Toutes les mères ne sont pas des “mamans”. Nous le savons à travers l’expérience qui peut être la nôtre ou celle de nos amis. Et si tel n’est pas le cas, nous le savons à travers la forte médiatisation de ces mères qui ont commis l’irréparable en violant ou tuant leurs enfants.
Et pourtant, notre société continue de véhiculer une image maternelle idéalisée. Héritage d’un passé, où seul le statut de mère accordait à la femme quelque valeur.
De cet héritage, nous disons volontiers que le lien entre une mère et son enfant est sacré, pur, indestructible parce que l’instinct maternel est inné.
Certes, il y a du vrai dans ses déclarations. Mais aussi du faux.
L’instinct maternel, par exemple, n’est pas quelque chose d’inné. Cet instinct n’apparaît que s’il est désiré et si l’on dispose des capacités psychiques à pouvoir le construire et l’entretenir. Or, toutes les mères ne répondent pas à ces critères.
Dans son dernier ouvrage « Quand la mère est absente » (Odile Jacob, 2021), Hélène Romano, psychologue clinicienne et psychothérapeute, avance qu’il est temps que notre société « grandisse » et accepte que la mère soit une figure paradoxale, lumineuse comme obscure.
Non seulement, cela réduirait la pression que beaucoup de femmes se mettent pour être de parfaites mamans. Mais surtout, notre système juridique protégerait mieux les enfants des mères inadaptées, maltraitantes et criminelles.
Hélène Romano lève également le voile sur de nombreuses questions qui nous intriguent tous : comment une maman aimante peut-elle déraper dans la maltraitance ? Et surtout, comment certaines mères arrivent jusqu’à commettre l’infanticide ?
Comment une mère peut-elle craquer ?
Fragments de vie
Sandra, une mère de famille de 30 ans perd son mari dans un accident de voiture. C’est le choc. A la perte de son amour s’ajoutent les difficultés financières. Sandra sombre dans la dépression et ne s’en relèvera qu’un an plus tard.
En attendant, ses deux enfants, des tout-petits de 6 mois et 2 ans, réclament une attention qu’elle n’est pas capable psychiquement de leur donner pendant cette période. Elle ne se pardonnera pas de s’être laissé absorbée par son chagrin et de ne pas avoir demandé de l’aide.
Une autre jeune mère de famille, Carole, craque. Comme beaucoup de cadres, sa charge de travail professionnel est conséquente. Côté vie privée, sa charge mentale n’est pas non plus en reste avec trois enfants de 2, 5 et 7 ans. Son mari, souvent absent la semaine pour déplacement professionnel, n’est pas d’une grande aide. Epuisé le week-end, il ne faut pas compter sur lui.
Un soir, ses enfants se battent et crient. La mère, épuisée, à bout de nerf, tente de les raisonner mais rien n’y fait. Le plus petit hurle de plus belle, l’aînée pousse un coup de colère. Alors Carole l’empoigne et la secoue si violemment que la tête de l’enfant se cogne contre un meuble. La petite s’en sort sans mal, mais Carole en concevra un si vif remord qu’elle tentera de se suicider.
Coupées de leurs ressources
Ce que l’on comprend de ces deux exemples est que la violence maternelle découle directement du contexte et non des personnes. Le drame pour l’une et un état d’épuisement extrême pour l’autre auront coupé ces deux femmes de leurs ressources psychiques, les rendant impuissantes.
C’est cette impuissance qui a rendu possibles la négligence et la violence physique.
Mais ces faits de maltraitance font-ils pour autant de Carole et Sandra des « mauvaises » mères ? Non. Et pour deux raisons.
Ces faits sont uniques, et ces mères ont douloureusement conscience de ne pas avoir été des mamans.
Or, du côté des mères réellement maltraitantes, non seulement les sévices sont quotidiens mais il n’y a ni culpabilité, ni souffrance. Il y a seulement une réelle intention de faire du mal à son enfant.
Comment devient-on une mère criminelle ?
