Quelles sont les limites de la motivation intrinsèque?
On compte deux formes de motivation. La motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque.
La motivation intrinsèque est mue par le plaisir, l’envie. Nous agissons spontanément pour la seule satisfaction que nous procure une activité.
La motivation extrinsèque est mue par un objectif final. On agit dans un but précis qui nous procure à échéance une satisfaction (une maison propre après avoir fait son ménage) ou une gratification (le salaire).
Il est courant d’admettre que la motivation intrinsèque est la forme de motivation par excellence. Et qu’à bien des égards, elle est supérieure à la motivation extrinsèque.
Or, selon Yves-Alexandre Thalmann, psychologue, docteur en sciences naturelles et l’auteur de «Motivation», nous devrions redonner un peu plus de crédit à la motivation extrinsèque.
D’une part pour une raison simple. On ne peut pas éprouver du plaisir pour toutes nos tâches et nos activités.
D’autre part, parce qu’il est très difficile d’agir sur la motivation intrinsèque. Le plaisir ne se commande effectivement pas.
Même si on peut stimuler la motivation intrinsèque par la curiosité et la créativité, il faut que nous ayons un soupçon d’intérêt, une étincelle de plaisir en germe. Or, on ne peut s’efforcer de l’éprouver sans risquer de connaître des conséquences sur le plan psychologique (mal-être, culpabilité, honte).
Il en va tout autrement pour la motivation extrinsèque. Si elle est basse, nous pouvons activer certains leviers motivationnels capables de nous procurer l’élan pour agir.
Avant de connaître ces leviers, attardons-nous sur le fonctionnement du cerveau afin de comprendre ce qui entrave ou nourrit notre motivation.
Comment le cerveau calcule la motivation?
La motivation intrinsèque est gouvernée par le circuit de la récompense et de la décharge de dopamine.
Il en va autrement pour la motivation extrinsèque, gouvernée par le cortex préfrontal.
Admettons que nous souhaitions faire un régime. Une fois cette décision prise, le cerveau s’attache à réaliser plusieurs calculs.
- Le calcul de la valeur. Pour quelles raisons (notre santé, notre couple, notre image etc.) perdre du poids est important pour nous ?
- Le calcul de balance du coût et du bénéfice. Il s’attache à déterminer si notre but à atteindre (rentrer dans une taille 36) justifie les mois d’effort à fournir.
- Le calcul de l’espérance. À savoir la croyance faible ou importante en notre réussite. Pensons-nous être capable de surmonter les mois de privation sans craquer ?
- Le calcul du délai. La valeur d’une récompense décroit non pas de façon linéaire et régulière, mais de façon hyperbolique. C’est-à-dire beaucoup au début et de moins en moins avec le temps.
Ce dernier calcul est issu des travaux d’économistes comportementaux, notamment ceux de George Ainslie.
Une de ses expériences consiste à proposer un choix: acquérir 1000 dollars tout de suite ou 1050$ demain. La plupart des gens optent pour 1000 dollars.
Or, quand on leur propose d’acquérir 1000 dollars dans un an ou 1050 dollars dans un an et un jour, ils préfèrent la deuxième option.
Reporter à notre régime, cela supposerait de préférer perdre 10kg en un mois plutôt que 15kg en un mois et deux semaines. Et à l’inverse, préférer perdre 30kg en an et deux mois plutôt que 25kg en un an.
C’est en s’appuyant sur le fonctionnement de notre esprit que nous pouvons agir sur notre motivation. La première clé étant d’utiliser ses ressources cognitives.
Comment utiliser ses ressources cognitives pour se motiver?
Les trois ressources cognitives
Nous détenons plusieurs ressources cognitives qui peuvent agir comme leviers motivationnels:
- Le premier levier demande d’agir sur la valeur subjective de notre action. Plus nous lui donnons de l’importance, plus nous nous motivons pour atteindre notre objectif.
Il ne s’agit pas de tenter de s’auto-persuader en répétant en boucle dans sa tête que tel objectif est important. Il s’agit de trouver des arguments solides venant de soi-même, des proches ou des multiples canaux d’informations à notre disposition pour consolider la valeur de notre but.
Cette stratégie motivationnelle est un classique.
Les parents l’utilisent très souvent (et inconsciemment) pour se faire obéir de leurs enfants.
