Dans sa pièce tragique Othello, William Shakespeare nous avertit: «La jalousie est un monstre qui s’engendre lui-même et naît de ses propres entrailles.»
La jalousie serait ce monstre à l’intérieur de soi capable de nous faire commettre l’irréparable (tuer l’être aimé) ou d’asphyxier le couple. Elle serait révélatrice d’un profond manque de confiance en soi ou d’insécurité relationnelle.
La chose n’est pourtant pas si simple selon Freud. Ressentir de la jalousie est effectivement naturel. On ne peut l’écarter de l’esprit humain.
Elle est présente dans tous les couples, y compris dans les relations les plus épanouies. C’est pourquoi, il n’existe pas de couple sans jalousie.
La jalousie est plurielle
Toutefois, la jalousie est une émotion multiforme. Il y a celle qui est naturelle, maladive ou qui conduit l’individu en manque de confiance à devenir paranoïaque et excessif.
Aux côtés des travaux de Freud, nous allons décortiquer cette émotion qui peut prendre le chemin de la folie pathologique. Par exemple, au sein du couple, éprouver de la jalousie maladive ronge les deux parties. Cela se matérialise par du mal-être, des crises de jalousie à répétition, une possessivité excessive, de l’agressivité, des disputes et de la tromperie.
Commençons d’abord par revenir sur une confusion que nous faisons souvent entre la jalousie et l’envie.
Jalousie vs Envie
Au quotidien, nous avons tendance à confondre jalousie et envie. Pourtant, même si ces notions sont liées, les motivations de l’un et l’autre sont fondamentalement différentes.
Le jaloux entend conserver ce qu’il a déjà (l’être aimé, un statut ou un objet) par peur de tout perdre. Tandis que l’envieux va chercher à s’emparer d’une personne (ou d’un statut ou d’un objet) qu’il ne possède pas.
En clair, on jalouse ce que l’on possède, et on envie ce que l’on n’a pas.
Le manque de confiance
La jalousie est une inquiétude, un manque de confiance en soi. C’est la peur de perdre l’autre et l’image que nous avons de nous-même. Ce qui blesse notre ego. Ces souffrances et cette insécurité nous conduisent à la colère et au besoin viscéral de tout contrôler.
Un exemple typique de jaloux est le dieu de l’Ancien Testament, Yahvé, qui se présente lui-même comme tel. Il attend de son peuple une solide fidélité et ne retient pas ses coups quand il se sent trahi.
En revanche, Yahvé ne s’intéresse guère aux autres peuples qui obéissent aux autres dieux, ses concurrents. Ils ne cherchent pas à les détourner. Ce qu’aurait fait un dieu envieux.
Comment distinguer l’envieux du jaloux?
L’envie, une volonté destructrice
L’envie est un sentiment de convoitise envers une personne qui possède un bien (ou une situation) que nous n’avons pas. Ce sentiment de convoitise se nourrit d’obsession, de colère et de haine.
Don Juan, l’antithèse du mari jaloux, est le parfait exemple de l’envieux.
Dans la pièce que lui consacre Molière, Don Juan s’exclame à la vue d’un couple d’amoureux:
«Jamais je n’ai vu deux personnes être si contents de l’un de l’autre et faire éclater leur amour. […] J’en fus frappé au cœur et mon amour commença par la jalousie [;]».
Ici, Don Juan se déclare jaloux. Or, il n’en est rien, c’est l’envie qui anime ses sentiments et cela se traduit par un paradoxe. Vivre une relation amoureuse ne l’intéresse pas, mais il ne supporte pas que les autres puissent le faire. Il va alors manipuler le couple dans le but de le voir se déchirer.
A ce titre, l’envieux est proche du manipulateur.
L’envie, un spirale émotionnelle infernale
En leur for intérieur, les envieux ont honte d’eux-mêmes et se trouvent méprisables. Dès lors, pour combler ce besoin d’estime de soi, ils vont aller chercher la reconnaissance chez les autres.
Mais personne ne peut satisfaire un tel besoin. Tout commence par soi, nous l’avions vu avec le Narcisse de Fabrice Midal.
Inconsciemment, plus une relation ou une situation leur fait envie, plus cela fait écho à leur honte cachée. C’est inadmissible et infernal pour leur ego, d’où cette voracité à détruire ce qui leur fait envie.
Maintenant que nous saisissons ce qui distingue l’envie de la jalousie, quelle est l’origine de cette dernière?
Quelle est l’origine de la jalousie selon Freud?
Le complexe d’Œdipe
Si Freud a révolutionné la psychanalyse, c’est par un concept choc: la sexualité infantile.
Son concept est né à partir d’une introspection le ramenant à sa petite enfance. Son expérience lui fit prendre conscience d’un désir pour sa mère et d’une animosité envers son père. Il en théorisa le complexe d’Œdipe pour expliquer les origines de la jalousie.
Ainsi, nous développons tous un amour infini pour notre mère, contractant un désir possessif.
La jalousie de l’enfant envers ses parents
Dans notre champ de vision, apparaît un tiers, le père. Celui-là nous agace: non seulement il nous prive de l’exclusivité de maman, mais il passe du temps seul avec elle. Que font-ils et pourquoi suis-je exclu(e)? C’est par ce questionnement que la jalousie s’installe.
En parallèle, l’hostilité ressentie envers le père n’est pas totale, nous ressentons également des sentiments affectueux forts pour lui. Jusqu’ici le procédé est l’équivalent pour tous les enfants, garçons comme filles.
