Qu’est-ce que l’amitié sincère?

L’amour et l’amitié : les terrains communs

Avant de se pencher sur les différences entre l’amitié et l’amour, commençons par ce qui les rassemble.

L’amitié et l’amour peuvent naître dans ces circonstances similaires : au lycée, à l’université, au travail, en vacances, au club de sport, en soirée chez des amis communs, en allant chercher les enfants à l’école, etc.

L’amitié et l’amour peuvent surgir plus ou moins rapidement. Pour certains c’est le coup de foudre, quand d’autres tombent lentement amoureux. C’est la même chose pour l’amitié, il y a des amitiés évidentes, et d’autres qui se construisent lentement et sûrement.

Tout comme en amour, l’amitié connait ses hauts et ses bas. On s’engueule, on se boude, on ne se comprend pas, on revient tâter le terrain, on met les choses à plat et on se réconcilie.

Tout comme en amour, encore, l’amitié peut être malsaine, voire toxique. Les manipulateurs, surtout les plus pervers, sévissent partout où ils le peuvent.

Enfin, tout comme en amour, les amitiés connaissent également l’érosion des sentiments, la trahison douloureuse et les chagrins suite à la rupture.

Ces chagrins existent bel et bien, et ils ne sont pas moins forts que les chagrins d’amour.

Pourquoi ? Parce qu’au fond le sentiment que l’on retrouve autant dans l’amour que l’amitié est celui d’éternité. Dès qu’un amour ou une amitié nait, nous avons la conviction intime qu’elle durera pour toujours.

S’arrête ici ce qui rapproche les deux sentiments.

La principale différence entre l’amitié et l’amour est que celui-ci s’accompagne d’un désir de fusion, conscientisé par le désir sexuel.

Pour autant l’amitié n’est pas en reste, puisque lorsqu’elle est véritable, le lien est également intense.

L’amitié, le terrain idéal pour une relation saine et forte

Tout d’abord, l’amitié n’est jamais à sens unique. On peut être amoureux sans que ce sentiment soit partagé. La non-réciprocité n’éteint pas la flamme. Ce qui n’est pas le cas dans le cadre de l’amitié, qui est toujours une relation voulue par les deux parties.

Ensuite, la relation amicale étant dépassionnée, «dérotisée» et soulagée de certains impératifs et pressions que peuvent connaître les couples (se désirer sur le long terme, acheter une maison, éduquer les enfants etc.), l’amitié se moque totalement des contraintes et des conventions.

Ce qui compte finalement entre les amis, c’est l’importance qu’ils s’accordent mutuellement, la place qu’ils se donnent et conservent ensemble. Dans cette relation, le temps n’est jamais un fardeau mais un précieux allié.

L’amitié a également ceci de précieux : nous ne redoutons pas le jugement de notre ami. Quoiqu’on ait fait ou pensé, il ne nous rejettera pas. Et parce qu’il nous offre cette tolérance et cette liberté d’être, nous lui rendons le même espace.

Ce qui n’est pas forcément le cas auprès de nos parents et conjoints, dont nous craignons le jugement et la déception. De même qu’ils redoutent les nôtres.

En clair, il est beaucoup plus facile d’entretenir une relation forte, authentique et intime auprès d’un ami, qu’auprès d’une mère ou d’un amoureux. Les adolescents, inconsciemment, le perçoivent très bien. C’est auprès de leurs amis qu’ils confient leurs rêves, leurs peurs et leurs pensées inavouables.

Plus légère mais pas moins intense et intime, l’amitié possède donc de précieux atouts que ne connait pas l’amour. Du moins, pas si le couple œuvre consciemment en ce sens.

Pour revenir aux similitudes, l’amitié connait au même titre que l’amour, de nombreux préjugés. A commencer par celui qui voudrait que l’amitié entre les femmes soit impossible.

Les femmes peuvent-elle être vraiment amies ?

Si l’amitié entre femme est évidente aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas, tant notre littérature regorge d’histoire d’amitiés entre hommes, et si peu entre femmes.

