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Publié le 12/10/2022, mis à jour le 06/02/2024
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Alain Toledano : soigner grâce à la médecine intégrative
Pourquoi soigner est un art?
Comment définir la médecine et la guérison?
Face à la médecine intégrative, la grande force de la médecine moderne est sa performance technique.
Performance qui ne cesse de s’améliorer comme nous l’avions découvert à deux reprises auprès des chercheurs et médecins Jean-Marc Lemaître et Marc Levêque.
Le premier appréhende et traite la vieillesse comme une maladie . Le second substitue les médicaments par les techniques de neuromodulation pour soulager la douleur chronique.
En revanche, la faiblesse de la médecine moderne réside dans une approche thérapeutique déshumanisée et réductionniste. Elle traite les maladies en faisant fi de l’environnement qui les a vu naître et des ressentis du patient.
Le défi auquel est aujourd’hui confrontée la médecine est donc essentiellement humain.
Pour penser un tel défi, nous avons reçu Alain Toledano, directeur du centre de cancérologie Hartman, fondateur de l’Institut Rafaël et l’auteur de l’ouvrage «L’art de soigner» (HumenSciences).
- En quoi soigner est-il un art?
- AT: Selon Emmanuel Kant, la médecine est un art et non une science exacte et rationnelle. La médecine actuelle a été capturée par les sciences dures. Or, même si elle a besoin de la science, elle traite l’esprit autant que le corps. C’est en cela que la médecine est un art qui comprend:
- Les connaissances scientifiques.
- Les moyens pour prévenir, soulager et traiter les maladies. La parole en fait partie. On peut soigner ou tuer avec des mots.
- Comment définissez-vous la guérison?
- AT: Selon l’OMS, la guérison est un état de retour complet à un bien-être physique, mental et social. Or, cet état appartient au ressenti du patient. La question: «docteur, suis-je guéri?» est le signe que le patient se sent encore malade.
- La guérison est une question complexe, qui ne peut se penser de façon binaire «guéri/malade». Il y a une transition, un temps de guérison, qui permet de retrouver un état de bien-être complet.
Comment définir la maladie et la santé?
- Vous rappelez que «le système de santé accumule les mécontentements des usagers et des soignants depuis plusieurs années. Il peine à se reformer et engloutit les investissements qui s’élèvent à plus de 209 milliards d’euros, soit 11,3 % de la richesse nationale.» Selon vous, l’hôpital est le lieu idéal pour traiter de la maladie mais non pour guérir. Comment définissez-vous la santé ?
- AT: La santé n’est pas uniquement l’absence de la maladie ou le silence des organes. Elle regroupe plusieurs équilibres que sont les santés psychologique, émotionnelle, sexuelle, sociale et environnementale.
- Qu’est-ce que la maladie?
- AT: C’est un état altéré du fonctionnement de l’organisme. Le problème, aujourd’hui, est que la maladie est traitée sans que soient pris en compte l’environnement, les équilibres ou la composante préventive de la situation. Conséquence de quoi, le médecin ne soigne pas totalement et le système de santé dépense sans efficience.
- Vous estimez justement que les polémiques actuelles sur le nombre de lits passent à côté de l’essentiel.
- AT: Il y a eu ce qu’on appelle un virage ambulatoire. C’est-à-dire que le patient n’est plus hospitalisé pendant plusieurs jours mais seulement une journée. Une femme traitée pour un cancer du sein arrive le matin, se fait enlever la tumeur et sort le soir.
Quelles sont les limites de la médecine moderne?
Augmenter la quantité de vie en oubliant la qualité de vie
- Vous dénoncez les limites d’une médecine curative et prescriptive. Vous expliquez qu’elle a atteint un palier et qu’elle doit évoluer vers une médecine intégrative. En dehors de l’infrastructure des hôpitaux que nous venons d’évoquer, quelles sont les autres limites d’une médecine curative et prescriptive?
- AT: Nous avons augmenté l’espérance de vie (jusqu’à 80ans), mais pas l’espérance de vie en bonne santé (jusqu’à 60 ans). Autrement dit, nous créons de la quantité de vie sans forcément créer de la qualité de vie.
- Lors d’une consultation médicale, le médecin coupe la parole au patient au bout de 23s en moyenne.
- Plus de 90% des consultations se terminent par une prescription de médicament. Aux Pays-Bas, seules 40% des consultations aboutissent à une prescription, or les Néerlandais ne meurent pas plus tôt que nous
- Une boîte de médicament sur deux est jetée à la poubelle. Soit l’équivalent de 7 milliards d’euros par an
- AT: La moitié des 400 millions de consultations annuelles concernent le traitement des symptômes de maladies chroniques. Au regard des chiffres, on ne peut pas continuer à faire du tout prescriptif et du tout médicament même si on a besoin d’eux. L’idée est donc de passer d’une médecine prescriptive à une médecine intégrative. Son but étant d’intégrer d’autres dimensions de la santé des équilibres avec d’autres acteurs et interventions thérapeutiques non-médicamenteuses.
Soigner le corps en oubliant l’esprit
- Selon vous «Les diagnostics fabriquent de la peur. Or, la peur du risque supplante le risque réel et dénature ainsi l’identité et la personnalité du patient.» Comment mieux communiquer?
- AT: Nous devons traiter le risque et la perception du risque. Autrement dit, nous devons gérer l’incertitude et continuer à générer de l’espoir.
