Rencontre avec Maurice Barthélémy, acteur, scénariste, réalisateur et hypersensible
Que signifie être hypersensible ? Même si depuis quelques années l’hypersensibilité est devenue un sujet d’intérêt, il subsiste à son sujet des incompréhensions et des confusions.
L’hypersensibilité est ainsi encore trop amalgamée avec la sensiblerie excessive. Voire tout simplement avec la sensibilité, qui est la capacité à percevoir des sensations et à éprouver des émotions.
Afin de mieux comprendre la nature des hypersensibles, nous avons reçu l’un d’entre eux en la personne de Maurice Barthélémy, acteur, scénariste et réalisateur.
Dans son ouvrage « Fort comme un hypersensible » (Michel Lafon), Maurice Barthélémy dévoile comment son hypersensibilité s’est manifestée tout au long de sa vie sans qu’il ne puisse la nommer et comprendre avant l’âge de 45 ans.
MB: Au travers de ma fille dont je ne comprenais pas le comportement. A 7-8 ans, elle était une enfant assez inquiète qui faisait parfois de fortes terreurs nocturnes et avait des problèmes de somnambulisme. Elle était également compétitive, perfectionniste et se mettait facilement en colère quand elle ne réussissait pas à terminer ce qu’elle avait commencé. Grâce à la lecture du livre « Je pense trop » de Christel Petitcollin, j’ai compris qu’elle était hypersensible, ainsi que moi-même.
Quelles sont les principales singularités des hypersensibles ?
MB: Il y a plusieurs profils. En ce qui me concerne, mon hypersensibilité se manifeste par :
Une pensée en arborescence. Une idée en amène quatre, puis seize.
Une forte intuition. Plein d’informations me parviennent quand je vis une situation ou rencontre quelqu’un.
Une forte empathie avec l’envie de me porter au secours de tout le monde.
Une hyperesthésie, à savoir des sens très aiguisés.
Enfin, quelques problèmes d’estime de soi, de prise de décision et de culpabilité.
La question de l’inné et de l’acquis
Dans ce livre, vous racontez comment vous ont élevé vos parents et certains épisodes de vie que vous qualifiez de maltraitance passive. Par exemple, à l’âge de 11 ans, vos parents se séparent et décidant de partir à l’autre bout du monde, vous laissent avec l’une de vos sœurs chez deux amis. Vous ne vous êtes jamais demandé si votre caractère ne venait pas de votre enfance plutôt que d’un tempérament inné?
Maurice Barthélémy: Je pense que ce sont les deux. Il y avait cette hypersensibilité présente depuis le début à laquelle s’est ajouté un phénomène de résilience. Cela a forcément déclenché chez moi des peurs, des fragilités mais aussi des forces.
En nous laissant à la garde de ce couple d’amis, nos parents nous ont fait grandir très vite. Ma sœur âgée de 13 ans me faisait à manger, j’allais à l’école tout seul et quand il y avait une sortie scolaire je me débrouillais seul pour préparer mon sandwich et me rendre au car.
Si cette enfance a déclenché de l’insécurité chez Maurice Barthélémy, elle lui a aussi insufflé des forces et des ressources en le rendant responsable et autonome. Deux qualités qui lui ont été précieuses quand il décide de devenir acteur.
Quelles sont vos relations avec vos parents aujourd’hui?
Maurice Barthélémy: Mon père est parti en 2008 et ma mère en 2013, mais je suis aujourd’hui très apaisé avec eux. J’ai fait une thérapie qui m’a permis de mettre à jour ce phénomène de maltraitance passive. Mes parents étaient hypersensibles et ont fait comme ils pouvaient avec leurs propres blessures d’enfance. Même s’il y a eu des dysfonctionnements, ils ont plutôt été des parents intelligents et aimants.
Comment l’hypersensibilité se manifeste-t-elle?
L’hypersensibilité comme atout et inconvénient
Comment cette hypersensibilité s’est-elle exprimée dans votre scolarité?
