Le pouvoir des rêves : ce que votre cerveau endormi...
Publié le 22/07/2025, mis à jour le 30/07/2025
Connaissance de soi
Le pouvoir des rêves : ce que votre cerveau endormi veut vous dire
7 min de lecture
Dormir pour guérir
Et si chaque nuit, votre cerveau vous offrait une thérapie gratuite ? Et si les cauchemars, loin d’être un dysfonctionnement, étaient en réalité une forme d’auto-guérison émotionnelle ? Et si les rêves n’étaient pas des mystères ésotériques, mais des simulateurs d’émotions, au service de notre résilience ?
Dans cet article, nous vous invitons à une plongée pédagogique et incarnée dans le cerveau rêveur : ce laboratoire nocturne où s’inventent nos métaphores, où s’apaisent nos blessures, et où s’élaborent, chaque nuit, des versions plus humaines de nous-mêmes.
Qui est Lampros Perogamvros ?
Psychiatre, neuroscientifique, clinicien et chercheur, Lampros Perogamvros est l’un des rares spécialistes européens du rêve qui conjugue rigueur expérimentale et réflexion existentielle. Il exerce à l’Hôpital universitaire de Genève (HUG) et mène ses travaux à la faculté de médecine de l’Université de Genève, dans l’équipe du Pr Patrik Vuilleumier.
Il a co-dirigé de nombreuses études sur :
Le sommeil paradoxal (REM) et ses liens avec les émotions,
Les mécanismes cérébraux du cauchemar,
Les effets thérapeutiques de l’Imagerie par Répétition (IRT),
Les corrélats neurologiques du rêve lucide.
Mais ce qui frappe chez Perogamvros, c’est son éclectisme. Sa capacité à citer Aristote et Jung dans la même page. Sa volonté de dialoguer avec des psychanalystes, des anthropologues, des cinéastes. Et son talent pour rendre hommage au potentiel poétique et thérapeutique du rêve, sans jamais sacrifier la méthode scientifique.
« Le rêve est à la fois laboratoire, catharsis et scène de théâtre. Il ne sert pas à fuir la réalité, mais à y survivre. »
Le rêve : une expérience à la fois subjective et universelle
Dès le premier chapitre de son livre, l’auteur pose une question essentielle : que signifie rêver ? Le rêve est défini comme une expérience subjective survenant pendant le sommeil, faite d’images, de sensations, de pensées et d’émotions. C’est une simulation mentale vécue à la première personne, souvent immersive, parfois déroutante. Cette subjectivité le rapproche de l’étude de la conscience elle-même.
Pourtant, malgré cette dimension personnelle, le rêve est universel : tous les humains rêvent, y compris ceux qui ne s’en souviennent pas. Le rêve traverse les cultures, les âges et les états mentaux. Il reflète notre biologie autant que notre histoire personnelle.
Perogamvros rappelle que l’activité onirique se manifeste aussi bien dans le sommeil paradoxal (REM) que dans certaines phases du sommeil lent (NREM). Même si les rêves REM sont généralement plus riches, bizarres et émotionnels, les rêves NREM existent aussi, souvent sous forme de pensées ou de fragments visuels.
Grâce à des technologies comme l’IRM fonctionnelle ou l’électroencéphalogramme, la science est aujourd’hui capable de suivre l’activité du cerveau pendant le sommeil.
Résultat ? Le cerveau rêveur est loin d’être inactif. Il est même intensément mobilisé, notamment dans les régions associées aux émotions (amygdale), à la mémoire (hippocampe), à l’imagerie mentale (cortex occipital) et à la simulation motrice (cortex pré-moteur). En revanche, certaines zones responsables du contrôle logique et de l’autocritique, comme le cortex préfrontal, sont désactivées. Cela explique les bizarreries et le manque de sens critique pendant le rêve.
C’est aussi ce déséquilibre qui rend possible le phénomène d’hyperassociativité : le cerveau établit des liens inédits entre des souvenirs, des émotions et des sensations, produisant des scénarios oniriques riches mais parfois absurdes.
«. Loin d’être un divertissement nocturne sans utilité, il agit comme une forme de thérapie intégrée. Pendant le rêve, notamment en sommeil paradoxal, nous « rejouons » des situations chargées affectivement. Ces répétitions peuvent atténuer l’intensité émotionnelle du souvenir."
Des études menées sur le stress post-traumatique (PTSD) montrent que les cauchemars permettent parfois une exposition symbolique à l’événement traumatique. D’où l’idée que le rêve contribue à l’extinction de la peur.
Perogamvros insiste aussi sur l’importance de l’effet rebond : plus on tente de refouler certaines pensées ou émotions à l’état de veille, plus elles ont de chances de réapparaître dans les rêves. Cette dynamique renforce l’hypothèse d’un traitement émotionnel nocturne.
« Le rêve n’est pas un souvenir, mais un recyclage affectif. Il nous permet d’intégrer ce qui, le jour, nous déborde. »
Cauchemars, peur et libération
Les cauchemars ont longtemps été perçus comme des anomalies du sommeil. Or, l’auteur nous invite à les considérer comme des messages émotionnels non intégrés, une forme brute de thérapie. Il distingue d’ailleurs les mauvais rêves (désagréables mais sans réveil) des cauchemars (avec réveil brutal et détresse).