- Pendant la pandémie du covid, il y a eu les malades du covid et la société qui craignait le covid. Or, la peur du covid est aussi une maladie. Le mental et l’imaginaire construits autour d’une peur génèrent des évitements cognitifs et comportements. Cela peut aboutir à une dépression et une détresse insupportables.
- Comment expliquez-vous ce phénomène?
- AT: Nous ne sommes pas que des corps, mais aussi des esprits dans des corps.
Quels changement la médecine actuelle doit-elle opérer?
Changer sa posture de soignant
- Comment appréhender le patient malade dans l’annonce d’une maladie?
- AT: Il faut appréhender le patient différemment que comme un corps. Ce qui suppose qu’il est inutile de tomber dans le descriptif (votre tumeur se trouve à tel endroit) et que nous devons envisager l’expression émotionnelle comme un vrai sujet.
- AT: Il faut promouvoir une philosophe du «prendre soin», du care. Bien plus qu’une philosophie, c’est une nouvelle éthique de société basée sur la disponibilité affective, la responsabilité relationnelle et le soin émotionnel.
- Que doivent changer les médecins et les soignants dans leurs posture et pratique pour pouvoir créer cet état?
- AT: En changeant la mission qu’ils se sont fixés en intégrant la philosophie du care. Le patient attend beaucoup plus de son médecin ou soignant qu’un savoir scientifique. Le patient attend de de l’empathie et de l’engagement, même si chaque soignant a, fort heureusement, des mécanismes de défenses. Finalement, le patient attend d’être guidé considéré. Il veut eétablir une relation de confiance avec son soignant.
- AT: Les soignants doivent porter et assumer une éthique du care. Une formation est naturellement nécessaire pour arriver à transformer les postures et le système.
S’impliquer davantage dans la prévention
- Vous avez choisi de partager l’extrait de votre ouvrage suivant:
- Pourquoi ce choix?
- AT: Pour appuyer l’idée que la prévention est une question de morale et non un choix d’investissement. Aujourd’hui, 40% des cancers et 80% des maladies cardiovasculaires sont évitables. A condition de faire de la prévention sur les risques de l’alcool, du tabac, de la sédentarité etc. Or, moins de 3% des budgets sont alloués à la prévention.
- Il est pourtant reconnu que prévenir c’est guérir…
- AT: Bien sûr, encore faut-il prévoir des dispositifs pour prévenir. Créer de la vie crée de la valeur humaine et aide la société à mieux fonctionner. C’est une question politique:
- Dépenser 1€ en santé, c’est gagner 3 à 4€ dans 10ans
- Diminuer de 30% la mortalité prématurée des personnes de moins de 70ans, c’est gagner 10% de PIB dans 10ans.
Comment passer de la médecine prescriptive à la médecine intégrative?
changer de paradigmes
- Comment passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine centrée sur l’individu et son projet de vie?
- AT: C’est une question de transformation culturelle. Notre idée de la médecine de demain (https://www.bloomingyou.fr/a-quoi-ressemblera-la-medecine-de-demain/) est limitée aux
- Vous écrivez que «si la tendance dominante est de continuer à spécialiser les professionnels de santé, l’objectif de la médecine intégrative est de faire l’inverse: intégrer, connecter, dédifférencier. Car, c’est cette seule approche qui peut amener le patient à la pleine santé». Comment mettre en place un tel changement de paradigme?
- AT: Nous avons créé une chaire en santé intégrative au Conservatoire National des Arts et Métiers qui allie la santé globale au caractère intégratif. Sur le plan académique et professionnel, nous amenons les gens à soigner et étudier de façon décloisonnée.
- Vous appelez à la transformation de l’Assurance maladie en Assurance santé. Pourquoi cette mesure et ce changement de nom?
- AT: Promouvoir la santé c’est promouvoir des modes de vie. Il faut donc passer d’une régulation du coût des pratiques (ce que fait essentiellement l’Assurance Maladie) à une promotion des modes de vie. En rebaptisant l’Assurance Maladie en Assurance Santé, nous ferions plus de prévention et façonnerons un nouvel système de santé.
L’exemple de l’Institut Rafaël
- Vous êtes le fondateur de l’Institut Rafaël, le premier centre européen de médecine intégrative. Pourquoi avez-vous choisi ce nom?
- AT: Rafaël est l’ange de la guérison.
- AT: Notre but est de démontrer qu’on soigne mieux en s’occupant globalement de chaque patient que si on ne s’occupait que de la maladie.
- Vous avez ouvert l’établissement en 2018, combien de personnes ont-elles été accompagnées dans la guérison depuis?
- AT: En 3,5 ans, nous avons offert 50 000 soins à 3200 patients avec une diminution des dépression de plus de 60% sans recourir aux médicaments.
En conclusion…
La crise dans laquelle s’inscrivent l’hôpital et le système sanitaire fait écho à la crise de la société moderne. Une société en recherche de nouveaux modes de faire et d’être pour remettre l’humain et sa raison d’être au centre de l’échiquier. Le progrès technique et matériel de nos civilisations ne suffit pas (ou plus) au progrès du bien-être collectif. Au contraire, son usage nous enjoint à un autre progrès: celui de la communication humaines et sociale. En attendant, haut les cœurs!abonnez-vous gratuitement
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