L’incarnation vient du latin « incarnatus » qui signifie prendre un corps de chair. S’incarner est donc une rencontre avec le corps. Or, c’est une expérience qui est loin d’être neutre. On le constate avec l’avalanche de publications autour du body positive ou des pathologies liées à la relation au corps, type anorexie, boulimie ou obésité.
A cette première difficulté pour bien-vivre son incarnation, s’en rajoutent deux autres.
Les limites imposées. Ce sont les injonctions familiales, les croyances limitantes et les dogmes du milieu socio-culturel. Ces limites nous contraignent à «rester à notre place» même si celle-ci n’est pas taillée pour nous.
Le système économique et social nous pousse à choisir la sécurité et le confort. Au détriment des risques et des mystères qui font partie de la quête de soi.
Les révolutions technologiques et scientifiques ainsi que les choix de modèle économique nous ont enchaîné à nos peurs, nos désirs et nos exigences. Tout en niant notre condition de mortel. Pourtant, il est étrange que la mort, l’une de nos rares certitudes dans ce monde, soit autant absente de nos systèmes de pensée.
Quels sont les risques à nier son incarnation?
Ce déni et cette méconnaissance de soi et de notre écosystème se paie cher tous les jours. Nous sommes arrivés au bout du paradigme matérialiste. Notre société se meurt un peu plus chaque jour de rester sur le mode de la consommation, du pouvoir et de la logique mercantile. En témoigne la dépression qui est l’une des grandes maladies de ce siècle.
Heureusement, il est possible de retrouver notre réelle raison d’être. Nous possédons tous une mesure qui nous est propre et à laquelle il est important de rester fidèle pour mener une vie heureuse.
C’est ce que nous voyons avec Marie-Pierre Dillenseger, spécialiste de la pensée chinoise et François Couplan ethnobotaniste spécialiste des plantes sauvages comestibles. La première est également l’autrice des livres la “Voie du Feng-Shui” et “Oser s’accomplir”. Le second est l’auteur de nombreux ouvrages à succès dont « Ce que les plantes ont à nous dire».
Comment définir l’incarnation?
L’incarnation selon Marie-Pierre Dillenseger
S’incarner c’est être dans la chair. L’incarnation pose la question de notre rapport au corps. Plus précisément de notre acceptation d’être dans un corps, d’être limité par un corps et du soin que nous en prenons.
”Avant de se poser la question de savoir ce que nous sommes venus faire ici, il est impératif de prendre soin du corps. Il faut donc d’abord veiller à avoir un bon sommeil, une bonne digestion et une bonne capacité à être mobile. Ensuite seulement, on peut entrer dans l’aspect spirituel et intellectuel de l’affaire,
Je le constate en 25 ans de consultation et d’accompagnement, plus notre corps a notre attention, moins nous allons donner prise à des angoisses existentielles.”
L’incarnation selon François Couplan
S’incarner c’est le fait de venir sur Terre, dans ce monde. Cela implique non pas seulement la relation à mon corps, mais à l’ensemble du monde. S’incarner suppose aussi des angoisses existentielles communes à tout le monde : Qui-suis-je? D’où viens-je? Où vais-je?
“Pour la théorie, la mienne est que tout vient de l’unité. En tant qu’êtres humains, nous sommes des êtres d’unité qui ont été incarnés dans la dualité. Parce que c’est notre nature, nous avons envie de retrouver cette unité avec le désir d’atteindre la perfection.
Vivant dans la matière, dans un monde concret, palpable et touchable, j’expérimente le plaisir et la douleur. Je constate alors que toute chose est opposable à une autre. Ce n’est pas seulement mon corps, c’est aussi mon âme, mes ressentis et mes perceptions qui sont duaux et généralement opposés.
Toute la création provient de l’interaction multiforme du yin et du yang. Nous vivons tous le beau et le laid. Nous sommes tous gentils et méchants, on vit ses contradictions et cela évoque la souffrance que l’on cherche à apaiser en retrouvant l’unité.”
Quel est le but d’une incarnation?
Selon Marie-Pierre Dillenseger, «ce n’est pas tant qui on est qui importe, mais de savoir ce qui conforte et remplit son taux de vitalité. Être en vie c’est ça qui compte.
L’objectif de notre incarnation est de prendre, le plus possible, la place qui nous est donnée.
