Que se cache-t-il au cœur d’une crise de panique ?
Avez-vous déjà succombé à une crise de panique ou ce que l’on peut encore appeler “détresse psychique” ?
La sensation est horrible, et unique à chacun. Pour certains, cela ressemble à un infarctus. Pour d’autres, c’est l’impression que leur tête va exploser ou qu’ils vont manquer d’air et mourir.
Le corps est ainsi violemment désarçonné, et le psychisme en est totalement désorganisé ou figé. Pendant ces secondes de panique, nous sentons l’odeur de la folie ou de la mort. Et c’est terrible.
Curieusement, ces attaques de panique ne sont pas un attribut exclusif des déprimés, anxieux, phobiques ou névrotiques, elles touchent aussi des individus ne souffrant, en apparence, d’aucun trouble mental répertorié dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).
Confronté à ces patients « hors catégorie », le Dr Antoine Lesur, médecin psychiatre spécialiste des troubles anxieux et de la dépression, ancien chef clinique et attaché de l’APHP, et actuel membre de l’ODP-CNQSP (Organisme de développement professionnel continu – Collège nationale de la qualité des soins en psychiatrie), a constaté qu’en dépit de leur vécu singulier, tous sont entravés dans leur désir conscient de mener une vie heureuse et épanouie.
Au moment où ces patients touchent du doigt un rêve, la panique les saisit et leur font choisir un autre chemin.
Selon le Dr Lesur, cet auto-sabotage continu, ponctué par la panique, n’est pas la conséquence d’une peur ou d’une angoisse à déterrer, mais d’une détresse psychique.
En s’appuyant sur les travaux de Donald Klein, psychiatre américain connu pour ses études sur les troubles anxieux, et de John Bowbly, pédiatre et psychanalyste anglais, Antoine Lesur décrypte dans son ouvrage « La détresse psychique » (Odile Jacob, 2022), cette émotion singulière, ainsi que son rôle central dans les crises de panique, les troubles anxieux (type borderline), et, plus surprenant, dans notre construction cognitive, affective et sociale.
Qu’est-ce que la détresse psychique ?
Pourquoi la détresse, et non l’angoisse ou la peur, est au cœur des crises de panique ?
Pour le comprendre, revenons à la définition de chacun des termes :
La peur est l’émotion qui suit la prise de conscience d’un danger ou d’une douleur à venir. La menace est claire et concrète.
L’angoisse est une peur sans objet, une sensation de danger imminent. La menace est floue et abstraite.
La détresse, selon la définition empruntée à John Bowbly ne se réduit pas à une condition sociale de précarité ou de nécessité, elle est une émotion à part entière appelée « détresse psychique ».
La détresse psychique est une émotion complexe et intense, où se mélangent colère, peur, désir et souffrance.
Contrairement à la peur, elle n’est pas le résultat d’une prise de conscience d’un danger extérieur, mais d’un puissant ressenti intérieur de perte de contrôle. Or, c’est exactement cette émotion qui est au cœur des crises de panique.
A partir de cette définition de la détresse, Antoine Lesur propose une nouvelle définition de l’angoisse, en tant qu’état émotionnel où la peur et la détresse se mélangent et se répondent. Ce qui expliquerait l’état de confusion propre à l’angoisse.
Pour revenir à la détresse, toute la question est de savoir comment s’implante en soi un tel sentiment de perte de contrôle ? Autrement dit, comment la détresse psychique s’installe ?
Pour le comprendre, il faut remonter à la petite enfance.
Comment apparait la détresse psychique ?
Dans les années 1970, John Bowlby observe le comportement de nourrissons séparés de leur mère pendant plusieurs semaines.
Il constate trois phases :
1. La phase de protestation où l’enfant fait connaître sa détresse. Il hurle, se tourne et se retourne pour chercher sa mère, secoue son berceau, jette ses doudous et sa nourriture. En clair l’enfant est en révolte, il veut sa mère et personne d’autre.
2. La phase de prostration, qui est celle de la détresse sourde. Le tout-petit, qui a dépensé toute son énergie dans la première phase, se retrouve épuisé. Il continue de pleurer mais sans hurler. Enfin, il ne rejette plus les adultes autour de lui, mais ne recherche pas à interagir avec eux non plus. Il est replié sur lui-même et sa douleur.
3. La phase de détachement. C’est la phase de basculement où le tout-petit se détache psychiquement de sa mère. Il ne rejette plus les autres adultes autour de lui. Il accepte leurs soins et cherche même leur contact. Le petit s’est choisi d’autres figures d’attachement. A tel point que lorsque la mère réapparait, l’enfant peine à la reconnaître ou a perdu tout intérêt pour elle.
A partir de cette expérience, nous comprenons que la détresse psychique apparaît très tôt dans nos vies, dès lors que notre première figure d’attachement (en général la mère) s’absente, et que nous éprouvons dans nos chairs notre impuissance et vulnérabilité.
Comment perdure ou s’éteint la détresse psychique ?
Cette violence émotionnelle éprouvée par l’enfant est toutefois largement compensée par le retour de la mère au bout de quelques secondes, minutes ou heures.
Le petit expérimente alors une panoplie d’émotions aussi puissantes que la détresse : la joie, l’amour, le réconfort et la consolation.
Une bonne santé psychique à l’âge adulte est le résultat de ce subtil équilibre entre la détresse et consolation joyeuse vécu durant l’enfance.
Quand cet équilibre a fait défaut, et que la personne n’a pas su développer des capacités de résilience et de discernement, elle garde alors inconsciemment ce sentiment d’impuissance et de vulnérabilité.
La détresse psychologique : un moyen de signalisation
Dès lors, dès qu’elle va sortir de sa zone de confort, d’un quotidien sécurisant, elle va être sujette à la détresse psychique, et connaître des crises de panique.
Au-delà de la panique, le Dr Lesur considère la détresse psychique comme le terreau où poussent tous les types de troubles anxieux connus comme les troubles borderlines ou de comportements alimentaires.
La reconnaissance de ce terreau donnerait lieu à des soins moins génériques et plus adaptés à la singularité du vécu de chaque patient.
En attendant cette évolution bienvenue, le Dr Lesur appelle à ne pas considérer la détresse psychique comme un fardeau.
D’une part, elle nous rappelle à notre humanité, en surlignant notre besoin primaire de liens affectueux et sociaux.
D’autre part, à l’instar du Dr Becchio qui considère toutes les émotions comme positives, le Dr Lesur assure que la crise de panique et la détresse psychique ont une raison positive d’être.
Elles sont un appel de notre corps, un avertissement pour nous motiver à nous sortir de la situation qui a créé la crise de panique.
Un énième témoignage reconnaissant le corps comme un ami et une boussole sûre vers un mieux-être.
Source : Dr Antoine Lesur, La détresse psychique, une nouvelle approche du soin, Odile Jacob, 2022
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