Tout change dès que l’enfant saisi la différence des sexes. La jalousie des garçons et petites filles se développe sur deux chemins différents (pour aboutir à la même destination).
Dès lors que le petit garçon sait qu’il a un pénis et sa mère non, le père lui fait peur. Selon Freud, l’enfant est convaincu que le père saisit ses désirs et le perçoit comme rival. Cela génère une véritable angoisse chez l’enfant qui redoute la vengeance paternelle et la punition par la castration.
L’homosexualité refoulée
Pour s’éviter cette lourde peine, le fils renonce à désirer sa mère et commence par s’identifier à son père. C’est à ce moment que les sentiments de tendresse et d’affection se transforment en désirs homosexuels.
Renversement de situation, c’est le père que l’on aime et c’est la mère qu’on jalouse.
Pour la petite fille, le schéma diffère puisque la mère étant le premier amour, son premier désir est homosexuel. Plus tard, en constatant l’absence de pénis, la petite fille, blessée dans son ego, rejette la mère.
Elle se met alors à éprouver des sentiments incestueux envers le père, contractant ainsi des désirs hétérosexuels. Naturellement, s’installe simultanément de la jalousie pour la mère. Et, la boucle est bouclée.
Le sentiment d’exclusion, l’essence de jalousie
Selon Freud, c’est à partir de ce schéma doublement œdipien que prennent toutes nos formes de jalousie. Nous ne ferions que rejouer les mêmes scènes avec différentes personnes. De l’amour pour l’un et de la colère pour le rival qui nous fait obstacle.
Néanmoins, comme nous venons de le comprendre, inconsciemment le rival ne nous inspire pas que de l’hostilité. Et inconsciemment nous jalousons notre conjoint.
Au final, si nous sommes attentifs, ce qui est à la racine du sentiment de jalousie, c’est l’exclusion. Ce qui en fait donc un sentiment plus subtil et complexe que l’on ne le pense. C’est pour cela que Freud la décline sur trois niveaux.
Quelles sont les différentes facettes de la jalousie?
La concurrence
C’est celle que l’on retrouve au sein de la fratrie pour être le préféré des parents. Adulte, on la vit entre collègues, accentuée en plus par l’esprit de compétitivité du monde du travail. Quid du sport.
Rien de grave à tout cela pour Freud, c’est tout à fait normal. D’autant plus que la jalousie peut être une source de vertu. Elle peut donner lieu à une saine rivalité où le fair-play et l’encouragement entre pairs seraient naturels.
La jalousie possessive
Il s’agit de la jalousie amoureuse, dès lors que nous soupçonnons un adultère réel ou fantasmé. La jalousie dans la vie amoureuse et conjugale peut provoquer de la douleur, de l’angoisse et des disputes. Mais elle peut également aboutir à de la colère et de la haine.
Cela explique pourquoi nous la considérons comme un défaut et une brèche dans la relation de couple. Et pourtant, Freud la considère comme éminemment naturelle puisque «l’inclinaison à l’infidélité est impossible à écarter.» Étant donné que nous avons tous des pulsions sexuelles, nous sommes tous des infidèles potentiels.
Au niveau inconscient, les jaloux projettent donc sur leur conjoint leur propre désir d’infidélité. Cela, dans le but de se déculpabiliser.
La jalousie délirante
C’est celle qui devient pathologique et invivable, car on cède à la paranoïa ou plus grave à la folie meurtrière. Et pourquoi? Tout simplement parce que l’homosexualité inconsciente n’a pas été suffisamment bien refoulée, et donc la projection est plus forte.
Épier son conjoint et fouiller frénétiquement ses affaires, son téléphone n’a rien de neutre. On le fait, parce qu’à sa place, on serait déjà dans les bras du rival (réel ou fantasmé). Tout ce process mental restant dans le cadre du subconscient.
La jalousie maladive
Cette jalousie est un poison qui consume le sentiment amoureux. Le jaloux maladif nourrit un soupçon perpétuel qui indique un manque de confiance en l’autre et en soi-même. Le conjoint sous emprise doit se justifier sans cesse, éviter les maladresses, et fournir une preuve d’amour toutes les heures. Pour éviter les disputes, il finit par se couper de ses amis.
Dans la vie de couple, le jaloux, en totale dépendance affective, fouille tout, il veut tout savoir et contrôler. Y compris les données personnelles, et les entrées et sorties de son conjoint.
Tout cela finit malheureusement toujours par des crises et une rupture.
Naturellement, derrière ces comportements excessifs et ce besoin de possession se cache une dépendance affective.
Comment surmonter sa jalousie ?
Pour aider un jaloux, une thérapie de couple ou individuelle est utile. Elle aura pour objectif de lui apprendre à s’épanouir seul et à avoir confiance en lui.
Faire appel à un hypnothérapeute aboutit aussi à de bons résultats.
Nous allons maintenant quitter Freud mais nous n’allons pas vous laisser seuls avec les jaloux. Si celle-ci est réveillée par la peur de l’abandon, alors nous pouvons l’apaiser. Se faire confiance mutuellement s’apprend. Nous pouvons, ainsi, apprendre à développer sa sécurité intérieure sa sécurité affective en prenant soin de notre couple, et si besoin de compléter avec des cours de relaxation.
Source : Marie-France Patti, La jalousie, Editions In Press, 2018
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