Pourquoi la médecine française est en crise et comment la...
Publié le 20/06/2024, mis à jour le 05/11/2024
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Pourquoi la médecine française est en crise et comment la sauver ?
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Le Pr André Grimaldi et le Dr François Bourdillon, auteurs de « Notre santé, 7 questions, 7 réponses. Le débat confisqué » (Éditions Odile Jacob), dissèquent les causes de cette crise. Ils mettent en lumière la transition mal gérée vers les maladies chroniques et les défis de la santé publique.
Qui sont André Grimaldi et François Bourdillon ?
André Grimaldi
André Grimaldi est un professeur de médecine et diabétologue renommé en France. Il a passé une grande partie de sa carrière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, où il a dirigé le service de diabétologie. André Grimaldi est connu pour ses prises de position franches sur la politique de santé et pour son engagement en faveur d’un système de santé équitable et accessible à tous. Il est également un auteur prolifique, ayant écrit plusieurs livres et articles sur la médecine et la santé publique, souvent avec une perspective critique sur les réformes du système de santé français.
François Bourdillon
François Bourdillon est un médecin spécialiste en santé publique, épidémiologie et prévention. Il a occupé des postes de responsabilité dans diverses institutions de santé publique en France, dont l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et Santé publique France, où il a été directeur général. François Bourdillon est reconnu pour son expertise dans la gestion des crises sanitaires, son travail sur les politiques de prévention et son engagement dans la promotion de la santé publique.
Ensemble, André Grimaldi et François Bourdillon ont coécrit « Notre santé, 7 questions, 7 réponses. Le débat confisqué » (Éditions Odile Jacob), un livre dans lequel ils analysent les défis et proposent des solutions pour réformer le système de santé français. Leur travail combine une expertise clinique et une perspective de santé publique, offrant ainsi une analyse approfondie des problématiques et des solutions possibles pour le système de santé en France.
Les causes de la crise du système de santé en France
Le système de santé français, autrefois considéré comme l'un des meilleurs au monde, est entré en crise car il a été construit autour des maladies aiguës alors qu'il y a eu une transition vers les maladies chroniques et les enjeux de santé publique qu'il n'a pas su gérer. La pénurie de médecins généralistes est également liée à une décision de 1971 de limiter leur formation pour des raisons économiques à court terme.
Amal Dadolle : La médecine française, autrefois parmi les meilleures au monde, traverse une crise. Pourquoi ? André Grimaldi : Principalement parce que notre système de santé s'est focalisé sur les maladies aiguës. En médecine de ville, il s'agissait de maladies bénignes comme la gastroentérite et la grippe. À l'hôpital, l'accent était mis sur les maladies aiguës graves et les gestes techniques complexes. Cependant, nous avons assisté à une transition avec la montée des maladies chroniques. Ces maladies, telles que le sida, le diabète, l'insuffisance cardiaque, rénale et respiratoire, ne peuvent pas être guéries mais peuvent être soignées de mieux en mieux. Aujourd'hui, 24 millions de personnes en France sont concernées par ces maladies chroniques.
Amal Dadolle : Quels sont les principaux facteurs qui ont conduit à la pénurie actuelle de médecins généralistes en France ? François Bourdillon : La pénurie de médecins généralistes en France est due à plusieurs décisions prises dans le passé. En 1971, on a décidé de limiter la formation des médecins généralistes. À l'époque, on s'inquiétait des dérives financières du système de santé. Les responsables sanitaires pensaient que moins il y aurait de médecins, moins il y aurait de prescriptions, et donc, les coûts seraient réduits.
Conséquences des pénuries médicales
Cette pénurie entraîne l'apparition de déserts médicaux, surtout dans les zones rurales et les quartiers populaires. Résultat : obtenir un rendez-vous ou avoir un médecin traitant devient un parcours du combattant, surtout pour les malades chroniques. Les inégalités d'accès aux soins se creusent.
Amal Dadolle : Quelles sont les conséquences de cette pénurie, en particulier dans les zones rurales et les quartiers populaires ? François Bourdillonet André Grimaldi : La pénurie de médecins généralistes crée des déserts médicaux, surtout en périphérie des villes et en milieu rural. Obtenir un rendez-vous en médecine générale est devenu très difficile dans certaines régions. De nombreuses personnes n'ont pas de médecin traitant. Cela touche particulièrement les malades chroniques qui peinent à trouver un suivi médical régulier.
Rôle de l'aide médicale d'état (AME)
Le débat autour de l'AME est abordé. Contrairement aux idées reçues, le coût de l'AME par bénéficiaire est inférieur à la moyenne française et n'est pas responsable du déficit de la Sécu. Pour les experts, ce débat occulte les vraies questions de financement du système de santé.
Amal Dadolle : Quelle est votre analyse sur la question de l'AME, souvent mise en cause dans le déficit de la sécurité sociale ? François Bourdillon : Les coûts de l'AME par personne sont inférieurs à ceux du remboursement moyen des Français. Les bénéficiaires de l'AME sont souvent jeunes et consultent peu. Le débat sur l'AME est surtout politique, détournant l'attention des véritables causes du déficit de la sécurité sociale. Même des rapports stricts, souvent de droite, montrent que l'AME ne crée pas d'appel d'air et n'attire pas les migrants en France.
Prévention entravée par les lobbies
Grimaldi et Bourdillon dénoncent l'influence des lobbies agroalimentaires, alcooliers et tabagiers sur les politiques de santé publique. Ces lobbies empêchent la mise en place de mesures de prévention efficaces, comme le Nutri-Score, privilégiant leurs intérêts commerciaux au détriment de la santé publique.
