Guide de survie face aux profiteurs sans scrupules
Les manipulateurs que nous abordons ici ne sont pas les pervers narcissiques et autres personnalités pathologiquement toxiques .
Il existe à côté de ces grands loups, (qui, rappelons-le, ne touchent que 2 à 4 % de la population française), toute une foule de profiteurs, qui accumulent les promesses non tenues, les faux-semblants, les escroqueries et les abus de confiance.
Cette forme de manipulation se manifeste sous diverses formes et touche toutes nos relations interpersonnelles. Des plus superficielles, comme le plombier qui cherche à nous facturer plusieurs centaines d’euros le remplacement d’un joint à 5 centimes, aux plus intimes comme le parent ou le conjoint abusif.
Les conséquences, souvent terribles, sur les individus sont autant d’ordre matériel que psychologique.
Pour comprendre comment opèrent les manipulateurs et quelles clés permettent de les repérer et de s’en libérer, nous recevons les auteurs d’« Affirmez-vous face aux manipulateurs », Odile Darbon, médecin psychiatre et psychothérapeute, et Frédéric Fanget, médecin psychiatre, psychothérapeute et enseignant à l’université Lyon-1.
Nota Bene : par commodité de lecture, nous garderons le nom masculin de « manipulateur », mais il va de soi qu’il peut s’agir aussi bien d’une femme que d’un homme. Idem pour le manipulé.
Comment reconnaitre et cerner un manipulateur ?
Les comportements-clés du manipulateur
Comment s’exprime un comportement manipulateur dans le contexte de la rencontre amoureuse ?
OD : Dans sa phase de séduction, le manipulateur va essayer d’incarner le conjoint idéal en usant de quelques techniques-clés :
Il va faire le plus de compliments possibles sur le physique et le mental.
Il va repérer les valeurs et sensibilités de la personne pour se calquer à celles-ci.
Par exemple, si la personne à séduire a une fibre écologique, le manipulateur va mettre en avant son comportement et mode de vie éco-responsable. Même si c’est complètement faux.
Si le manipulateur se trompe dans ses impressions, il banalise les critiques et rectifie ses propos pour reprendre son emprise.
Et dans le contexte du travail ?
OD : On retrouve la même logique. L’employeur expose au futur collaborateur une image idéale de l’entreprise, du poste à pourvoir, ainsi que la promesse des perspectives d’avancement (mais sans jamais délivrer d’échéance et d’agenda). Le futur employé se retrouve sous les honneurs et ne peut décliner une telle offre.
Vous comparez dans votre livre le manipulateur et la personne bienveillante. Pourquoi ?
OD : Parce qu’au début il n’y a pas une grande différence. Par contre, au fur et à mesure de l’avancée de la relation (amoureuse, professionnelle ou autre), le manipulateur suit ses objectifs sans tenir compte de la personne en face de lui. Tandis que la personne bienveillante s’adapte et s’intéresse réellement aux potentiels, besoins et désirs de l’autre.
La marque de l’emprise
Que ressent-on qu’on est manipulé ?
FF : Un yoyo émotionnel où s’alternent des émotions positives très intenses et rapides et une déception brutale. Cela engendre de la confusion et du malaise.
D’où provient la force de persuasion du manipulateur ?
FF : Du fait qu’il sollicite en permanence notre cerveau émotionnel. Un cerveau vif et réactif, qui a l’avantage de nous éviter le danger et de survivre, mais qui a aussi l’inconvénient d’empêcher la réflexion. Celle-ci étant le domaine du cerveau cortical.
Conclusion ? Pour sortir du brouillard émotionnel, il est vital de prendre du recul pour analyser la situation. Voire de faire appel à un proche de confiance, dont le regard extérieur va aider à décrypter la situation.
Pourquoi se laisse-t-on abuser par un manipulateur ?
Dans la tête des manipulés
Qu’est-ce qui empêche le manipulé de dire non ou de s’opposer au manipulateur ?
FF : Ses croyances. Beaucoup de gens pensent que s’ils disent « non », ils vont blesser l’autre ou rompre la relation.
Nota Bene : En TTC (Thérapie Comportementale et Cognitive), le thérapeute commence toujours par travailler sur le mental du patient pour débusquer les préjugés et pensées paralysantes qui l’empêchent de s’affirmer.
Vous expliquez dans votre livre que les principaux biais des manipulés viennent de l’expression de leurs pensées, valeurs ou croyances que vous appelez des clusters. Quels sont ces clusters ?
OD : Nous avons décrit une dizaine de clusters, mais ce n’est pas exhaustif. Pour citer un exemple, il y a le cluster de la personne humaniste convaincue que « tout le monde est beau et gentil ». Elle va être portée à faire confiance et don d’elle-même, ce dont le manipulateur va profiter pour servir ses intérêts.
Le cluster est ce qui compose notre moteur intérieur pour orienter nos comportements. Or, les manipulateurs savent très bien repérer et jouer avec le cluster du manipulé.
Comment déjouer une relation manipulatrice qui s’installe ?
FF : La première étape pour déjouer une relation manipulatrice est de travailler son mental en changeant son regard sur soi-même et son manipulateur. Très souvent, le manipulé manque de discernement. Il culpabilise (trop) facilement et se sent coupable de tout. Tandis qu’en parallèle, il se montre très compréhensif envers son manipulateur et excuses tous ses abus.
