Quelles sont les conditions pour devenir astronaute?
L’envie et la chance
Selon Neil Armstrong, le mystère crée l’émerveillement et l’émerveillement est à la base du désir de compréhension de l’homme.
60 ans après le début de l’exploration spatiale, l’émerveillement et le désir sont toujours aussi vivaces. En témoigne la popularité de l’astronaute Thomas Pesquet élu personnalité préférée des Français en 2022.
Le cosmos nous fait donc rêver, mais à quel prix ? Beaucoup considèrent effectivement qu’investir dans la conquête spatiale revient à jeter de l’argent par les fenêtres.
Quel est donc le point de vue de Jean-François Clervoy, astronaute et vétéran de trois missions spatiales avec la NASA?
Jean-François Clervoy est également fondateur d’Air Zero G, le seul opérateur de vols en apesanteur en Europe. Il a enfin rédigé plusieurs ouvrages dont Entretiens avec un astronaute (De Boeck Supérieur).
Il nous révèle ici les contributions socio-économiques de la conquête spatiale, l’impact psychique d’une telle aventure ainsi que son parcours professionnel.
- Comment devient-on astronaute?
- Jean-François Clervoy: En le voulant avec ses tripes et en étant chanceux. Il faut être né dans un pays possédant un programme spatial et au bon moment. L’Europe ne sélectionnant ses astronautes que tous les 15 ans, vous pouvez être trop jeune ou trop âgé lors d’une sélection.
Le processus de sélection comprend 5-6 étapes avec des évaluations médicales, psychologiques, psychotechniques et psychomoteurs. Chaque étape ne retient que 10 % des candidats. A la toute fin, il reste encore 3 à 4 fois plus de candidats que de places disponibles.
Jean-François Clervoy: La dernière sélection de l’Agence spatiale européenne de 2022 n’a retenu que 16 candidats (cinq astronautes recrutés, dix «remplaçants» et un para-astronaute) sur 22 500 postulants.
Un esprit curieux et technique
- Pourquoi la France, contrairement à d’autres pays, souffre-t-elle d’un défaut de vocation?
- Jean-François Clervoy: Lors de la dernière sélection, 1/3 des candidats étaient français. Je ne dirai pas que le métier d’astronaute souffre d’un manque de vocation. En revanche nous souffrons d’un manque d’intérêt pour les matières scientifiques. Les raisons sont peut-être d’ordre pédagogique ou de rythme d’apprentissage inadapté à toutes les formes d’intelligence.
Contrairement à nos croyances, les astronautes ne sont pas tous d’anciens excellents élèves. Plusieurs sont même d’anciens délinquants.
- JFC: Quand vous demandez aux jeunes ce qu’ils veulent faire plus tard, beaucoup vous répondent qu’ils veulent gagner de l’argent en devenant youtubeur ou joueur de foot. Ils s’inspirent de ce qu’ils voient sur internet, ce qui rend la recherche de leur vocation plus difficile. Je ne désespère pas qu’avec une bonne communication digitale sur les vols spatiaux nous puissions susciter à nouveau des vocations.
- À qui conseilleriez-vous le métier d’astronaute et à qui le déconseilleriez-vous?
- JFC: Je le conseille tous ceux qui aiment l’aventure et qui sont curieux intellectuellement et émotionnellement. Il importe aussi d’avoir davantage d’appétence pour la technique que la recherche. L’astronaute étant avant tout un opérateur de machine et non pas un chercheur. Il exécute des opérations scientifiques pour le compte de l’équipe de recherche restée sur Terre.
A contrario, le métier est déconseillé aux claustrophobes, à ceux qui s’épanouissent essentiellement dans leur zone de confort. Il est effectivement évident que vivre dans l’espace est une expérience sensorielle et psychologique inédite.
Comment vit-on dans l’espace?
Le quotidien des astronautes
- À quoi ressemble une journée à bord d’une navette spatiale?
- JFC: Il y a deux types de vols spatiaux: les vols courts (10-15 jours) et les vols longs (6 mois en moyenne). Dans les deux cas, la vie à bord ressemble à du camping où tous les objets sont attachés (au risque de les perdre).
Les vols courts sont des séjours très intenses impliquant 14 à 16h de travail par jour. Les journées en vols longs imitent les journées sur Terre avec 8h de
travail et 8h de sommeil. Les astronautes font également 2h-2h30 de sport obligatoire pour limiter la perte de densité osseuse et l’atrophie musculaire.
- Comment vit-on le temps qui passe dans l’espace?
- JFC: La station spatiale fait le tour de la Terre en 1h30. En 24h, nous faisons donc 16 fois le tour de la Terre et nous voyons 15 levers et couchers de soleil. Nous ne vivons donc pas au rythme solaire et n’éprouvons pas la sensation naturelle que nous sommes le matin ou le soir. Nous vivons en fonction de la montre et du plan de vol qui détaille chaque minute qui fait quoi quand et où.