Pour le sociologue Jean Maisonneuve, le mariage est le premier fautif. Les jeunes filles, même si elles pouvaient se côtoyer en pension ou au couvent, coupaient à priori tout lien après leur mariage pour se concentrer sur leur foyer.

Si Emma Bovary avait eu quelques amies, aurait-elle fuit son ennui autrement que dans des relations amoureuses décevantes ?

Par ailleurs, quand l’amitié entre femmes n’est pas ignorée, elle est tout simplement moquée.

L’écrivain français du XVIIIème siècle Rivarol écrit : « l’amitié entre femmes n’est jamais que de la suspension des hostilités. Les femmes ne seraient capables que de conflits déguisés derrière des sourires et des faux semblants ».

En clair, les femmes sont incapables de vivre l’amitié et de nourrir des sentiments élevés et spirituels. Il n’y a que les frivolités et la recherche du regard masculin qui les intéresse.

Pour l’auteure féministe Adrienne Rich, l’amitié entre femmes a été la victime d’un système patriarcal oppressif. Etant fondamentale pour se construire, et prendre conscience de soi et du monde, il importait aux hommes que les femmes ne soient pas amies, ou que leur amitié soit réduite aux échanges de commérages.

Par-delà ces préjugés, il est avéré que l’amitié entre femmes existe bel et bien, et qu’elle leur offre un espace de liberté, de ressource et de compréhension, qui leur « permet de dire et d'expliquer ce qui a longtemps été tu (puberté, sexualité, difficultés conjugales, ambitions et désirs...) ».

Enfin, plus encore que l’amitié entre femmes, l’amitié entre hommes et femmes soulève davantage d’interrogation.

L'amitié entre un homme et une femme est-elle possible ?

Les obstacles à l’amitié homme/femme

Une société ne se débarrasse pas si facilement des stigmates hérités de siècles de séparation forte entre les sexes, et où il est entendu qu’une relation entre un homme et une femme a forcément une dimension sexuelle.

Toutefois, des décennies d’école mixte ont permis d’entériner la possibilité qu’un homme et une femme puissent être amis sans que l’un ou l’autre nourrisse un désir caché.

Différence de libido oblige, cet entérinement serait peut-être plus évident du côté des femmes que des hommes.

Comme le soulève le psychologue et docteur en psychopathologie Samuel Dock : « cette vaste question [de l’amitié homme/femme] renvoie à la construction sexuelle de chacun, en fonction de son genre. Peut-être que les femmes sont plus apaisées par rapport à la question de la sexualité que les hommes. »

Un autre obstacle à l’amitié entre hommes et femmes étant leur incompatibilité.

Ainsi, l’amitié masculine serait orientée vers l’action et la réalisation, tandis que l’amitié féminine se contenterait uniquement de confidences et d’affects.

Nous restons, à nouveau, dans un certain cliché qui sépare et définit ce qui est de l’ordre du masculin et du féminin. Que donc penser des sportives et des ambitieuses ? Que donc penser des poètes et des philosophes ?

L’amitié n’est pas la rencontre des corps et des esprits, mais exclusivement celle des esprits. Cette amitié est donc possible entre un homme et une femme. Nous en avons même un exemple historique en les personnes de François de Sales et Jeanne de Chantal dont l’amitié se fondait sur leur connexion spirituelle.

Devenir son propre ami

Concevoir l’amitié entre femmes, ou entre hommes et femmes, comme impossible en dit beaucoup sur les peurs inconscientes et blessures du croyant.

A ce propos, Anne-Laure Buffet invite chacun à devenir son propre ami véritable. C’est non seulement un moyen pour aller à l’encontre de ses blocages, mais aussi la condition non négociable pour entrer en véritable amitié avec autrui :

« [Car] comment exiger l’honnêteté si nous ne nous l’accordons pas ? Comment s’engager avec un autre lorsque nous sommes dégagés de nous, que nous n’avons pas assez grande conscience de nous ou que nous ne nous attachons pas suffisamment d’intérêt ? »

Source : Anne-Laure Buffet, L’amitié, édition Eyrolles, 2022