Du XXème siècle, nous avons beaucoup reçu en termes de liberté, de longévité et de confort matériel. Mais nous avons également beaucoup perdu : les liens sont devenus superficiels et le non-sens de notre système compétitif ne cesse d’engendrer peurs et colères. Jusqu’où irons-nous ?
Journaliste et conférencière spécialisée sur les thèmes de l’environnement, de la santé et de la psychologie, Frédérica Van Ingen est allée à la rencontre des peuples premiers dont l’approche de vie dans la santé et le rapport aux autres et au monde peuvent nous inspirer quels que soient notre religion et notre milieu social.
Frédérica Van Ingen : La rencontre s’est d’abord faite avec moi-même. J’étais dans un cheminement personnel où j’avais déjà exploré la méditation et des approches de développement personnel que l’on peut trouver chez nous. Je me suis rendu compte que tout ce savoir se retrouvait déjà chez les peuples premiers.
J’ai rencontré des passeurs issus de notre culture, qui ont passé énormément de temps avec les Kogis de Colombie, les Navajos en Arizona ou les Massaïs au Kenya. Au fil du temps, j’ai rencontré des passeurs directement issus de ces peuples premiers en Mongolie, en Afrique noire et en Amérique du Sud. Et à chaque fois, quelles que soient les différentes approches, je retrouvais les mêmes principes de vie fondamentaux qui permettent à la fois de nous reconnecter à nous-mêmes, aux autres et à la nature.
Frédérica Van Ingen : Le lien. Ils travaillent le lien. Ce n’est pas un effort en soi, puisque cela leur est naturel. Pour certains, la notion de « je » n’existe pas, parce que je n’existe qu’à travers la relation à l’autre humain, au groupe, ainsi qu’à tout ce qui m’entoure.
Dans leur vision de la vie, le monde visible est une émergence de l’intelligence du monde vivant, qui est quelque chose d’invisible. Tout ce qui est autour de nous nous parle. Certains de ces peuples qui n’ont pas quitté leur terre ancestrale sont encore en capacité de lire tout ce qui les entoure comme nous on lit un livre. Littéralement. Les zones cérébrales activées pour décrypter leur l’environnement sont les mêmes que lorsque nous lisons un roman ou le journal.
Par ailleurs, leur lecture de leur environnement ne se limite pas à la quête de nourriture. Plus intriguant et intéressant, les informations qu’ils soutirent concernent aussi les questions existentielles : qui suis-je, quelle est ma place dans ce monde et ma mission de vie ? Des questions fondamentales que nous négligeons dans notre monde moderne.
Tous les malaises et maladies de notre société proviennent d’ailleurs du fait que nous soyons déconnectés de la Terre et la nature.
La santé selon les peuples premiers
La souffrance du monde occidental expliquée
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Comment les peuples premiers perçoivent-ils notre société occidentale ? Les Kogis nous appelleraient « les petits frères », pourquoi ?
Frédérica Van Ingen : Les Kogis pensent que nous n’allons pas bien, et que nous sommes collectivement malades. Ils ne comprennent pas pourquoi nous considérons le monde comme une ressource. On se sert et on prend. Tandis qu’eux ont toujours collaboré avec la nature pour perdurer et fonctionner. A un moment dans notre Histoire, nous avons complétement coupé la collaboration et la communication avec la nature.
Pour les Kogis, notre cas n’est toutefois pas totalement perdu. Notre mémoire a le souvenir de cette lointaine collaboration. Pour la rétablir, il faut renouer une relation avec la nature, qui est également la relation à l’invisible.
Les origines des maladies
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Vous expliquez que lorsqu’un individu est malade, toute la communauté se réunit pour prendre soin de lui. Qu’est-ce que cela signifie ?
Frédérica Van Ingen : Quelqu’un de malade c’est le symptôme que quelque chose ne va pas dans la communauté. C’est un paradigme complétement différent par rapport au nôtre. Dans leur approche de la santé, les individus sont les cellules de la communauté-organisme.
Le mot santé dans la langue des Lakotas se traduit par « un homme en équilibre » avec lui-même et avec tout ce qui l’entoure.
Donc s’il ne va pas bien c’est qu’il vit un déséquilibre par rapport au groupe ou à quelque chose de plus grand.
Tout problème physique ou psychologique vient d’un autre niveau qui est celui de l’invisible, que l’on peut qualifier de niveau spirituel. Si ce problème persiste dans le temps, il finit par se cristalliser dans la matière en mal-être et en maladie.
Selon les peuples premiers, tout est énergie. Y compris nos émotions. Toutes les maladies découlent donc des non-dits ou des blessures émotionnelles ignorées. Conscients de l’existence de cette énergie, les peuples premiers sont de grands adeptes des soins préventifs. Dans ce but, les rituels jouent un rôle important en soutenant le développement de l’intelligence émotionnelle.
L’éducation chez les peuples premiers
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On apprend dans votre livre que les rituels commencent très jeune pour que l’enfant apprenne à décrypter ses émotions.
Frédérica Van Ingen : Chez les Navajos, quand on est triste, on ne dit pas « je suis triste » mais « la tristesse m’accompagne ». L’idée c’est que nous ne sommes pas nos émotions, elles ne font que nous traverser. Ce qu’ils savent depuis toujours, la psychologie le redécouvre aujourd’hui.