- Vous dévoilez des anecdotes de vie amusantes et les facéties des astronautes dans l’espace. Existe-t-il des moments de tensions quand on est confiné en apesanteur avec ses collègues?
- JFC: Au début de l’astronautique, il est arrivé que des astronautes en viennent aux mains. Aujourd’hui, les compatibilités des personnalités sont prises en compte. L’étape de sélection psychologique est très poussée comparativement à mes premières sélections en 1985. J’ai assisté à des conflits lors de mes missions, mais aucun n’a jamais compromis le succès de la mission ou la sécurité des autres.
Les difficultés du retour sur Terre
- L’astronaute américain Buzz Aldrin a dit que la partie la plus difficile d’un vol spatial, c’est le retour sur Terre. Pourquoi ?
- JFC: C’est difficile sur le plan physiologique. Nous sommes essoufflés par notre propre poids et avons perdu le sens d’orientation et d’équilibre.
Pour éviter de tomber, les astronautes ont besoin de garder les yeux ouverts. Il leur est d’ailleurs interdit de conduire tout type de véhicule puisque le risque d’avoir un accident est de 100%.
- Sur le plan psychologique, nous ressentons un sentiment de vide intérieur. Il est difficile de retourner à la vie de bureau après avoir vécu une expérience très intense et grandiose. Quand j’ai coaché la promotion de Thomas Pesquet, je leur ai conseillé de consacrer du temps à réfléchir au retour. Notamment sur les projets qu’ils pourraient trouver intéressants et utiles à l’agence spatiale.
- Comment vit-on après être allé 3 fois dans l’espace?
- JFC: Après chaque vol, la mission des astronautes est de transmettre leur expérience. Plusieurs astronautes donnent des conférences, collaborent à des films, des ouvrages ou se tournent vers l’enseignement. Transmettre notre passion aux jeunes est aussi très important.
- Nous transmettons aussi notre prise de conscience sur la fragilité de la vie. Dans l’espace, vous visualisez très précisément l’épaisseur de l’atmosphère. Elle ne représente qu’un mince filet de gaz par rapport à l’épaisseur de la Terre.
- Espérez-vous retourner dans l’espace une 4ème fois?
- JFC: J’ai bon espoir. John Glenn est allé dans l’espace à l’âge de 77,5 ans. Un de mes collègues né comme moi en 1958, Michaël Lopez-Algria travaille aujourd’hui pour une société privée Axiom Space. Il escorte des touristes pour voler vers la station spatiale.
Si l’expérience spatiale est à plus d’un titre extraordinaire, qu’apporte-t-elle concrètement à l’humanité?
Qu’apporte la conquête spatiale à l’humanité?
Les bénéfices de l’exploration spatiale
- Quelle est la place de la France dans le paysage de la conquête spatiale?
- JFC: La France est la 3e puissance spatiale après la Russie et les Etats-Unis. La France a longtemps été leader de l'Agence spatiale européenne et pionnière sur le savoir-faire des fusées et des satellites. Plus un programme spatial est ambitieux plus il nécessite une coopération internationale.
- Les technologies spatiales peuvent-elles nous aider à surmonter les défis environnementaux et à protéger la biosphère ?
- JFC: L’espace est le premier pourvoyeur d’informations du GIEC. Les satellites permettent de comprendre l’évolution du climat sur Terre. Ces connaissances sont affinées par l’étude comparée de l’évolution du climat sur Mars et Vénus.
- Qu’apportent les investissements dans les programmes spatiaux aux pays qui les financent?
- JFC: Il est vrai qu’à l’échelle de plusieurs pays sur plusieurs décennies, les montants évoqués sont de l’ordre de dizaines de milliards d'euros. Mais sur une échelle plus proche de nous, par exemple en France, chacun donne en moyenne 1,20€ par an (en comparaison, l’Education Nationale reçoit en moyenne 1000€ /citoyen/ an)
Comme le note Jean-François Clervoy, supprimer ce coût (risible) n’enlèvera rien aux autres problématiques. En plus, cela pourrait être très infructueux à plusieurs niveaux.
- JFC: Ne plus investir dans l’espace nous enlèverait un rêve qui nous priverait de jeunes talents. En plus de nous priver d’un savoir-faire utile pour d’autres disciplines comme la sécurité des transports ou la technique de gestion de grands projets. Enfin, il importe de rappeler que 90-95% des investissements servent à financer les salaires. Autrement dit à faire vivre des gens.
L’intérêt de l’aventure martienne
- Pensez-vous qu’un jour nous irons sur Mars?
- JFC: Je suis convaincu que dans les 20 ans à venir, nous effectuerons un premier voyage habité vers Mars. Je ne pense pas que cette première mission inclura la descente à la surface, ce serait un rajout énorme en termes technique, budgétaire et opérationnel. Mais nous y arriverons un jour.
