Nos pensées ne sont pas ce que nous croyons. Elles ne sont pas le reflet de notre personnalité, parce que notre esprit n’est ni profond ni consistant, il est vide, plat. Ce qui implique que nous n’ayons ni inconscient, ni subconscient, ni monde intérieur. Rien, nada.
C’est l’audacieuse conclusion à laquelle est arrivé Nick Chater, professeur des sciences comportementales, après l’étude de nombreux travaux venant des sciences cognitives, de la philosophie, de la psychologie sociale et clinique et des neurosciences.
Si notre cerveau ne contient pas notre esprit, comment est-il arrivé à nous faire croire l’inverse depuis des siècles ?
Le cerveau : un créateur d’histoire surpuissant
L’expérience de l’effet Kouchelov
Si le cerveau a pu nous tromper aussi longtemps, c’est en raison de sa capacité à pouvoir apporter du sens sur ce que nous vivons à chaque seconde qui passe.
Nick Chater s’appuie sur l’expérience menée par le cinéaste russe Kouchelov au début des années 1920, qui consista à capturer trois grands plans d’un acteur au visage impassible, le regard porté vers trois autres plans représentant pour le premier plan une assiette de soupe, un mort dans un cercueil au second plan, et une jeune femme se languissant pour le dernier plan.
Or, il s’avéra qu’en dépit de son visage impassible, et en fonction du plan, nous lisions sur le visage de l’acteur la faim, la tristesse et le désir. Ainsi, bien que nous nous pensions capables de lire le visage de quelqu’un, ce que nous prenons en compte pour l’interpréter, c’est avant tout le contexte.
La fabrique des sentiments
Nick Chater revient sur une expérience menée par les psycho-sociologues Donald Dutton et Arthur Aron, dans les années 1970, sur les process du sentiment amoureux et de l’attirance physique.
Deux jolies femmes se placent sur un pont. Une partie de l’extrémité de ce pont étant en bon état et solide, et l’autre extrémité étant très instable et vétuste.
Les jeunes femmes avaient pour mission de faire remplir des questionnaires aux passants. Ces dernières leur proposaient leur numéro de téléphone à la fin de l’entretien.
Le constat tombe : les hommes ayant traversé le pont vétuste et très instable ont significativement plus eu tendance à rappeler l’assistante, par rapport aux hommes traversant le pont solide et en bon état. Ils ont aussi répondu au questionnaire avec beaucoup plus d’allusions et images sexuelles.
Pourquoi ? Les hommes étaient sensiblement plus attirés par la jeune femme parce qu’ils avaient juste avant ressenti beaucoup d’anxiété. Les chercheurs expliquent cet intérêt par la mauvaise interprétation des hommes de leur état émotionnel.
Ils ont attribué l’augmentation de leur rythme cardiaque et la moiteur de leurs mains à leur rencontre avec la jolie assistante, et non au fait qu’il venait de traverser un pont en bois et en câble suspendu 70 mètres au-dessus d’une rivière tumultueuse.
Ils ont crû ressentir une attirance, alors que ce n’était pas forcément le cas, ils ont juste ressenti leur cœur battre plus vite et leur esprit a interprété son origine.
Si le cerveau est un formidable illusionniste, qu’est que cela implique pour nos relations amoureuses et notre identité ?
Les répercussions d’un cerveau vide
Qu’est-ce que cela implique pour notre identité ?
Si nous n’avons pas d’esprit, de monde intérieur, de soi, est ce que cela implique que nous ayons aucune identité ? Nous avons bien une identité, mais celle-ci se construit et évolue à chaque seconde en fonction de notre mémoire et des expériences vécues. Et étant donné que nous menons tous des vies uniques, nous sommes tous uniques.
L’erreur réside dans la croyance que notre personnalité est immuable et qu’elle a toujours été là. C’est encore une fois une illusion. Si nous avons la sensation d’être la même personne, c’est parce que nous utilisons nos souvenirs pour donner du sens aux situations qui nous arrivent aujourd’hui. Cela crée des comportements récurrents avec les croyances et les valeurs qui vont avec.
Qu’est-ce cela implique pour nos relations amoureuses ?
La quantité d’échecs amoureux démontre bien que notre cerveau peut nous induire en erreur sur la nature de nos sentiments en nous racontant des histoires merveilleuses mais fausses. Surtout quand une relation amoureuse est à ses débuts.
Le fait que nous puissions aimer les mêmes films, partager les mêmes valeurs ou que nous ayons une enfance similaire sont des indices trop faibles pour décréter qu’untel (ou une telle) est l’amour de notre vie. Il ne sert à rien d’aller chercher dans les tréfonds de notre âme quel type de personne nous allons aimer, de quelle manière et à quel degré.
L’amour n’est pas quelque chose qui se réfléchit. Cela passe par une attirance physique évidente, une admiration pour les qualités de l’autre, des plaisirs complices, et une écoute tendre et sincère.
On considère ces éléments comme des preuves d’une profonde intériorité qui serait l’amour véritable. Mais ce sont plus que des preuves, ces moments partagés sont l’essence de l’amour, et ils demandent à ce que nous en soyons pleinement conscients pour que le couple dure.
La pleine conscience, la clé pour mettre fin à l’illusion
La pleine conscience c’est l’art de vivre le moment présent, et de s’observer.
Cette théorie inédite faisant du cerveau une machine à créer du sens et balayant d’un revers de main l’idée de toute profondeur intérieure a quelque chose de déstabilisant et peut-être d’angoissant.
Mais c’est également libérateur. Ce ne sont ni notre inconscient ni notre subconscient qui détiennent le pouvoir, mais notre pleine conscience.
Ainsi, notre cerveau n’est pas un analyste qui ne révèle certains de ses secrets que sous d’obscurs symboles. Non, le cerveau n’est pas un intellectuel, mais il n’est pas non plus bête. C’est un conteur d’histoire et un artiste.
Ce n’est pas un hasard s’il dispose d’une nature neuro-plastique faisant qu’il évolue et s’adapte, nous permettant de modifier nos process de pensées en trois semaines.
En trois semaines, nous pouvons arrêter de nous méjuger intérieurement, mettre fin à nos angoisses et tourner le dos aux fatalismes. Ainsi nous avons le pouvoir d’écrire en pleine conscience les histoires que nous aimerions vivre.
Au départ, il s’agit juste de rêver, de s’inventer des situations de vie inspirantes et surtout de faire confiance à son intuition.
Et comme les années nous l’apprennent, ce que l’on sème dans son cerveau, on le récolte dans la vie.
Source : Nick Chater, Et si le cerveau était bête ?, Editions Plons, 2018
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