Maurice Barthélémy: J’étais un élève intéressé par ce que l’on m’apprenait. A l’oral j’étais plutôt bon et actif. En revanche, j’avais un peu de dyslexie et de gros problèmes de concentration dû à un trouble de l’attention. C’était une catastrophe dès qu’il s’agissait de me mettre à l’écrit ou de m’organiser le soir pour faire mes devoirs. Les profs estimaient que je ne faisais aucun effort. Ils ne comprenaient pas que j’étais dans un système qui ne me correspondait pas.
Maurice Barthélémy: Ma scolarité n’a pas été une source de préoccupation pour eux. Ils voyaient bien que les notes n’étaient pas au rendez-vous et que j’avais souvent des remarques, mais comme je n’étais pas un enfant rebelle, ils me laissaient vivre et faire.
Au niveau de votre interaction sociale, votre hypersensibilité a-t-elle été un atout ou un inconvénient?
Maurice Barthélémy: Enfant, elle a plutôt été un atout, parce que j’étais assez éveillé, créatif et sociable. En revanche, lorsque j’ai commencé à vouloir devenir comédien, l’hypersensibilité a été un vrai problème. Je n’avais aucune confiance en moi et je redoutais de me trouver en audition, spectacle ou concours.
Quid de votre vie sentimentale?
Maurice Barthélémy: Ma première déception amoureuse a été une telle souffrance qu’elle est encore vivante chez moi. Par la suite, je me suis construit une sorte de carapace pour ne plus prendre de risques. J’ai compris plus tard que prendre son risque est le plus important.
Depuis, je navigue entre deux pôles. D’une part, il y a encore ce besoin de me protéger et d’avoir une vie amoureuse calme. D’autre part, je redoute l’ennui et la routine. Aujourd’hui, j’essaie de moins me poser de questions et de me laisser porter.
Extrait de « Fort comme un hypersensible »
« Si tu lis ces quelques lignes, ami lecteur, c’est que tu es allé au bout de ce livre. Merci.
Beaucoup d’entre vous auront sans doute reconnu leurs propres traits de caractère dans ce récit. Parmi vous, certains vont rejeter la possibilité d’être hypersensibles, eux aussi. C’est normal. Et c’est tant mieux. Ça fait partie du processus.
Tout le monde n’est pas hypersensible, mais une proportion d’environ 18 % de la population est concernée. Et ceux-là détestent précisément être mis dans une case. Sans compter leur manque de confiance, qui ne les aide pas à accepter leur différence.
Ami lecteur… je ne te demande pas de l’accepter maintenant. Laisse mûrir. Et si l’idée ou le questionnement remonte en toi, renseigne-toi, lis sur le sujet, parles-en autour de toi. Interroge-toi aussi sur ton entourage. N’y aurait-il pas aussi des hypersensibles ?
Consulte éventuellement un spécialiste, mais ne cherche pas forcément une validation. Sois-en convaincu. Comme il est écrit dans ce livre, quand on a le vertige, on ne se demande pas si on l’a. On l’a, c’est tout.
[…] Découvrir son hypersensibilité est le plus beau des cadeaux. Tu vas comprendre que tu roules depuis toujours en seconde dans une voiture de course. Maintenant, tu vas pouvoir passer la quatrième, la cinquième, voire la sixième vitesse. Tu iras beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. »
Si tu as des questions, je me ferai un plaisir de te répondre via ma page insta. Si […] je n’ai plus d’insta, cherche un petit endroit calme posé sur l’eau : je serais sûrement là, et je t’attendrai. Je vous attendrai. »
Pourquoi avez-vous choisi de partager cet extrait?
Maurice Barthélémy: Je ne sais pas… Je commence souvent les livres par la fin, c’est un réflexe d’hypersensible.
L’hypersensible est-il toujours un surdoué attiré par le pervers narcissique?
L’hypersensible et le pervers narcissique
Vous écrivez qu’il « existe une frontière assez ténue entre l’hypersensible et le pervers narcissique » et qu’il « n’est pas rare que les pervers narcissiques soient des hypersensibles qui ont basculé du côté obscur de la force. » Comment expliquer ce lien?
Maurice Barthélémy: Selon mon analyse, l’hypersensible est attiré par le manipulateur parce qu’il voit sa part d’ombre et a envie de le sauver. Le manipulateur, de son côté, perçoit les failles de l’hypersensible et sait qu’il va beaucoup lui apporter. C’est, malheureusement, une association (professionnelle ou affective) assez courante. Je l’ai moi-même vécu, et même si cela a été douloureux et compliqué à vivre, cela m’a aidé à mieux me connaitre.