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Quels sont les principes éducatifs des peuples premiers ?
Frédérica Van Ingen : L’éducation se fait surtout par l’observation des parents.
La grande différence dans les principes éducatifs est le rapport à la peur. Dans notre éducation, nous mettons beaucoup l’accent sur la peur. Attention tu vas te faire mal avec ce couteau. Or, chez les peuples premiers, si un enfant se fait mal avec un couteau c’est qu’il devait apprendre par lui-même la dangerosité du couteau.
Ils ont une confiance dans le mouvement de la vie, parce qu’il est relié à l’intelligence invisible de la vie. Cette intelligence apporte constamment des informations et des enseignements.
Pour comprendre le mouvement de la vie et les intentions de l’intelligence invisible, les peuples premiers disposent de leurs experts. Ce sont les fameux chamanes.
Quel est rôle des chamanes ?
L’intermédiaire entre le monde visible et invisible
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Quelle est l’origine du mot chamane ?
Frédérica Van Ingen : Il vient de la langue toungouse (famille de langues parlées en Sibérie). Ce sont les anthropologues qui ont généralisé ce mot pour définir les gens qui étaient en lien avec l’invisible.
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Que fait un chamane concrètement ?
Frédérica Van Ingen : C’est un vrai métier où l’on apprend à connaître le monde invisible et à filtrer les bons des mauvais esprits, avec des règles et des codes à respecter.
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Dans votre livre, on comprend que devenir chaman est une traversée exigeante. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Frédérica Van Ingen : L’apprenti-chamane est soumis à de longues périodes d’isolement. Chez les Kogis, les chamanes passent 18 ans dans le noir et sont complétement isolés de la communauté depuis leur naissance. Ils sortent de là en ayant une connaissance complète du monde. C’est un truc totalement mystérieux.
Dans d’autres traditions, l’apprenti-chamane va plutôt avoir de longues initiations. En Amazonie, cela va être beaucoup de temps d’isolement dans la forêt. Et chez les hommes-médecine des Navajos, cela va être des apprentissages tout au long de leur vie.
Les chamanes peuvent-ils revenir en Occident ?
Le chamanisme existe un peu partout dans le monde, et depuis tout le temps. Même en Occident, il y a des gens qui ont cette capacité-là, mais ils ont du mal à trouver leur place dans notre société.
Pour que les chamanes puissent revenir en Occident, deux conditions sont nécessaires :
- Il faudrait rouvrir la possibilité que cela existe dans notre société.
- Par ailleurs, on ne pourra pas transposer les rites et adopter les cultures des peuples premiers. Nous devrons trouver notre propre voie et réinventer notre chamanisme.
Est-il pertinent d’aller rencontrer les chamanes ?
Pour les aventuriers qui chercheraient à résoudre les Grands Mystères de la Vie en goutant aux herbes magiques des peuples premiers, Frederika Van Ingel prévient que l’expérience peut être bouleversante. Certains occidentaux ne s’en sont jamais remis.
Voici donc deux recommandations de notre autrice :
- Ne pas partir à la rencontre des chamanes par simple curiosité, mais à condition que la vie nous envoie plein de panneaux indicateurs pour y aller.
- Se faire accompagner par un passeur de notre culture.
- Se souvenir que ces voyages artificiels ne sont pas nécessaires. La reconnexion à la nature est la première des voies pour se reconnecter à soi et au monde.
Que pouvons nous apprendre des peuples premiers ?
Oser s’incarner
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Qu’est-ce que vous aimeriez que l’on retienne de la sagesse et de la vision de la vie des peuples premiers ?
Frédérica Van Ingen : Il y a quelque chose qui n’est pas forcément très évident à accepter pour nous : c’est la conscience de la responsabilité de la vie qui nous traverse.
Le terme de responsabilité est parfois lourd, mais la façon dont le vivent les peuples premiers est très belle. Si je suis là, c’est qu’il y a une raison. Mon chemin d’humain c’est de découvrir la raison pour laquelle je suis là. Mon équilibre, celui du groupe et du vivant dépend de ma capacité à trouver ce chemin et cette place qui est la mienne.
Retrouver ce qui nous fait vibrer
Frédérica Van Ingen : Cultiver cette responsabilité, c’est aussi se réveiller le matin et se demander quand on ne va pas bien : qu’est-ce que je vais pouvoir faire pour remettre de la beauté dans ma journée et ma vie ? ». La responsabilité concerne donc aussi la culture de la beauté en soi et autour de soi.
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C’est donc reprendre son pouvoir ?
Sachant que ce n’est pas un pouvoir sur les autres, mais son pouvoir à soi pour contribuer à la beauté du monde. C’est toujours une contribution au service du vivant.
Ces peuples vivent énormément de difficultés. A travers ma publication, il y en émergera plus de respect pour ces peuples premiers et pour leur redonner leur place de grand-frère, qu’ils méritent vraiment.
Grand merci Frederika !
Must read : Ce que les peuples racines ont à nous dire. Frederika Van Ingen aux éditions les liens qui libèrent
magnifique témoignage merci
Merci
Cela fait sens pour moi et quand cela fait sens pour moi, c’est que c’est juste et ce que dit Frédérica Van Ingen est juste,
car cela correspond exactement à mon propre rapport avec les peuples premiers, les cultures ancestrales.