La réponse vous semble évidente? Pourtant, il y a comme un paradoxe avec cet adjectif. Quand on dit d’une personne qu’elle est gentille, cela n’est pas toujours valorisant, car cela laisse aussi entendre que ce n’est qu’une bonne poire. La gentillesse est rapprochée de la naïveté, de la bêtise ou du besoin compulsif de recevoir des compliments.
À l’opposé de la personne aimable et altruiste, on trouve le méchant et l’égoïste à qui on reconnaît des qualités, qui forcent un certain respect. La ruse, la roublardise et un certain sens des réalités qui incitent à être souvent des profiteurs, car nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours.
Avoir un faible pour la méchanceté gratuite, marcher sur autrui ou se faire marcher dessus telle est l’état d’esprit cynique (et dépressif) actuel. Un état d’esprit qui découle de la compétitivité et de l’individualisme occidental.
La gentillesse en histoire et en philosophie
Ce qui est plutôt ironique, comme nous l’apprend le philosophe Emmanuel Jaffelin dans son «Éloge de la gentillesse», celle-ci était initialement une force.
Une force bienveillante mais surtout virile et guerrière née avec les chevaliers de la Table Ronde et Merlin l’enchanteur.
Que s’est-il donc passé pour que cette force soit devenue faiblesse?
Comment la gentillesse est-elle devenue faiblesse?
La noblesse de caractère
La gentillesse en tant que comportement est née avec les légendes arthuriennes de la Table Ronde. Les douze chevaliers avaient pour mission de punir les païens et surtout de courir après le Graal.
Pour que Dieu veuille bien faire preuve de bienveillance envers les chevaliers ils devaient respecter un code conduit. Celui d’incarner les valeurs christiques de l’amour, de la charité, de l’empathie et de l’aide à la veuve et à l’orphelin.
Leur honneur et statut de «noble chevalier» tenaient donc à ses conditions. Faire actes de bonté envers tout le monde, et être très serviable envers les plus fragiles. En clair, leur mission de vie était de faire du monde un environnement bienveillant pour ses habitants.
Aujourd’hui la noblesse désigne tout autant un rang social qu’une qualité qui désigne une âme élevée. Or, c’est par la gentillesse que cette qualité se révélait, ce qui explique qu’un noble était aussi appelé un «gentilhomme».
Ce qui reste une légende de Chrétien de Troyes reflète toutefois les principes de la chevalerie du XIIème siècle. Pendant ce siècle, l’honnêteté, l’amabilité et la compassion étaient des valeurs louées et chantées à la cour.
Mais avec le temps, les nobles ont oublié leurs valeurs, leur sourire et leur gentillesse. Et comme le résume Emmanuel Jaffelin: «Entre Louis IX et Louis XIV, les nobles ont abandonné l’honneur pour courir après les honneurs.»
Une seule règle allait désormais s’imposer, celle du «chacun pour soi et Dieu pour tous.»
Chacun pour soi et Dieu pour tous
Les généreux chevaliers au service du peuple ont laissé place aux courtisans égoïstes et carriéristes. Bien mal leur en a pris, les nobles ont connu la guillotine pendant la violente Révolution Française et un long déclin partout ailleurs en Europe.
Les bourgeois ont pris la main et ce qui fait désormais la valeur d’un homme ou d’une femme, ce n’est plus son cœur, mais son cerveau. Cogito ergo sum comme dirait Descartes.
Mais l’avènement de la raison et de la science verra aussi naître le règne de la débrouille individuelle et des désirs égoïstes.
Être quelqu’un de gentil était devenu ringard. Naturellement, on pouvait être affable et chaleureux pour plaire à ses créanciers ou à ceux qui peuvent travailler à nos intérêts. Néanmoins, quand elle n’a besoin de personne, l’élite se limite à une froide politesse. Car, une idée s’est glissée sous ce nouveau régime: la vraie gentillesse est devenue douteuse.