- Le second levier consiste à jouer sur le calcul de l’espérance. Plus nous avons foi en nos capacités, plus le sentiment de réussite s’accroit et avec lui notre motivation. Cela demande donc de travailler sur son estime et sa confiance en soi
- Le troisième levier est peut-être le plus puissant. Il s’agit de considérer que nos tâches et nos activités sont utiles. Utiles pour soi mais surtout pour les autres. En termes d’efficacité et de performance, l’intérêt général peut même dépasser la motivation intrinsèque.
Se faire plaisir vs faire plaisir aux autres.
Professeur de management à l’université de Berkeley en Californie, Morten Hanson a réalisé une grande étude de terrain comprenant 5000 cadres et employés de différents secteurs professionnels. L’étude consistait à comprendre les conditions de performance au travail.
Après avoir rempli un questionnaire sur leur vie au travail, les chercheurs ont demandé aux supérieurs de ces cadres et employés d’évaluer leurs performances et de les classer.
Il ressort des résultats que les plus performants sont ceux qui trouvent du plaisir et de l’intérêt. Les moins performants étant évidemment ceux qui ne trouvent ni sens, ni plaisir.
En croisant les résultats, Morten Hanson a découvert un résultat contre-intuitif. Les plus performants étaient ceux qui n’éprouvaient que peu de plaisir mais étaient conscients de l’utilité de leur travail. Et non pas ceux dont le travail procure simplement du plaisir sans sentiment d’utilité.
La valeur d’un travail, ainsi qu’une espérance solide de le voir s’accomplir, dépasse donc la seule passion.
Qu’en est-il si nos ressources cognitives ne sont pas suffisantes? Il reste alors notre environnement.
Comment s’appuyer sur l’environnement pour rester motivé?
Les leviers de la récompense et du pré-engagement
Les derniers paramètres sur lesquels s’appuyer reposent sur trois stratégies: la récompense, le pré-engagement et la sanction.
- La récompense est un cas classique. Face à un travail ou un but de longue haleine, il convient de diviser le travail en petites tâches. Et de s’octroyer des récompenses (pause détente, une sortie, une boisson chaude) entre (disons) cinq petites tâches réalisées.
Récompenser les petits pas accomplis est encore une méthode trop sous-estimée, tant nous sommes obnubilés par l’objectif final. Pourtant, rester dans le
dur trop longtemps risque de nous écœurer. Alors que les petites récompenses aident à
persévérer.
Si nous reprenons l’exemple du régime, il est plus judicieux de s’octroyer quelques carrés de chocolat en récompense d’un 1kg perdu. Plutôt que de craquer et de dévorer une tablette.
- Le sentiment de fierté, d’accomplissement et de peur de décevoir, autrement dit le regard des autres est également un bon levier motivationnel.
La technique du pré-engagement joue sur ce levier. Elle consiste à s’appuyer sur un ou plusieurs proches pour nous accompagner ou nous soutenir dans nos choix. Leur présence est d’autant plus percutante s’ils jouent avec vous le jeu de la récompense mentionnée plus haut et/ou le jeu de la sanction.
Ce dernier levier, celui de la sanction est certainement le moins populaire, mais pas le moins efficace.
Le levier de la sanction
Pour se
forcer à tenir ses tâches, l’une des astuces ayant fait ses preuves consiste à s’imposer des pénalités (faire le ménage plutôt que regarder un film). La plus dissuasive des pénalités étant la sanction financière.
Thalmann relate une étude portant sur des participants désireux
d’arrêter de fumer. Les chercheurs les séparèrent en trois groupes:
- Aux premiers, ils donnèrent des patchs de nicotine et de la documentation sur les méfaits du tabac.
- Aux seconds, ils promirent une récompense de 800 dollars s’ils ne fumaient aucune cigarette pendant six mois.
- Et aux troisièmes, ils leur prirent 150 dollars en précisant qu’ils perdraient cet argent à la première cigarette fumée. S’ils réussissaient à tenir, ils récupéreraient leur somme en plus de 650 dollars.
Les résultats sont sans appel quant à l’efficacité de la méthode. Seuls 6% du premier groupe n’ont pas fumé, contre 15% dans le second groupe. Quant au troisième groupe, plus de la moitié (53%) d’entre eux réussirent à tenir leur résolution.
Conséquence de quoi,
la peur de perdre un gain est plus motivant que la perspective d’une récompense.
Cette étude corrobore la théorie des perspectives du psychologue Daniel Kahnemann, pour laquelle il reçut le prix Nobel d’économie en 2002. Le résumé est simple: émotionnellement, l’amertume de la perte dépasse la joie du gain.
Source: Yves Alexandre Thalmann, Motivations, humenSciences, 2022