Notre société met-elle l’amour et le couple en péril ? Peut-on sauver le couple ?
Sur l’amour, on entend et lit beaucoup de choses.
De belles et surprenantes romances, naturellement, mais également de nombreux témoignages et réflexions sur la souffrance d’aimer, l’infidélité (présentée comme naturelle) ainsi que des histoires de sexfriends et de PQR (plans culs réguliers) rencontrés sur Tinder ou Gleeden.
Un certain cynisme entoure donc l’amour et le couple aujourd’hui, appuyé par les chiffres du divorce qui toucherait près d’1 mariage sur 2.
Jeunes comme vieux, beaucoup n’y croient pas, ou plus, et préfèrent se limiter aux rencontres furtives avec comme mot d’ordre : « ne surtout pas s’attacher, mais seulement s’éclater ».
Notre société consumériste et friande de sexe aurait-elle eu donc raison de l’amour ?
Eh bien… pas tant que cela selon Marie-Claude Treglia, ancienne rédactrice en chef adjointe du magazine Marie-Claire, journaliste, réalisatrice, et dont l’amour est le sujet de prédilection depuis plus de 30 ans.
Dans son dernier livre « Fini l’Amour ? » (Le Courrier du Livre), une enquête menée auprès de couples âgés de 18 à 88 ans, nous apprenons que l’Amour est loin d’être mort.
En fait, les défis auxquels il est confronté semble même le faire grandir. Comme en témoigne la révolution que connait le couple.
Le couple est-il mort ou peut-on sauver le couple ?
Tous les témoins, notamment les plus jeunes, qui ont partagé leurs confidences avec Marie-Claude Treglia, le reconnaissent : le couple fait peur, autant qu’il fait envie.
Il fait peur s’il porte certains stigmates du modèle patriarcal « à l’ancienne », c’est-à-dire pétri de conformisme ennuyeux et de conservatisme médiocre, où chacun reste cantonné dans son rôle.
En revanche, un autre type de couple suscite espoir et enthousiasme.
Il est celui qui repose sur un choix conscient, et assumé, d’évoluer ensemble. Ensemble mais en étant, chacun de son côté, totalement autonome et libre.
En d’autres termes, il n’est pas question de fusionner afin de ne devenir qu’une seule entité, mais bien d’être deux êtres à part entière. Deux êtres, qui décident, en conscience, de se tenir la main et d’avancer ensemble.
Ce nouveau couple gagne en maturité, parce qu’il nous fait vivre en conscience l’expérience de la dualité, où l’on accepte de sortir de ses carcans et ornières pour s’ouvrir à celles de l’autre. On gagne ainsi en ouverture d’esprit, intelligence et épanouissement personnel.
Il est à noter ici, que ces couples n’ignorent rien de l’inconsistance du désir et de l’usure des sentiments. Et pour lutter contre eux, ils s’appuient sur trois principes :
Faire du quotidien et de la routine un terrain de jeu et d’amusement. Le ménage, par exemple, se fait à deux en chantant et en dansant.
Entretenir le bonheur régressif d’un petit cocon douillet en faisant de son foyer un véritable havre de paix, à l’abri des agitations de la société.
La réussite de ce type de couple, notamment chez les jeunes, ne repose en rien sur la longévité mais sur l’intensité. Et c’est parce qu’ils s’en inquiètent et nouent une relation intense que leur couple multiplie ses chances de survivre aux affres du temps et aux tentations extérieures.
La fidélité est-elle révolue ?
Dans une société où nous sommes invités en permanence à consommer, oser et jouir sans complexe et entrave, les couples libres sont particulièrement à la mode. On les dit même beaucoup plus heureux et épanouis que les couples fidèles.
Non seulement, leur vie sexuelle serait plus remplie que celles des monogames, mais leur couple en sortirait également grandi. Entre les deux conjoints, il y aurait en effet plus de dialogue, d’honnêteté et de respect.
Qu’en est-il réellement ?
Si, effectivement, chez certains couples, l’infidélité assumée peut attiser la flamme de la jalousie et faire renaître un désir en berne, pour beaucoup d’autres, la réalité est toute autre.
A l’image du couple Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui, à force de renouveler leur « pacte de couple » tous les 2 ans, et de se raconter en toute transparence leurs amours « contingents », ont fini par doucher le leur.
L’amour ne supporte pas la raison et la froide logique d’un bilan comptable.
Ce qui nourrit l’amour, et par là même le désir, c’est ce qu’il se passe dans notre tête.
Et par ce biais, la fidélité est loin d’être révolue.
D’une part, chez beaucoup de couples, la fidélité n’est absolument pas une contrainte sociale. Ils sont amoureux, et n’éprouvent pas de désir pour d’autres.
D’autre part, chez les plus jeunes, la fidélité reste un idéal vivace. En témoigne leur admiration pour les couples de leurs grands-parents, et leurs rêves inspirés par les histoires d’amour culte de la littérature et du cinéma.
Enfin pour d’autres, la fidélité est devenue une façon de résister au consumérisme ambiant de l’époque.
Quoiqu’il en soit, notre société n’aura pas réussi à mettre en péril l’amour. Pourquoi donc ? Qu’est ce qui le rend, finalement, si puissant ?
Pourquoi l’amour ne mourra jamais ?
Ce qui rend l’amour si puissant, c’est une saveur spéciale, celle de l’absolu et de l’éternité.
Le philosophe Alain Badiou le décrit parfaitement dans son Éloge de l’amour :
« [A condition, bien sûr que cela ne soit pas une ruse] pourquoi dit-on souvent : « je t'aimerai toujours » ?
Les moralistes évidemment s’en sont toujours moqués, disant qu'en réalité ce n'est jamais vrai.
D’abord, ce n'est pas vrai que ce n'est jamais vrai. Il y a des gens qui s'aiment toujours, et il y en a beaucoup plus qu'on ne le croit ou qu'on ne le dit.
[…] En un certain sens, tout amour se déclare éternel : c’est contenu dans la déclaration. Tout le problème après est d'inscrire cette éternité dans le temps.
Parce que, au fond, c'est ça l'amour. Une déclaration d’éternité qui doit se réaliser ou se déployer comme elle peut dans le temps. Une descente de l'éternité dans le temps.
C'est pour cette raison que c'est un sentiment si intense ».
Et c’est pour cela que les histoires d’amour en cours, mais aussi celles que nous n’avons pas achevées, ni même commencées, vivent en nous.
Dans une société où la quête de sens est criante, il ne fait aucun doute que loin d’être mis en péril, l’amour et son parfum divin, est en réalité exalté.
Peu importe ce que les modes et les marchands veulent nous faire croire.
Amis romantiques, vous pouvez donc vous réjouir et continuez à écouter votre cœur. Comme le corps, il ne ment jamais.
Source : Marie-Claude Tregila, Fini l’Amour ? Éditions Le Courrier du Livre, 2022
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous