Comment le microbiote révolutionne la psychiatrie ?
Rencontre avec le Dr Guillaume Fond, l’auteur de « Bien manger pour ne pas déprimer »
Comme nous l’avions appris aux côtés de Geneviève Héry-Arnaud, professeur de bactériologie, le microbiote est sans conteste à l’origine d’une révolution sanitaire.
Une révolution qui ne se limite pas à la santé physique, mais touche aussi la psychiatrie et la santé mentale puisqu’il apparait que le microbiote influence le fonctionnement de notre cerveau.
Soignerons-nous donc demain notre état mental en changeant nos menus plutôt qu’en prenant des antidépresseurs ?
Pour mieux comprendre l’état des recherches sur le microbiote et son lien avec le cerveau, nous avons reçu l’auteur de l’ouvrage « Bien manger pour ne pas déprimer » (Odile Jacob), le Dr Guillaume Fond, médecin psychiatre et chercheur aux hôpitaux universitaires de Marseille, et dont les travaux ont été récompensés à la fois par le prestigieux Congrès européen de neuropsychopharmacologie et le Congrès français de psychiatrie.
A l’ouverture de votre livre, vous nous apprenez que les premières découvertes sur le microbiote ont emballé le grand public, et laissé très dubitatifs, voire moqueurs, vos confrères. Pourquoi avez-vous décidé de partager ces coulisses ?
GF : Je pense que c’était important parce qu’il y a beaucoup de jeunes confrères et consœurs qui peuvent être exposés à ce genre de réaction de la part d’autres psychiatres et médecins.
La formation médicale continue est un sujet très compliqué. Les études de médecine étant déjà très longues, beaucoup de médecins s’appuient sur leurs connaissances et ne les réactualisent pas, ou pas de façon suffisamment fréquente. Il faut également savoir qu’entre la découverte d’une connaissance scientifique et sa mise en pratique clinique, il se passe environ 15 ans, ce qui est vraiment très long.
Le microbiote ce n’est pas de la science-fiction
Extrait « Bien manger pour ne pas déprimer » (Odile Jacob)
« Le microbiote, ce n’est pas de la science-fiction.
C’est en 2013 que j’ai commencé à travailler sur le microbiote intestinal, à la suite de mes travaux qui portaient sur le jeûne thérapeutique et sur la toxoplasmose.
À l’époque, les découvertes de la métagénomique, une nouvelle technique d’analyse du microbiote, commençaient à se multiplier, se limitant toutefois à des modèles animaux.
Lorsque j’en parlais à mes collègues, l’un d’entre eux s’exclama, incrédule : « C’est de la science-fiction ! » Des confrères malveillants se moquaient en coulisse : « Guillaume Fond veut traiter la schizophrénie avec de l’aspirine, des yaourts et des asperges.
Il est vrai que, durant mes études de médecine – entre 2000 et 2006 –, l’enseignement du métabolisme du microbiote intestinal et de celui du cerveau étaient inexistants. Les effets des oméga-3 et des anti-oxydants étaient très peu enseignés, et les probiotiques, considérés par la plupart des médecins que je rencontrais alors comme des placebos.
Je n’ai entendu parler de la vitamine D qu’en rhumatologie, à l’occasion du traitement de l’ostéoporose. Et ce n’est qu’en 2012, alors que j’étais jeune chef de clinique titulaire d’une thèse depuis deux ans, qu’on commença à s’intéresser à ce domaine méconnu. Aujourd’hui, nous le savons, le microbiote, ce n’est pas de la science-fiction. »
Pourquoi avez-vous choisi de partager cet extrait ?
Guillaume Fond : Je pense qu’il est important pour un médecin d’expliquer sa propre expérience. Cet extrait dévoile également que les connaissances évoluent en permanence et sont souvent mal perçues car porteuses d’incertitudes. Il faut pourtant apprendre à s’en accommoder car les certitudes figées dans le temps ne sont ni de la science ni de la médecine.
Comment le cerveau et le microbiote communiquent-ils ?
Vous écrivez qu’il « existe une interaction bilatérale entre l’intestin et le cerveau par l’axe du stress. » ? Qu’appelez-vous l’axe du stress et comment assure-t-il la communication entre le cerveau et le microbiote ?