Extrait de l’ouvrage « Affirmez-vous face aux manipulateurs » d’Odile Darbon et Frédéric Fanget
« Il existe un point spécifique à bien comprendre. Quand une relation a été coûteuse en énergie psychique ou matérielle (temps, argent, fort espoir déçu), une règle observée en psychologie est celle de la difficulté à abandonner cette relation. Chacun d’entre nous espère « se refaire », à l’image du joueur au casino qui, ayant beaucoup plus perdu que gagné, ne veut pas quitter la table sur un échec. Tout l’enjeu sera d’accepter l’idée qu’il vaut mieux perdre la main que le bras, ou le bras que la vie. Et de ce fait, nous allons nous engager plus facilement dans la rupture et être clair dans la rupture.
Dans ce cas particulier, il convient d’utiliser des mots particulièrement clairs, et d’affirmer son choix à travers l’emploi du JE, sans justification. « J’ai décidé de mettre un terme à notre relation. C’est une décision réfléchie, sur laquelle je ne reviendrai pas. Je te remercie de la respecter et de ne pas insister. »
Il n’est pas toujours souhaitable d’évoquer à ce moment la question des clés ou des affaires à rendre. Le principe est que la relation se termine sur-le-champ, là, au moment où on le formule.
Cette phrase va peut-être devoir être répétée trois fois sur un ton calme, avec une cohérence entre les propos énoncés et l’attitude non verbale. Si le dominant ne part pas, le dominé va devoir le faire lui-même. Dans une relation de travail, cette rupture sera formalisée différemment par un écrit légalement valable. »
Pourquoi avez-vous choisi de partager cet extrait ?
OD : Parce qu’il souligne les processus de maintien d’une manipulation, dont l’un des principaux est la peur de voir son estime de soi s’effondrer. Il faudrait pourtant être fier d’oser affronter la douleur qu’engage la rupture. C’est indispensable pour qu’advienne un renouveau.
Comment sortir d’une relation manipulatrice ?
Quelques outils-clés
Vous proposez dans votre livre des outils pratiques pour se sortir d’une relation manipulatrice, notamment ce que vous décrivez comme « l’arme fatale : savoir dire non avec méthode. ». Comment dire non avec méthode ?
FF : Il y a plusieurs techniques qui correspondent à différentes situations de vie. Toutefois, la première des techniques consiste à ne plus réagir automatiquement avec notre cerveau émotionnel, en remplaçant le « oui » par une formule évasive comme « peut-être », « je vais voir » ou « il faut que je réfléchisse ».
Seconde technique possible : dire non après avoir dit oui. Les formules-clés seront : « J’ai bien réfléchi, mais finalement cela ne va pas être possible » ou « J’ai bien réfléchi, je ne veux pas faire ceci (ou cela) ».
Si le manipulateur, frustré devant un non, hausse la voix, se montre agressif et nous attaque : « tu n’es pas digne de confiance ». Dans cette situation, on enclenche la technique du recadrage, qui consiste à court-circuiter la tentative du manipulateur de nous faire douter de nous. La réponse d’un recadrage sera : « la confiance c’est un autre problème, mais pour faire ceci (ou cela) c’est non ».
S’affirmer, la seule posture libératrice
En quoi la posture de victime nous dessert-elle face aux manipulateurs ?
OD : Dans notre société, nous donnons la parole aux victimes, ce qui est naturellement bienvenu. Sauf que cela engendre l’impression qu’être une victime n’est pas si mal, car nous attirons à nous la compassion et la sympathie des autres. Mais cela n’a qu’un temps. En restant dans la posture de victime, le manipulateur peut la retourner contre nous en nous faisant passer pour un déprimé ou un pleurnicheur.
Dès lors que l’on arrive à s’affirmer face à un manipulateur, pouvons-nous entretenir une relation saine avec lui ?
FF : Oui, absolument. La manipulation signifie d’avoir le pouvoir sur l’autre. Or, en s’affirmant, c’est-à-dire en faisant entendre ses droits, besoins et désirs, on sort de la position de « dominé » pour s’élever et se retrouver à la même hauteur que celle du manipulateur.
Quand le manipulateur a perdu son pouvoir sur nous, il y a alors deux scénarios : ou le manipulateur nous estime et ajuste sa position, ou il fuit et part manipuler quelqu’un d’autre.
Conclusion : il faut trembler pour grandir
Les relations manipulatrices, aussi nuisibles et dévastatrices soient-elles, ont toutes finalement une raison d’être. Les incendies qu’elles génèrent en nous ouvrent le chemin d’un véritable accomplissement de soi.
Comme l’a si justement écrit le poète résistant René Char, « il faut trembler pour grandir ».
Ces tremblements, insupportables à envisager pour beaucoup sont pourtant l’un des rares (sinon uniques) instruments pour mesurer et découvrir nos propres forces. Ce faisant, ils sont la voie royale pour acquérir une solide confiance et estime de soi, garantes de sécurité intérieure .
Cette condition pour s’épanouir n’est pas sans rappeler les propos de Marie-Pierre Dillenseger, pour qui la vie est une série d’ajustements et de transformations, et pas forcément une ligne droite.
Article rédigé à partir des propos des Drs Odile Darbon et Frédéric Fanget, recueillis par Amal Dadolle
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous