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Publié le 25/11/2022
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Tout comprendre des origines et de l’évolution du chamanisme
6 min de lecture
Qu’est-ce qu’un chamane?
Le mot «chamane» est issu de la langue des Toungouses (saman), un des peuples autochtones habitant la Sibérie orientale. Il désigne l’expert des rituels.
Chez d’autres peuples autochtones, voisins ou non des Toungouses, il existe également des experts des rituels baptisés d’un autre nom. Ils sont toutefois qualifiés aussi de chamanes, bien que les pratiques, les lieux et les époques divergent.
Anthropologue, linguistique, ancien chercheur au CNRS et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, Roberte Hamayon révèle dans son livre «Le chamanisme» (Eyrolles) les origines et l’évolution de cette pratique.
Avant toute chose, commençons par une immersion chez les Toungouses.
Quelles sont les fonctions du chamane Toungouse?
La vie chez les Toungouses
Les Toungouses sont un peuple de chasseurs et d’éleveurs de rennes. Jusqu’à la période présoviétique, ils vivent en petits groupes de nomades dans l’immense et froide Taïga. Ils se déplacent au gré des migrations saisonnières des rennes. La société Toungouse se distingue par une faible démographie et une organisation sociale égalitaire. Toute la vie des Toungouses est centrée sur la chasse autour de trois principaux gibiers: les rennes, les élans et les tétras (des cousins des poules et des dindons). C’est leur seul moyen de subsistance, et donc de survie. Les croyances toungouses s’articulent autour de deux particularités:- Une conception animiste du monde, qui confère à tous les vivants une âme égale à celle de l’Homme.
- Le monde n’appartient pas à l’Homme, c’est lui qui fait partie du monde. Pour ne pas y être éjecté, il lui incombe donc de respecter l’harmonie qui règne entre les vivants.
Le rôle symbolique et vital du chamane
Pour veiller à remplir sa mission, le chamane doit entrer en contact avec les esprits des animaux, car c’est avec eux que peut se négocier une relation d’échange équilibré. Pour que le chamane réussisse sa mission d’équilibriste, il doit lier son groupe d’humains aux esprits. Et quelle meilleure alliance que celui du mariage? Lors d’un rite où se mêlent des chants et des danses spécifiques, le chamane devient ainsi l’époux d’un esprit femelle des gibiers. Les rituels qui suivent le «mariage» consistent à échanger avec les esprits des espèces gibiers pour savoir quand la chasse est permise. Et quand il faut s’abstenir. Tous les hommes du groupe peuvent accéder à la fonction de chamane, étant donné qu’ils apprennent tous très jeunes l’art de la chasse et celui de communiquer avec les esprits. Ce n’est donc pas un apprentissage exclusif. Ce choix relève même du bon sens, car si jamais le chamane décède, un autre le remplace rapidement. Quant aux critères de sélection du chamane, ils sont très simples. Est choisi celui qui montre le plus d’intérêt et de talent à interagir avec les esprits. Il est à noter que les fonctions du chamane Toungouse diffèrent de celles de ses collègues chamanes issus des peuples pastoraux voisins. La survie de ces peuples étant indépendante de la bonne volonté des esprits des gibiers, le chamane joue un rôle nettement moins important. On ne le consulte qu’occasionnellement pour réaliser des rituels de divination, de guérison ou pour jeter le mauvais sort à un rival. Ainsi, il n’existe pas un «chamanisme» pur mais différentes formes de chamanisme. Cette variété des genres fit que les Occidentaux eurent du mal à comprendre cette pratique. Que le chamane soit perçu aujourd’hui comme un homme-médecine explique cette méconnaissance.Comment le chamane se transforma en homme-médecine?