Guillaume Fond : L’axe du stress est l’influence du cerveau sur l’ensemble de l’organisme, et en particulier sur l’intestin. En état de stress, le corps sécrète du cortisol (hormone de stress) au niveau des glandes du cerveau. Cette hormone touche l’ensemble de l’organisme, notamment l’intestin qui va devenir plus perméable et remplira moins bien son rôle en laissant passer dans le sang des éléments responsables de l’inflammation, de réactions immunitaires et des troubles de la santé mentale.
Quand on évoque les troubles mentaux, le spectre est assez large, quels sont les troubles mentaux dont l’origine provient des troubles de l’intestin ?
Guillaume Fond : Tous les troubles mentaux peuvent être associés à des troubles de l’intestin. Les plus étudiés étant l’anxiété et la dépression.
Le TSA (trouble du spectre de l’autisme) a également fait l’objet de nombre d’études, où il a été démontré que les enfants autistes présentaient des microbiotes différents des autres enfants.
Mais attention, cela ne veut pas dire que tous les troubles mentaux trouvent leur origine dans l’alimentation. Ils peuvent provenir également des traumatismes d’enfance ou d’un facteur génétique.
Pour rappel, selon l’OMS, la dépression toucherait aujourd’hui 350 millions de personnes, et serait responsable de 48,7 % des années de vie en bonne santé perdues dans le monde.
Les antidépresseurs, qui ont pour but d’augmenter la sérotonine (l’hormone du bien-être) dans le cerveau, sont actuellement le seul remède pour soigner la dépression. Ce qui est peu satisfaisant car pour un tiers des patients les antidépresseurs sont inopérants. La raison de cette inefficacité se trouverait directement liée à des troubles du microbiote.
Quel mode alimentaire perturbe la santé mentale ?
Du gras et du sucre
Vous écrivez que « de nombreux éléments indiquent aujourd’hui que les personnes atteintes de troubles mentaux ont généralement une consommation excessive de matières grasses et d’aliments à forte teneur en sucre, ainsi que des apports nutritifs insuffisants par rapport à la population générale. » Quels sont les mécanismes à l’œuvre, et est-ce que cela concerne tous les différents troubles mentaux ?
GF : Des variations d’une maladie mentale à l’autre sont observées, la dépression étant la plus associée à ces perturbations métaboliques. Les personnes dépressives, souvent des femmes, expérimentent souvent une envie de sucre plus forte, notamment le soir. L’appétence pour le sucre est un mécanisme très biologique, car il agit comme un stimulant. Des études ont démontré que les souris le préfèrent même à la cocaïne.
La communauté scientifique s’interroge aujourd’hui pour savoir si l’addiction au sucre est réelle ou non. Ce qui renvoie à la problématique des produits ultra transformés qui contiennent beaucoup de sucre caché.
Par exemple, sur un paquet de gâteaux présenté comme étant bon pour la santé et la ligne, on compte pourtant 20g de sucre pour 100g d’aliment. Autrement dit, 1/5e des calories sont des sucres rapides.
Le sucre est donc mauvais pour tout le monde… Sauf si on fait du sport ?
GF : Effectivement, un des bons arguments pour faire du sport est de pouvoir manger plus de sucre. De préférence des sucres lents pour éviter tout ce qui est index glycémique bas, puisque c’est le pic glycémique qui va déréguler notre pancréas et le circuit du diabète.
La question du gluten
Vous rapportez que « la consommation de gluten induit des symptômes dépressifs chez les individus présentant une maladie cœliaque. » Qu’en est-il des personnes sensibles au gluten ?
GF : C’est un énorme débat. Les personnes qui commencent un régime sans gluten rapportent avoir beaucoup plus d’énergie. Cela peut venir du gluten même, comme de l’arrêt de produits alimentaires ultra-transformés et caloriques qui contiennent, pour une grande partie, du gluten.
Si la maladie cœliaque ne fait l’objet d’aucun débat, il en est tout autrement pour l’intolérance au gluten, où de nombreuses interrogations subsistent :
Quels sont les marqueurs de l’intolérance au gluten ?
A partir de quel niveau de consommation est-on intolérant ?
En quoi le gluten est-il le responsable des symptômes ?
Actuellement, le seul test valable pour mesurer son intolérance au gluten est tout simplement d’arrêter sa consommation pendant un mois pour regarder l’effet produit sur son organisme.
GF : Au niveau de la santé mentale, notamment pour ce qui concerne la schizophrénie, des études montrent que le fait d’arrêter le gluten améliore les symptômes d’une bonne partie des patients.