Quelles ressources avez-vous déployées pour pouvoir vous sortir de cette relation?
MB: Cela m’a demandé des monceaux d’énergie. Face à un manipulateur, on dépense tellement d’énergie pour maintenir un équilibre qu’on sort complétement vidé de cette relation ).
Faire un travail sur soi est nécessaire pour récupérer de l’énergie, de l’estime de soi et de l’autonomie de penser. Même si au départ le chemin est très lent, la progression est exponentielle.
Quelle a été le rôle de votre entourage dans cette expérience?
MB: Ma famille et mes amis m’ont laissé vivre mon expérience. Ils ont eu raison, parce qu’il ne sert à rien de rentrer en conflit avec quelqu’un qui est manipulé. Cependant, il est important qu’une ou deux personnes suscitent la prise de conscience en comparant la situation sous emprise avec la vie passée. C’est en réalisant que je me coupais de mon entourage et m’éloignais de mon chemin, que je suis revenu à eux.
L’hypersensible et le haut-potentiel
Que pensez-vous de la comparaison qui est souvent faite entre les hypersensibles et les hauts-potentiels?
MB: Je pense qu’il y a beaucoup de hauts-potentiels qui sont hypersensibles. Néanmoins, je me méfie assez de ce débat parce que je ne veux pas trop mêler l’intelligence à l’hypersensibilité. Ce qui m’importe est mon hypersensibilité et non mon intelligence. Je ne fais pas de cette dernière un faire-valoir, et j’ai un peu de mal avec ceux qui se déterminent en fonction de leur QI.
Je suis assez d’accord avec Fanny Nusbaum quand elle dit que l’intelligence est une question de contexte et pas forcément de synapse ou de neurone.
Comment mieux vivre avec son hypersensibilité?
Conseils de vie d’un hypersensible
Quels conseils donneriez-vous à un hypersensible pour mieux canaliser son anxiété, son stress, voire son mal de vivre ?
MB: Je dirai qu’il faut se débarrasser de deux choses importantes : la culpabilité (peur de décevoir les attentes de son entourage) et les peurs (notamment de ne pas être à la hauteur de ses envies).
A partir du moment où on sait ce pour quoi on est fait, il ne faut pas craindre les éventuelles difficultés et arrêter de tout anticiper. S’il est important de se protéger un peu, il l’est tout autant de lâcher-prise et de voir ce qu’il va se passer.
Vous racontez votre expérience de papa auprès de votre fille hypersensible. Quels conseils donneriez-vous aux parents qui ont des enfants hypersensibles ?
MB : Le plus important est de bien comprendre le profil de son enfant, parce qu’il y a plein d’hypersensibilités. Il y a des hypersensibles introvertis et des hypersensibles extravertis. Il y a des enfants très émotifs et d’autres qui expriment très peu leurs émotions.
Lorsqu’un enfant réagit de façon excessive, il ne le fait pas pour provoquer ou énerver, mais pour exprimer un mal-être. Il est contreproductif de le culpabiliser ou de vouloir à tout prix le calmer. Le parent doit aider son enfant à exprimer son mal-être et à trouver avec lui des solutions.
Conseils de lecture
Quels ouvrages ont bouleversé votre vie d’hypersensible?
MB: Les plus importants sont :
« Je pense trop » de Christel Petitcollin sur l’hypersensibilité.
« Les hypersensibles » d’Elaine Aron, une psychologue américaine à l’origine de l’actualisation de l’hypersensibilité.
« Itinéraire d’une ultrasensible » de Charlotte Wils
«: justify;">Vous pouvez évidemment compléter cette liste en incluant « Fort comme un hypersensible », qui, au-delà d’être un partage sur une expérience de vie d’hypersensible, est surtout une invitation à partir en quête de soi. Et ce, quel que soit son degré de sensibilité.
Charles Baudelaire, un illustre hypersensible, affirmait qu’ « il ne faut mépriser la sensibilité de personne. Car la sensibilité de chacun, c’est son génie ».
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