Ceux-ci peuvent avoir une fonction : permettre une exposition répétée à un contenu traumatique, dans un cadre sécurisé. Cette répétition, aussi inconfortable soit-elle, permet parfois à l’individu d’apprivoiser la peur, et même de la transformer.
« Le cauchemar est une forme d’apprentissage émotionnel. Il confronte le rêveur à ses zones d’ombre, mais sans danger réel. »
La prise en compte clinique des cauchemars, notamment dans le cadre du stress post-traumatique, a conduit au développement de techniques comme l’IRT (Imagerie par Répétition), que Perogamvros utilise et étudie.
Le rêve lucide : entre liberté et conscience
Une autre facette fascinante abordée par l’auteur est celle du rêve lucide : un état dans lequel le rêveur sait qu’il rêve… et peut parfois influencer le contenu du rêve. Bien qu’encore marginal dans les pratiques thérapeutiques, ce type de rêve est étudié de près pour son potentiel :
Répétition mentale de gestes (utile aux sportifs, par exemple),
Dialogue intérieur et transformation des scénarios angoissants.
Les IRM montrent que le rêve lucide réactive certaines zones frontales du cerveau, normalement éteintes en sommeil REM. Ce retour de la méta-cognition ouvre des perspectives sur le rôle du rêve dans la conscience de soi.
« Le rêve lucide est une frontière poreuse entre fiction et présence à soi. Il révèle que nous pouvons nous éveiller… même endormis. »
Une affaire de culture : rêver selon les sociétés
Le rêve n’est pas seulement un phénomène biologique. Il est aussi un produit culturel. Dans certaines sociétés traditionnelles, comme les peuples BaYaka du Congo ou les Hadza de Tanzanie, le rêve occupe une place centrale dans la vie sociale. On le partage au petit matin autour du feu. On en cherche les messages pour la chasse, les relations ou la santé. Le rêve est un lien communautaire et un espace de sagesse collective.
Perogamvros compare ces pratiques à notre monde occidental, où les rêves sont souvent relégués à l’intime ou au farfelu. Ce contraste met en lumière les biais ethnocentriques de certaines approches psychologiques, notamment freudiennes, qui oublient l’influence du contexte socioculturel.
« Le rêve reflète nos valeurs, nos peurs et notre manière d’habiter le monde. Il ne peut être interprété hors du cadre culturel qui le produit. »
Une étude conduite par l’auteur et son équipe dans six pays révèle que les rêves des sociétés collectivistes sont plus coopératifs, tandis que ceux des sociétés individualistes sont plus compétitifs ou anxiogènes. Ainsi, la structure du rêve révèle la structure de la société.
Symboles ou métaphores ? Un nouveau regard
Contrairement à Freud, qui interprétait les rêves comme des énigmes sexuelles symboliques, Perogamvros préfère parler de métaphores incarnées. Un serpent dans un rêve ne renvoie pas forcément à un phallus. Il peut symboliser une peur, un souvenir, un désir de transformation. La signification est contextuelle et personnelle.
Il insiste aussi sur la différence entre symbole (construit par la culture, souvent figé) et métaphore (souple, intuitive, émotionnelle). Les rêves, dit-il, sont métaphoriques : ils traduisent une émotion ou une pensée abstraite en image concrète.
« La métaphore est un monôme vivant. Elle s’effondre dès qu’on tente de l’analyser comme un algorithme. »
Ce positionnement donne au rêve une valeur poétique, mais aussi thérapeutique. Il ne s’agit pas de décrypter des symboles universels, mais de comprendre les résonances intimes qu’éveille une image. C’est un changement de paradigme.
Le rêve comme outil thérapeutique
Tout au long du livre, l’auteur explore les usages possibles du rêve dans les soins psychiques. Il revient en détail sur plusieurs approches expérimentales :
IRT (Imagerie par Répétition) : pour modifier des cauchemars récurrents,
TMR (Targeted Memory Reactivation) : pour réactiver en douceur certaines mémoires durant le sommeil,
Rêve lucide dirigé : pour renforcer la confiance en soi, gérer des peurs, expérimenter des scénarios positifs.
Ces outils permettent d’intégrer le rêve dans des protocoles thérapeutiques structurés. Ils montrent que le rêve, loin d’être une distraction, peut devenir un levier de transformation psychique.
« Le rêve est la première fiction thérapeutique inventée par l’humanité. Il mérite d’être réhabilité comme tel. »
Conclusion : redonner sa place au rêve
À l’heure où le stress chronique, l’anxiété et les troubles du sommeil explosent, ce livre propose un antidote inattendu :faire à nouveau place au rêve. Noter ses rêves, les raconter, les explorer. Non pas pour les interpréter de manière rigide, mais pour en accueillir les messages sensibles.
Lampros Perogamvros plaide pour une écologie du rêve. Une attention nouvelle à ce que notre esprit produit la nuit. Une confiance retrouvée dans la capacité du rêve à nous relier à nous-mêmes, aux autres et à l’invisible.
« Pendant que nous dormons ici, nous sommes éveillés ailleurs. Chaque homme est ainsi deux hommes. » – Borges
Ce livre est bien plus qu’un essai de neurosciences. C’est un hommage au mystère, à la vulnérabilité, et à la puissance réparatrice de l’imaginaire.
Pour qui veut mieux se connaître, accompagner autrui ou tout simplement réenchanter ses nuits, Le pouvoir des rêves est un compagnon précieux.
Source : Le pouvoir des rêves, Lampros Perogamvros, Éditions Favre, 2025.
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