La difficulté de l’incarnation, c’est qu’on n’arrive pas avec le manuel d’utilisation. C’est un processus qui va s’appuyer sur des obstacles et difficultés, que nous allons vivre comme pénibles. Mais ces difficultés sont aussi des clés pour graduellement mieux comprendre ce pour quoi nous sommes faits. Très souvent, cela passe par la compréhension et l’identification de ce pourquoi nous ne sommes pas faits.
Prenons un obstacle parmi d’autre, la maladie. Les 1ers signes d’une maladie sont à lire comme potentiellement des indications pour oser repérer s’il n’y avait pas un aiguillage. Un train qui pourrait nous emmener vers une autre direction que ce que le formatage familial ou culturel avait prévu pour nous.
Il faut donc s’employer à faire un travail de décodage des formatages multiples qui nous collent à la peau et nous enlèvent de l’énergie. Plus nous faisons ce travail, plus nous retrouvons de l’énergie et allons vers qui nous sommes.
Chaque jour, nous avons la responsabilité de nous mettre dans des situations qui nous mettent en joie, qui nous animent. La joie est un indicateur essentiel pour nous dire si on est sur le bon chemin ou non. Nous découvrons par le biais de cet effort qui nous sommes. Notre incarnation est une enquête dont il nous manque des clés.
Pendant longtemps ça ne sera pas clair, mais il nous faudra apprendre à tolérer l’inconfort de pas savoir tout en continuant de chercher. C’est une forme de lâcher-prise active.»
Comment la pensée paradoxale permet de mieux-vivre son incarnation?
La pensée paradoxale expliquée par François Couplan
«Pour mieux vivre cette dualité (yin/yang) et donc l’incarnation, on peut avoir recours à la pensée paradoxale. C’est un moyen pratique, simple, concret et efficace de retrouver cette unité.
La pensée paradoxale, c’est le fait de se rendre compte que lorsqu’une chose est vraie son opposé l’est aussi. Je désire la perfection, mais je sais bien que je ne peux l’atteindre dans cette vie. La pensée paradoxale enseigne le détachement, cela permet de prendre du recul.
Le paradoxe n’est pas l’opposition. Le paradoxe réunit ce qui est opposé, alors que la contradiction renforce la déchirure.
Selon Frédéric Grolleau: «Un vrai paradoxe confronte deux visions défendables et contradictoires mais au-delà de leur opposition problématique il pointe leur harmonie». Quand on reste sur une seule affirmation, oui ou non, on ne peut pas comprendre les choses en profondeur.
De plus, la pensée paradoxale permet de se plonger dans le moment présent qui est une unité de temps. Il n’y a plus de passé ou de futur. Et ce n’est pas juste une vue de l’esprit, c’est un ressenti. Enfin, une autre façon de vivre l’unité dans la dualité du monde incarné passe par l’orgasme. »
La pensée paradoxale expliquée par Marie-Pierre Dillenseger
«Tout ce que nous vivons au quotidien (quel que soit le sujet) est lié au frottement continuel des deux forces yin et yang. Y compris au niveau de l’individu, puisque dans la pensée chinoise, l’âme est considérée yang alors que le corps est considéré yin.
Le but est de rendre le frottement le moins rugueux possible dans la vie et même d’aller vers une alliance harmonieuse entre les deux.
Comment? En acceptant ce qui nous a été donné: notre physique, famille, nationalité, etc.»
Comment l’acceptation permet de mieux vivre son incarnation?
L’acceptation expliquée par Marie-Pierre Dillenseger
L’acceptation pour moi, c’est la prise en compte continuelle de mon environnement spatial, temporel, physique, humain. Quand je me trouve vraiment devant un obstacle, il est des cas où s’agiter pour passer en force va nous prendre plus d’énergie. Reculer c’est protéger son énergie.
L’acceptation n’est pas la résignation. Celle-ci est utile quand elle nous fait renoncer à un chemin qui n’est pas le nôtre. Il y a une dévalorisation exagérée des techniques de fuite (faut pas perdre de temps, la face). Or, cela peut être aussi une preuve d’intelligence car on se montre opportun, sage, économe de son énergie et on gagne en longévité.