Quant au lien unissant la consommation du gluten à l’autisme, des études intéressantes ont été publiées. Néanmoins, il est important de rester prudent. Ces recherches doivent être encadrées et évaluées sur le plan médical pour éviter le biais de confirmation, qui pourrait nous conduire à chercher et trouver une cause à effets là où il n’y a rien.
Quelles pratiques alimentaires permettent de prendre soin de sa santé mentale ?
Les régimes anti-inflammatoires
Vous rapportez qu’« une méta-analyse française publiée dans la prestigieuse revue Molecular Psychiatry, incluant plus de 50 études, a montré que deux types de régimes avaient prouvé leur efficacité dans la prévention et le traitement des symptômes anxiodépressifs : l’alimentation méditerranéenne et le régime anti-inflammatoire. » Qu’est-ce qu’un régime anti-inflammatoire ? Quelle est sa différence avec le régime méditerranéen ?
GF : Le régime flexitarien et méditerranéen sont en fait des régimes anti-inflammatoires puisqu’ils sont riches en aliments anti-inflammatoires (épices, herbes et légumineuses).
Un régime anti-inflammatoire présente deux autres bénéfices :
Il apporte beaucoup d’énergie via les sucres lents apportés par les légumineuses. Très souvent, on confond calorie et énergie, or les aliments très caloriques sont en fait inflammatoires, lourds à digérer et diminuent de fait l’énergie.
Ils sont respectueux de l’environnement, et de ce que le Dr Fond appelle la « santé environnementale »
Vous évoquez aussi l’alimentation cétogène. Ce régime alimentaire est-il aussi pertinent pour préserver son cerveau ?
GF : A l’origine, l’alimentation cétogène (qui consiste à diminuer, voire à supprimer les sucres) a été développée il y a plus d’un siècle pour les enfants atteints d’épilepsie. Le fait de diminuer le sucre diminue l’afflux du sang dans le cerveau, ce qui permet au cerveau de s’apaiser et expliquerait pourquoi il agit sur l’épilepsie.
Ce qui explique actuellement la popularité de l’alimentation cétogène est sa capacité à faire perdre du poids rapidement. On ne consomme plus que de la viande, du poisson, des œufs, des noix et des légumes verts.
Le problème de cette alimentation est toutefois double : les effets à long terme sont inconnus et elle n’est pas soutenable d’un point de vue environnemental.
En complément du régime anti-inflammatoire
Quid du jeûne ?
GF : Aucun antidépresseur n’agit aussi vite que le jeûne . En m’associant avec des collègues Allemands qui travaillaient sur la polyarthrite, j’ai pu voir que le fait de jeûner améliore l’anxiété et la dépression des personnes qui ont des maladies chroniques et inflammatoires, et ce, en moins de 48h. Tout l’enjeu serait aujourd’hui de l’appliquer en santé mentale, mais il y a énormément de réticence notamment pour les risques de tomber dans l’anorexie et la boulimie.
Il existe plusieurs jeûnes , le plus toléré étant le jeûne intermittent, où il s’agit de jeûner entre 12h et 16h par jour.
Vous évoquez longuement les compléments alimentaires, lesquels sont essentiels pour se préserver de la dépression et des différents troubles mentaux ?
GF : Dans notre alimentation actuelle, c’est très compliqué d’avoir tous les compléments et acides gras essentiels. Donc je recommande de se supplanter en oméga-3 (pratiquement tous les Français sont carencés), vitamine D en hiver (où 82 % des Français sont carencés), zinc et magnésium (dont il faut veiller à ne pas surdoser), et le folate (vitamine B9), efficace pour lutter contre la dépression car il augmente le taux de sérotonine (hormone du bien-être) dans le cerveau.
Vous accordez un paragraphe sur un nutriment « dont on parle trop peu », la choline, quel est son intérêt ?
GF : La choline, que l’on trouve dans le jaune d’œuf, est un constituant très important pour la communication entre les neurones.
Conclusion ? Même s’il reste beaucoup à apprendre, la médecine moderne chemine vers un changement majeur pour devenir une médecine holistique.
Si Hippocrate avait professé en son temps « que l’alimentation soit ton remède », nous pouvons rajouter aujourd’hui : « qu’elle soit aussi ta joie de vivre ! ».
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