Pardonner ou s’excuser, être bienveillant et rendre service plus considéré comme un acte noble et fort, mais comme un témoignage de faiblesse. Voire une manœuvre d’escroc.
Voilà grosso modo les origines et la chute de la gentillesse. Mais si chute il y a eu, la gentillesse n’en est pas morte pour autant, car ses forces restent actives.
Quelles sont les forces de la gentillesse?
La stature et la grâce
Parce qu’elle nous incite à faire bien, elle forge notre sociabilité et nous rend meilleur, la gentillesse est incontestablement une force. En acceptant de rendre service à l’autre pour un temps donné, on se détache de notre petite personne. Et comme le disait Eilleen Caddy, on gagne en stature et en grâce.
De plus nous avions vu que cesser d’écouter son ego nous permettait d’être heureux plus longtemps. C’est pour ces raisons qu’Emmanuel Jaffelin qualifie la gentillesse de vertu chaude et caressante. Elle fait du bien à celui à qui nous rendons service, mais elle nous fait du bien également.
Faire preuve de gentillesse nous fait du bien. On le constate quand on aide une personne âgée à traverser la rue, un touriste perdu, un ami en manque de confiance de soi.
C’est plus qu’un simple ressenti. De nombreuses études scientifiques ont pu certifier que les actes de gentillesse libéraient de l’ocytocine et de la sérotonine, deux hormones de bien-être.
Le pouvoir sans le fardeau
Cette force chaude et caressante est également légère par la liberté qu’elle nous accorde. On ne peut pas être tout le temps gentil et de bonne humeur car on ne peut pas être toujours au top.
Il est normal d’oser dire non aux sollicitations, être à l’écoute de ses propres besoins. Ce n’est pas faire preuve d’égoïsme mais de bon sens. C’est d’ailleurs pour cela qu’Emmanuel Jaffelin précise que «la gentillesse n’est pas un devoir moral, mais un pouvoir moral.»
Je rends service parce que je le veux, pas parce que je le dois. Je n’ai pas peur de décevoir qui que ce soit, il n’y a aucune gêne ou culpabilité. C’est cela la grande différence entre la gentillesse naturelle et sa jumelle excessive qui nous fait dire oui à tout.
Le devoir gêne car c’est une forme de pression où l’on s’interdit de décevoir ou d’échouer. Or mon pouvoir de gentillesse je l’utilise si j’ai l’impression qu’il va être effectif et à mon bon plaisir.
Un pouvoir aussi séduisant ne pouvait pas mourir. Emmanuel Jaffelin voit d’ailleurs dans notre actualité et nos besoins collectifs des preuves que la gentillesse et la douceur sont des valeurs d’avenir.
En quoi l’avenir appartient aux gentils?
L’agressivité ne paie plus
Pour notre docteur en philosophie, nous vivons à la charnière de deux époques dans beaucoup de domaine, dont la santé, les énergies et les relations internationales. Chacun de ses domaines repose sur une force brute et efficace, qui a vu apparaitre à terme une force douce.
La médecine conventionnelle a vu naitre les médecines douces. Les énergies douces (éoliennes et solaires) entendent succéder à long terme aux énergies dures à long terme (fossile, charbon, pétrole).
Enfin, le softpower s’avère plus efficace que le hardpower. Dans un monde multilatéral, influencer les autres pays par votre mode de vie attirant est beaucoup plus efficace que sortir votre arsenal nucléaire.
Conclusion: oser la douceur d’être
Par ces quelques exemples, nous voyons que douceur et délicatesse ne sont pas faiblesses, et l’avenir semble pencher en sa faveur. Espérons-le du moins.
À titre individuel, inspirons-nous de cette «morale-papillon qui aspire à refonder l’humanisme par la caresse et l’impression plutôt que par le stress et l’oppression.»
Source : Emmanuel Jaffelin, « Petit éloge de la gentillesse », Editions François Bourin, Paris, 2015
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