Amal Dadolle : comment et pourquoi les lobbies font-ils barrage aux politiques de prévention ? François Bourdillon : Les lobbies, notamment ceux du tabac, de l'alcool et de la nutrition, influencent les politiques publiques pour protéger leurs intérêts. Prenons l'exemple du Nutriscore, un outil de santé publique destiné à comparer les produits alimentaires et inciter les industriels à améliorer leurs recettes. Malgré son efficacité, les lobbies s'opposent à son adoption pour éviter des réglementations plus strictes et préserver leurs profits.
Débat sur la refondation du système de santé en France
Malgré les promesses post-pandémie de réformer le système de santé, un véritable débat sur les réformes nécessaires fait défaut. Les mesures annoncées, telles que l'augmentation des franchises médicales, sont jugées insuffisantes pour résoudre la crise profonde du système.
Amal Dadolle : Comment la pandémie de Covid a-t-elle affecté la démocratie sanitaire? André Grimaldi : La pandémie de Covid a eu un impact majeur sur la démocratie sanitaire. Après cette crise, on a rapidement eu une élection présidentielle où le sujet a été largement ignoré. Aucune leçon n'a été tirée de la pandémie au niveau de la population. En gros, on a traité cet épisode comme s'il était fini et on est passé à autre chose, sans véritable discussion sur les implications pour la démocratie sanitaire.
Amal Dadolle : Pourquoi la santé mentale est-elle si négligée dans notre système de santé ?François Bourdillonet André Grimaldi : La santé mentale est souvent négligée à cause des déserts médicaux, notamment en périphérie des villes et en milieu rural. Il est difficile d'obtenir un rendez-vous en médecine générale dans certaines régions, ce qui affecte aussi l'accès aux soins psychiatriques. Beaucoup de personnes atteintes de maladies chroniques n'ont pas de médecin traitant et peinent à trouver un suivi adéquat.
Gestion des études de phase 4 par les industriels : questions éthiques
Amal Dadolle : Quelles questions éthiques soulève la gestion des études de phase 4 par les industriels ?François Bourdillonet André Grimaldi : La gestion des études de phase 4 par les industriels pose des questions éthiques. Ces études, réalisées après la commercialisation d'un médicament, visent à surveiller les effets à long terme sur un large échantillon de patients. Cependant, les industriels pourraient être tentés de minimiser les effets secondaires pour protéger leurs intérêts commerciaux, ce qui a été problématique dans des scandales sanitaires passés, comme le Mediator ou les anxiolytiques aux États-Unis.
Influence des laboratoires sur la formation des soignants
Amal Dadolle : Quels rôles jouent les laboratoires dans la formation des soignants, notamment des médecins ? François Bourdillonet André Grimaldi : Les laboratoires jouent un rôle trop important dans la formation des soignants. Leur objectif principal est de promouvoir leurs nouveaux produits, ce qui peut biaiser l'information reçue par les médecins. Une formation indépendante et objective est essentielle pour garantir que les médecins reçoivent une éducation équilibrée et basée sur les meilleures preuves disponibles.
Propositions pour un nouveau système de santé
Les auteurs proposent des solutions innovantes. Ils prônent un mode de rémunération forfaitaire annuel pour les maladies chroniques, au lieu du paiement à l'acte. Ils recommandent aussi le développement du travail en équipes pluridisciplinaires en ville, une médecine intégrative et préventive, et une démocratie sanitaire réelle impliquant les usagers.
La rémunération des médecins en france
Amal Dadolle : Quels sont les différents modes de rémunération d'un médecin aujourd'hui?François Bourdillonet André Grimaldi : Il existe plusieurs modes de rémunération pour les médecins. Le paiement à l'acte, où chaque consultation ou acte médical est facturé séparément. Le paiement à forfait annuel, notamment pour les maladies chroniques, où le médecin reçoit un montant fixe pour la prise en charge globale du patient sur l'année. Il y a aussi des paiements pour des missions spécifiques, comme le dépistage dans certains quartiers ou des activités d'enseignement dans les hôpitaux.
Amal Dadolle : Pourquoi les médecins refusent-ils de changer de modèle ? Quels autres modèles et solutions proposez-vous pour pallier au déficit ? François Bourdillonet André Grimaldi : Les médecins refusent parfois de changer de modèle par crainte de perdre des revenus et de voir leur motivation diminuer. Nous proposons de remplacer le paiement à l'acte par des forfaits annuels ou le salariat pour garantir une rémunération stable et encourager le travail d'équipe. Cela pourrait inclure des collaborations avec des infirmières, des pharmaciens, des psychologues, et des orthophonistes, afin de mieux répondre aux besoins de santé de la population sur un territoire.
Amal Dadolle : Comment répondez-vous aux préoccupations concernant la réduction des revenus et la motivation des médecins avec la réforme proposée ? François Bourdillonet André Grimaldi : Nous devons assurer une rémunération équitable et attractive pour éviter la fuite des talents vers le privé ou l'étranger. Il est crucial de valoriser le travail en équipe et de garantir des conditions de travail motivantes. La réforme devrait inclure des incitations pour les médecins à travailler en coordination avec d'autres professionnels de santé, ce qui peut améliorer la qualité des soins et la satisfaction au travail.
Enjeux éthiques de la fin de vie
Enfin, la question de l'aide à mourir dans la dignité est abordée, soulevant des enjeux éthiques complexes. Avant de légiférer, les auteurs insistent sur la nécessité de développer les soins palliatifs, actuellement insuffisants en France, et d'ouvrir un débat approfondi impliquant tous les acteurs concernés.
Avec une analyse précise et des propositions claires, André Grimaldi et François Bourdillon nous offrent une feuille de route pour refonder notre système de santé sur des bases éthiques et démocratiques.
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