Publié le 14/05/2019, mis à jour le 26/06/2022
Société
Fake news : pourquoi devons-nous cultiver l’esprit critique?
Défense de l’esprit critique
Le succès des fake news qui prolifèrent sur Internet inquiète gouvernements et grands médias établis. Il faut avouer qu’on a longtemps pensé que seuls quelques doux illuminés accordaient du crédit aux fake news. Les études montrent qu’il n’en est rien.
Comment l’expliquer ? Des psychologues, philosophes, sociologues et neuropsychologues se sont penchés sur ce déroutant et inquiétant succès. Ainsi, Nicolas Gauvrit, chercheur en sciences cognitives et Sylvain Delouvée, chercheur en psychologie sociale ont rassemblé leurs travaux et les théories pour comprendre le succès des fake news, et comment se protéger d’elles.
A la conquête du monde
Aussi, par leur présence sur Internet, les fake news ont le vent en poupe à l’échelle mondiale.
Les chercheurs ont identifié 3 natures de fake news :
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Les fake news apocalyptiques.
Celles qui sont annonciatrices d’une grande catastrophe qui va détruire une grande partie de la vie sur Terre.
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Les fake news aux prophéties utopiques.
Elles aussi nous promettent des catastrophes, mais aussi un Happy End grâce à la découverte du paradis perdu, ou à la venue d’extraterrestres humanoïdes dont l’intelligence supérieure va nous aider à évoluer spirituellement.
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Les fake news conspirationnistes.
Elles sont diverses et variées. Un exemple populaire : les ressources de la Terre venant à manquer, un gouvernement mondial caché planifierait une grande guerre ou une épidémie pour décimer une grande partie de la population. Ce sont ces dernières qui sont le plus en vogue en France.
La France complotiste
En France, les principales fake news tournent autour du conspirationnisme (ou complotisme).
- Le gouvernement veut nous empoisonner pour réduire notre nombre.
- Le grand remplacement. Un plan gouvernemental prévu sur 20-50 ans, qui consiste à remplacer la population blanche de souche par les populations issues du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne.
- Le réchauffement climatique est un complot de l’Etat pour nous faire payer toujours plus d’impôts et de taxes.
Ainsi, cela concerne beaucoup de monde puisque selon une enquête menée en 2017 par l’institut Ifop sur le complotisme en France, près d’1/4 des Français croient à une théorie conspirationniste.
Deux questions s’imposent alors !
- Croyons-nous tous aux même fake news ?
- Et comment expliquer leur succès ?
Comment expliquer le succès des fake news ?
Qui croit à quoi ?
Toujours selon cette même enquête de l’Ifop, tout le monde ne croit naturellement pas aux mêmes théories et les différences sont avant tout d’ordre générationnel et idéologique.
Ainsi, les jeunes croient davantage que leurs aînés à l’idée que le ministère de la Santé soit de mèche avec l’industrie pharmaceutique et que les vaccins seraient plus que douteux pour notre santé.
A contrario, les seniors croient plus aux théories du complot sur le réchauffement climatique ou le grand remplacement (24 % de + 65 ans contre 9 % chez les 18-24 ans). Pour cette même fake news, 24 % des sympathisants LR, et 48 % de sympathisants RN y souscrivent.
Alors comment a-t-on pu en arriver là ?
Comment arrive-t-on à croire à une fake news ?
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Par le gourou.
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Par le groupe.
« Chaque personne voit le monde a sa manière, adopte un ensemble de valeurs fondamentales qu’elle perçoit comme faisant partie d’elle et qui agissent comme des filtres dans le traitement d’informations. Ainsi, des personnes ayant des idéologies ou des opinions politiques différentes interpréteront différemment les mêmes informations. »
Aussi, on pourrait s’en tenir là en comprenant comment on tombe dans la croyance des fake news. L’ennui, c’est que certaines croyances menacent l’intérêt général.
Quand les fake news deviennent dangereuses
Les dégâts des climato-sceptiques
Certaines fake news peuvent nous laisser perplexes, comme celles remettant en cause le changement climatique. On est d’autant plus perplexe quand des journalistes ayant accès à une large audience, comme Pascal Praud et Elisabeth Lévy, font le jeu des fake news en remettant en question les milliers de travaux consacrés au changement climatique. C’est là où les fake news deviennent dangereuses.
Les problèmes de pédagogie
Ainsi, les chercheurs Joseph Uscinski de l’université de Miami, Karen Douglas de l’université de Kent, et Stephan Lewandowsky de l’université de Bristol ont étudié les interactions entre les scientifiques et le grand public. En plus du creusé de compréhension qui grandit, les universitaires ont relevé un comportement contre-intuitif qui explique le succès du climatoscepticisme.