La vie ne peut pas être comparée à un fil qui se déplierait facilement dans le temps. La vie est une succession de phases qui parfois nécessite des seuils inconfortables ou difficiles. Doit-on divorcer changer de travail ou de région? C’est durant ces seuils que la personne se transforme vers un état suivant d’elle-même. Il y a plus à gagner d’accepter le passage de seuil plutôt que de résister.
L’acceptation expliquée par François Couplan
«Il ne faut pas confondre acceptation et résignation. Quand Gandhi parlait de non-violence, il n’entendait pas de se laisser marcher dessus. Il parlait d’avoir une approche non agressive qui est d’ailleurs beaucoup plus impactante et efficace. C’est une attitude active, et non passive comme une résignation.»
Comment la mémoire transgénérationnelle influence notre incarnation?
L’influence de la mémoire transgénérationnelle expliquée par Marie-Pierre Dillenseger
«Repérer une mémoire transgénérationnelle qui nous dessert n’est jamais facile. Mais ceux qui font ce travail arrivent graduellement à faire des liens entre une phobie particulière, un dysfonctionnement et des liens avec les ancêtres. On ne peut avancer là-dessus sans l’économie d’une recherche personnelle.
Quand on fait des recherches sur notre famille, on tombe souvent sur des personnes qui ont été interrompues dans leur processus d’incarnation. Cela peut être une mort survenue trop tôt, ou l’empêchement de faire des études, etc.
Étant liés à ces ancêtres, nous sommes naturellement porteurs des mémoires, des histoires et objets transmis. Mais aussi de leurs propres incarnations, échecs et accomplissements.
Parfois l’échec d’un ancêtre n’est pas moins perturbant que le succès d’un aïeul. C’est notamment le cas quand l’ancêtre était PDG et que tous les enfants n’ont jamais pu faire aussi bien. Il faut accepter le fait que nous soyons le fruit d’histoire d’incarnations précédentes qui se sont plus ou moins bien passées.
S’interroger sur ses origines familiales et sa propre identité (qui suis-je) a plusieurs avantages.
Étant des énergies résiduelles (ADN) de ceux qui nous ont précédé, on évite de passer à côté de notre vie. On ne s’engage pas à faire ce que l’ancêtre n’a pas fini. De plus, ce travail permet de distinguer qui nous sommes des précédents. On délimite son territoire et on mène sa vie pour soi et non pour les ancêtres.»
L’influence de la mémoire transgénérationnelle expliquée par François Couplan
«Pour la question du transgénérationnel, il est important d’être capable de s’affranchir des exigences sociales. Que cela soit l’accomplissement ou l’échec de l’aïeul, il faut bien voir qu’il s’inscrit dans un contexte culturel et historique précis. Ce sont des choses qui se transmettent.
Pour moi, en trois générations, ma famille est passée du stade de paysan au stade de grand bourgeois. Elle n’est pas la seule à avoir connu cette ascension sociale. Or, c’est une pression énorme qui est mise sur la tête, les épaules, le cœur, l’âme de tous les individus qui forment nos sociétés. Si on ne tient pas compte de ce facteur, et de cette autonomie qu’il est nécessaire d’avoir, il est difficile de s’incarner et de bien dormir.»
Quelques études en lien avec la transmission des mémoires
Une expérience démontre que des souris conditionnées à associer la douleur d’un choc électrique à l’odeur d’amande. Dès qu’elles sentent l’odeur, elles ont une réaction de peur immédiate. Ce traumatisme perdure durant 5 générations de souris.
Par ailleurs, le docteur Ariane Giacobino, généticienne et chercheur à l’université de Genève, a observé que les traumatismes laissaient une trace biologique dans l’ADN. En particulier dans l’AND de la troisième génération issue du traumatisme.
Marc Frechet, psychologue clinicien de l’hôpital Debrousse à Villejuif est l’inventeur de la théorie des Cycles Biologiques Cellulaires Mémorisés. Cette théorie démontre que chaque fait marquant de la vie est gardé en mémoire par notre cerveau. Et le cerveau passe son temps à chercher des similitudes dans le passé avant de créer de nouveaux circuits neurologiques.
Il conclura qu’il est important de déprogrammer les situations douloureuses au risque de les revivre à des dates clef.
Encore un immense merci à Marie-Pierre et François!
En complément de ces information, retrouvez le replay de la conférence avec Marie-Pierre Dillenseger et François Couplan en cliquant sur ce lien
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