Le chamane: rival païen, escroc et noble magicien
Les premiers Occidentaux à avoir rencontré les chamanes sont les Russes, quand au XVIIème siècle, ils décidèrent de conquérir la Sibérie. Les premiers contacts sont glaciaux. Les peuples autochtones sont considérés comme des primitifs et le chamane est perçu comme un rival direct des religieux chrétiens. Un rival sauvage soupçonné d’être un suppôt de Satan à cause de ses appels aux esprits (compris comme étant des appels aux démons). Mais également à cause de ses sauts et de ses danses que les Pères de l’Église ont toujours assimilé à des pratiques païennes. L’un d’entre eux, Jean Chrysostome, affirme que les pieds sont uniquement faits pour marcher modérément. Un siècle plus tard, les explorateurs Européens imprégnés de la philosophie des Lumières ne sont pas plus tendres avec le chamane. Du récit de ces voyages, Diderot définit dans son Encyclopédie le chamane comme étant «le nom que l’on donne à des imposteurs qui chez eux font les fonctions de prêtres, de jongleurs (parce qu’ils sautent et dansent), de sorciers et de médecins.» À la fin de ce siècle, la figure du chamane est brièvement réhabilitée par les artistes et écrivains romantiques. Ces adversaires de la pensée rationaliste font du chamane un noble magicien qui vit en harmonie avec la nature. Cette figure idéalisée du chamane, aussi éloignée de la réalité que sa version diabolique, ne dure pas. Elle ne trouve un véritable écho qu’à notre époque. Entre-temps, le XIXème siècle introduit deux nouvelles visions du chamane, celui du malade mental et de l’homme-médecine.Le chamane, du malade mental à l’homme-médecine
Dans les années 1860, l’expansion colonialiste russe en Sibérie bouleverse la vision occidentale du chamane. Les autochtones qui voient des paysans s’installer sur leur territoire sont obligés de fuir plus loin et plus haut dans les montagnes. Ces peuples souffrent de cette pression territoriale et demandent donc à leurs chamanes de multiplier les rituels collectifs et individuels de guérison. Ces rituels apaisent leurs angoisses et les confortent dans la préservation de leur identité culturelle. Les agents et médecins de l’Empire russe en contact avec les autochtones tolèrent largement ces rituels. Ils ont compris que ce ne sont pas des cérémonies religieuses (ce qu’ils auraient interdit) mais des sessions thérapeutiques. Toutefois, les médecins russes qui observent ces sessions restent intrigués par la gestuelle durant le rituel du chamane. À tel point, que certains observateurs en viennent à douter de sa santé mentale. Le chamane n’est dès lors plus perçu comme un arriéré culturel mais comme un arriéré mental. Toutefois, les écrits décrivant ces sessions thérapeutiques s’accompagnent de nouveaux termes pour qualifier les rituels et le chamane. Les mots de «cure», de «guérison» et de «guérisseur» apparaissent. La compréhension du rôle du chamane évolue. Ce spécialiste des rituels cesse d’être perçu comme un prêtre ou un jongleur pour devenir un guérisseur. Il devient l’égal de l’homme-médecine des peuples indiens d’Amérique. Cette vision du chamane reste actuelle. En plus d’être couplée à celle du sage écologiste, descendant de la vision romantique du noble magicien. Entre ces différentes représentations occidentales et les multiples formes de chamanisme, qu’en reste-t-il aujourd’hui?Que reste-t-il du chamanisme?
Une pratique trop libre pour mourir
Il évident que le chamanisme tel que le pratiquaient les peuples de chasseurs a disparu. Mais le chamanisme n’est pas lié à la chasse. Sa fonction est de faire des rituels pour entrer en contact et en relation avec les esprits. Les esprits aident l’Homme à acquérir des biens que l’Homme ne peut pas produire de lui-même. Cela comprend le gibier, mais cela peut aussi bien comprendre la chance, la créativité, la santé, l’argent, l’amour etc. Dans cette relation d’échange, l’Homme doit aussi apporter sa contribution. Par ailleurs, il existe autant de chamanismes, c’est-à-dire autant de techniques pour faire des rituels, que de chamanes. Quand les chercheurs en sciences sociales du XIXème siècle ont essayé de définir et de catégoriser le chamanisme, ils se sont retrouvés dans l’impasse. Il leur était impossible de définir le chamanisme parce qu’il ne se réfère à aucune doctrine et liturgie. De même, les chamanes ne se sont jamais organisés en confrérie ou en clergé. Ils se sont même souvent retrouvés en rivalité les uns avec les autres. Finalement, le chamanisme est une pratique libre, souple, il peut donc s’adapter à différents besoins.Les néochamanes
En Sibérie, certains (supposés) descendants des chamanes exercent aujourd’hui en milieu urbain, où ils proposent des rituels privés et rémunérés. Certains malins ont même développé le touriste chamanique, proposant une visite guidée des lieux dévolus aux rituels. En Occident, les années 1960 ont vu naître au creux de la vague New Age des mouvements néochamanistes avec comme but de répondre aux besoins spirituels occidentaux. Si les mouvements se distinguent, certaines caractéristiques restent communes:- La recherche du contact avec les esprits et l’univers pour obtenir quelque chose.
- Le contact avec la nature, notamment avec la recherche de son animal-totem.
Source: Roberte Hamayon, Le chamanisme, Eyrolles, 2015
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