« La simple présence d’opposants à l’idée d’un changement climatique a des effets négatifs non seulement sur le grand public, mais aussi sur les scientifiques exposant les faits. Face à un public qu’ils sentent a priori réticent, les experts ont en effet tendance à minimiser les faits, à exprimer des doutes qu’ils n’auraient, en d’autres circonstances, pas formulés. »
Le revers de la médaille dans leur comportement, c’est que le public sceptique l’interprète comme hésitant, et confirme son idée que le changement climatique est surestimé.
La défiance sociale
Par ailleurs, le succès des fake news repose en grande partie sur la défiance des autorités publiques et institutionnelles d’une grande partie de la population. La présence de l’inégalité sociale explique certainement leur prolifération.
Aussi, que pouvons nous faire à échelle individuelle pour réduire l’impact des fake news et faire en sorte de ne jamais tomber dans leur piège ? Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée ne voient qu’un moyen : cultiver son esprit critique. Une fastidieuse entreprise.
Des difficultés de cultiver un esprit critique
Chercher des repères
On ne peut connaître tout sur tout, c’est impossible. Néanmoins comment choisir les bonnes informations quand on croûle sous les sources ? Avec des repères solides et de qualité. Ce qui est tout sauf facile, car comment s’assurer de leur pertinence ?
En effet, développer l’esprit critique oblige à s’interroger sur la confiance : « que croire ? », « qui croire » ? Les scientifiques, les politiques, les journalistes, les politiques, les agences sanitaires, les associations, les réseaux sociaux, Wikipédia ? Parmi tous ces acteurs, il est devenu très difficile de trouver un repère fiable.
La confiance écornée
Ainsi, prenons l’Etat, des études sérieuses et bien documentées ont mis en lumière l’existence de groupes d’intérêt agissant directement sur les pouvoirs politiques pour affirmer que les conséquences du changement climatique sont largement surestimées.
Les universitaires en témoignent : « le monde de la recherche scientifique est lui-même sujet à de nombreuses pressions (recherches de financements, de reconnaissance, promotion, idéologies) qui conduisent à des désinformations voire des fraudes. […] Certaines publications scientifiques sont davantage des opérations de communication où la publication scientifique n’est là que pour servir de caution. »
Au-delà des Etats et des Institutions dont le manque d’exemplarité nous oblige à nous méfier de leurs positions, le principal obstacle pour trouver des repères fiables est notre cerveau.
Le cerveau est bête
Chercheuse en neuropsychologie au University College de Londres, Tali Sharot s’est demandé si nous sommes capables de changer d’avis sur une idée politique ou sociale si on nous montre des preuves scientifiques nous prouvant notre erreur. La réponse vous semble évidente ? Et pourtant, l’expérience révèle que notre cerveau encode nos idées les plus fortes, et nous sommes comme anesthésiés quand nous sommes confrontés à des idées contraires. Une preuve de plus montrant qu’il est difficile de nous faire changer d’avis sur un sujet.
Il y a néanmoins quelques pistes pour déjouer les pièges de notre cerveau et cultiver un esprit critique.
Comment cultiver son esprit critique ?
Devenir journaliste
Quand nous voulons bien nous informer sur un sujet, nous devenons tous des journalistes. Pour se garantir au mieux de la crédibilité d’une information, il faut tâcher de croiser différentes sources d’information, d’aborder un sujet sur plusieurs angles ou points de vue, et remettre les images dans leur contexte. Il faut surtout développer le réflexe de se demander « pourquoi les choses sont ainsi ? » plutôt que de les interpréter immédiatement et arrêter un jugement. En somme, cultiver son esprit critique demande à être aussi un peu philosophe.
Devenir philosophe
Pour aiguiser son esprit critique, il est nécessaire de se détacher de ses affects et jugements pour transcender ses pensées habituelles. Pour les éviter au mieux, il faut savoir les repérer :
- Le poids de nos idées héritées de notre milieu social.
- L’influence de nos émotions et de nos motivations (poids du conformisme, sensibilité aux risques/bénéfices).
- Les difficultés de notre cerveau à appréhender les chiffres et statistiques qui peuvent nous apporter une perception erronée de la réalité.
- Notre attirance naturelle pour les explications simples et causales
Comme le rappelle si bien Montaigne, pour cultiver son intelligence « mieux vaut une tête bien faite que bien pleine ».
Source : Sous la direction de Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée, « Des têtes bien faites. Défense de l’esprit critique », éditions PUF, 2019
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