continue, fidèle, silencieux, à chaque instant de notre vie.
Dans Votre cœur, cet inconnu, le professeur Fabiani nous offre cette phrase saisissante :
"Un cœur n’est jamais tout à fait malade sans que l’homme ne le soit un peu aussi."
Cette phrase nous rappelle une vérité singulière : le cœur ne tombe jamais malade seul. Ses troubles sont souvent les échos d’une vie désaccordée. Stress, isolement, charge mentale, colère tuent… autant d’ondes invisibles qui résonnent jusque dans les battements.
Écouter son cœur, ce n’est pas seulement surveiller son rythme. C’est prêter attention à la manière dont on aime, dont on dort, dont on digère, dont on vit. C’est réapprendre à vivre avec lenteur, avec lien, avec souffle.
Le cœur est un miroir sensible de notre existence. Le comprendre, c’est non seulement prévenir la maladie, mais aussi ouvrir un espace intérieur plus vaste. Car en prenant soin de notre cœur, nous nous offrons, peut-être, une autre manière d’habiter le monde.
Source : Votre cœur, cet inconnu (Albin Michel, 2025), — Pr Jean-Noël Fabiani et Emmanuel Salmon