La maltraitance revêt plusieurs visages :
Elle est psychologique (insultes, comportements agressifs, humiliants, manques de soin, indifférence totale etc.)
Elle est physique (gifles, tirage de cheveux, brûlure, coups de ceinture, bâton etc.).
Ou elle est criminelle (viol, prostitution et meurtre)
Que se passe-t-il dans l’esprit d’une mère pour basculer dans ces horreurs ?
Il se passe un écho. Ces femmes ont toutes été elles-mêmes maltraitées dans leur enfance. Elles en ont gardé une haine de soi, une haine envers leur enfant intérieur qui leur retourne leur haine. Et leur enfant fait écho à cet enfant intérieur.
Elles sont alors incapables de se penser mère et de penser que leur enfant est un autre qu’elle-même. Cette confusion les submerge, bouleverse leur fragile équilibre psychique et déclenche les violences.
Ainsi, ces mères sont persuadées que leur bébé ou leur enfant les haïssent, qu’il est un danger, un persécuteur et on se retrouve dans une logique de survie : c’est lui/elle ou c’est moi. Et c’est ainsi qu’une femme en vient à tuer son bébé ou son enfant.
C’est la même logique quand la mère viole son enfant. L’enfant n’est pas vu comme un objet sexuel mais une sorte de relai. Ayant elle-même était violée enfant, la mère en souffre encore et est convaincue qu’en violant son enfant, elle se débarrassera de sa souffrance en la lui transmettant.
En résumé, qu’il soit négligé, battu ou violé, l’enfant n’est pas un sujet, mais un objet d’expiation de la souffrance. Et s’il en sort vivant, il n’en sort évidemment pas indemne.
De sérieux troubles psychologiques le poursuivent : troubles du sommeil, fatigue et dépression chronique, conduite suicidaire, difficultés relationnelles, hypervigilance, honte, confiance en soi détruite, peur bleue de l’abandon etc.
Pourquoi faut-il désacraliser la mère ?
Aucun lien n’est sacré
Rassurons-nous d’emblée, nombreuses sont les mères qui ont été violées à n’avoir jamais reproduit cet acte sur leurs enfants. Et nombreux sont les enfants maltraités qui sont devenus des parents aimants et protecteurs.
Ils ont pu se (re)construire en s’appuyant grâce à une aide professionnelle et un travail sur soi pour guérir de leurs traumatismes, de leurs blessures d’enfance, gagner en résilience et nourrir une volonté de vivre heureux et libéré d’un passé effroyable.
Dans ce processus de reconstruction, il est une chose que la société peut faire pour aider les enfants : désacraliser la mère.
Les mères maltraitantes sont incapables de remords et de demander pardon. Il n’y a aucun intérêt pour l’enfant à entretenir ce lien avec une mère qui n’en est pas une et qui n’en sera jamais une. Leur « logiciel cérébral » les en rend incapables.
Or, nombreux sont les juges pour enfant à penser l’inverse, à croire que ce lien mère-enfant est primordial pour le bien-être de ce dernier.
L’amour seul fait la mère
C’est faux. L’enfant a besoin d’une figure d’attachement qui l’aime et le respecte pour lui permettre de se construire sur des relations saines et non pas déstructurantes, qui gâcheront sa vie d’adulte.
Peu importe qui incarne cette figure d’attachement (le père, la grand-mère, l’éducatrice, l’instituteur etc.).
Ce n’est pas le portrait de sa mère (froide et distante) que Churchill accrochait au-dessus de son bureau, mais celui de sa nourrice. C’est elle sa véritable figure maternelle.
Pour tous les enfants qui n’ont pas eu de maman, et pour toutes les mamans qui font comme elles peuvent dans une société exigeante et harassante, il est temps de reconnaître que la mère n’est pas une institution sacrée, mais un être-humain. Capable du meilleur comme du pire. Capable d’être forte et douce comme fragile et faillible.
Source : Hélène Romano, Quand la mère est absente, éditions Odile Jacob, 2021
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