- Les jeunes d'aujourd'hui peuvent espérer aller sur Mars?
- JFC: Seule une poignée pourront y aller. Il n’y a qu’Elon Musk pour penser que nous pourrons tous aller sur Mars dans 50-100 ans pour 200$. Les lois de la physique font que cela restera toujours très cher et très risqué.
- Pourquoi vouloir aller sur Mars alors que cela n’est pas forcément viable pour l'humanité?
- JFC: Il est clair que Mars reste beaucoup plus hostile que le plus hostile des endroits sur Terre. Nous ne pourrons vivre que dans des atmosphères artificielles entretenues avec des ressources locales. Il y a plusieurs raisons qui nous poussent à aller sur Mars:
- Nous savons y aller. Dans ce cas, pourquoi nous priver de le faire?
- Pour faire des découvertes sur Mars (comme trouver de la vie sur place) nous avons besoin de nous y rendre. Actuellement, nous disposons de rover sur Mars, or leur avancée est très lente. Les rovers Spirit et Opportuny ont parcouru 30km en 10 ans. Les humains seront beaucoup plus efficaces.
- Comment voyez-vous le monde de demain et l’évolution de l’humanité?
- JFC: Je suis optimiste. L’humanité va connaître des crises majeures, mais je pense qu’elle convergera vers plus de sagesse grâce à l’acquisition de connaissances. Selon moi, le sens de l’existence est de contribuer à rendre le monde meilleur.
Cet optimisme est-il dû à la nature de Jean-François Clervoy ou doit-il être attribué à son aventure spatiale?
L’aventure spatiale transforme-t-elle un homme?
Grandir en conscience dans l’espace
- Vous écrivez: « Je ne crois pas que le vol spatial transforme en profondeur l’être humain, au sens où il ne bouleverse ni son caractère, ni ses croyances spirituelles. Mais le fait d’avoir vu la Terre depuis l’espace enrichit considérablement celui qui l’a vécu de sensations, d’émotions et de réflexions nouvelles…On se montre ouvert à des réflexions nouvelles parce que certaines pensées nous viennent à l’esprit qui n’auraient pas germé en nous autrement.» De quelles pensées parlez-vous ?
- JFC: On s’interroge sur les forces du hasard et le chemin de vie qui nous ont conduit ici. Pour moi, ce fut mon père pilote de chasse, la série Star Trek, les missions Apollo. S’il y avait eu un autre concours de circonstances, je n’aurais peut-être pas choisi cette voie. Je ne m’étais jamais questionné sur le sens de l’existence, même à l’échelle de l’humanité et la raison de notre apparition.
Outre la question du sens, le rapport aux autres et aux objets est également bouleversé.
- JFC: Je me suis aussi posé des questions sur la connexion. Je me suis senti connecté à mes collègues car nous dépendions des uns des autres, mais aussi à notre vaisseau. Au départ, il n’est qu’une machine qui nous expose au risque. Puis, nous apprenons à le connaître, à l’aimer et le ressentir comme une extension de nous-mêmes.
Vivre l’overvieweffect
- Pour évoquer l’overvieweffect, vous citez l’un des astronautes d’Apollo 8, Williams Anders qui en 1968 déclare : «nous avons fait tout ce trajet pour explorer la Lune, et la chose la plus importante est que nous avons découvert est la Terre». Qu’est-ce que l’overvieweffect?
- JFC: L’overvieweffect est l’expérience de voir la Terre depuis l’espace. C’est une expérience bouleversante au niveau sensoriel, émotionnel voire intellectuel et spirituel. Elle nous fait prendre conscience de la beauté de la Terre et vous questionne sur sa création. Qui ou quoi a créé une chose aussi belle.
La phrase de Williams Anders est probablement plus forte en termes de conséquences sociales que celles de Neil Armstrong (un petit pas pour l’homme, un bon de géant pour l’humanité). C’est à partir de cette mission et de cette phrase que sont nés tous les mouvements environnementalistes dans le monde entier. Elle a donné naissance à des associations, des fondations, des ONG et à une branche de l’ONU consacrée à protéger notre environnement.
- Quel est votre rapport avec les questions liées au sens de l’existence?
- JFC: Au niveau collectif, j’espère que l’existence de l’humanité ne consiste pas à exister et à disparaître. Si nous n’apprenons pas à vivre ailleurs, c’est ce qu’il se passera. A l’échelle individuelle, chacun doit trouver son sens propre. Il faut d’abord se poser la question et être capable de chercher des réponses auprès de la nature, des philosophes et au fond de ses tripes.
Comme l’a dit un jour le navigateur Christoph Colomb, on ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va.
Une phrase à méditer si on considère que l’exploration spatiale est une coûteuse chimère.
Une phrase à méditer si d’aventure nos peurs concurrencent nos rêves les plus ambitieux.
Propos de Jean-François Clervoy recueillis par Amal Dadolle