Islam et féminisme : quand la spiritualité brise les chaînes...
Publié le 31/03/2021, mis à jour le 13/11/2024
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Islam et féminisme : quand la spiritualité brise les chaînes du patriarcat
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L’islam : une spiritualité dévoyée par le patriarcat
Entretien avec Kahina Bahloul, imame en France
Parce qu’il est grand temps d’avoir, enfin, une vision plus juste de l’Islam que celle dont nous assomment les ignorants de toutes parts, nous sommes allés rencontrer la 1ère Imame de France, Kahina Bahloul, fondatrice de la mosquée Fatima et auteure de « Mon islam ma liberté » paru aux éditions Albin Michel.
Dans son livre, Kahina Bahloul fait la lumière sur la genèse de l’islamisme radical et nous donne des clés de compréhension des valeurs inclusives de l’islam grâce à la mystique Soufi.
Ce livre est aussi une célébration de la figure de la femme, notamment à travers l’avocate militante féministe Gisèle Halimi ou de la résistante Lalla Fatma N’soumer qui, en 1849, a repoussé les premiers colons Français avant d’être capturée et de mourir à l’âge de 33 ans.
Bahloul revient également sur l’histoire de la reine prêtresse berbère Kahina à qui elle doit son prénom. Selon la légende, cette reine juive convertie au christianisme, aurait préféré se suicider plutôt que de se rendre à l’ennemi tout en conseillant à ses fils de se convertir à l’islam pour perpétrer la tribu.
Enfin, Kahina Bahloul évoque ses propres origines et le brassage culturel dont nous sommes tous issus. Née en 1979 à Paris et élevée à Bejaia en Kabylie, son père est un Algérien kabyle et sa mère, une Française d’origine juive par sa mère et catholique par son père.
De l’ignorance de sa propre religion ou la méconnaissance de l’Islam
L’islam dépouillé
Avant de vous laisser la parole, je me permets pour nos auditeurs (et lecteurs) un petit extrait de votre livre…
« Depuis plusieurs décennies, l’islam occupe une grande part de la scène médiatique occidentale et lorsque celle-ci s’y intéresse, c’est dans la majorité des cas pour en parler comme d’une religion instrumentalisée par des idéologies politiques fondamentalistes et violentes, et jeter l’opprobre sur les fondements mêmes de celle-ci pour en faire une religion belliqueuse apportée par un prophète aux allures d’homme politique guerrier (…) Or, l’islam dans sa réalité est d’abord une spiritualité, une sagesse qui alimente la foi de milliers de personnes dans le monde à la recherche d’une seule chose : trouver la paix en eux-mêmes et la voir advenir dans le monde. »
Ma première question est donc la suivante : N’y a-t-il pas une méconnaissance de l’islam par les musulmans eux-mêmes ?
KB : Oui à mon grand regret, et c’est ce qui m’a poussé à écrire ce livre. Aujourd’hui, on entend tout et son contraire sur l’islam, aussi bien de la part des non-musulmans (ce qui peut se comprendre à la rigueur) que des musulmans mêmes. J’ai pu en faire l’expérience en Algérie.
Le problème est très complexe. Il est à la fois lié à l’histoire de ces pays musulmans, mais aussi au fait que leur enseignement religieux soit dépouillé de sa richesse, parce qu’amputé et choisi par des Etats politiques ou pouvoirs politiques.
Ce que n’est pas l’islam
Quelles idées sur l’islam devraient être complètement proscrites selon vous ?
KB : On décrit souvent l’islam comme étant une religion violente et misogyne. Or l’islam dans sa diversité, ce n’est pas cela. Je ne nie pas du tout l’existence des lectures misogynes, mais c’est commun à toutes les traditions religieuses parce que le patriarcat a sévi partout dans le monde.
Aujourd’hui, certains courants de l’islam n’ont pas beaucoup renouvelé leur pensée, parce qu’ils pressentent que l’islam est en danger. Conséquence de quoi, on assiste à un repli sur soi où l’on se cloître dans une pensée médiévale et archaïque.
KB : Or, l’islam ne se réduit pas à cette pensée médiévale. C’est une pensée qui s’est développée durant plus de 14 siècles et qui a énormément apporté à l’histoire de l’humanité, que cela soit dans les domaines artistiques, scientifiques, spirituels. Il y a une nécessité de redécouvrir tout cela.
A quel moment le Jihad, qui est une lutte spirituelle intérieure, est devenu une quête belliqueuse où l’on doit tuer celui qui n’est pas musulman ?
KB : Il y a un moment charnière où il y a eu une récupération et un basculement du mouvement islâh, c’est-à-dire le mouvement réformiste musulman, dont les intentions étaient initialement positives et nobles. Des intellectuels musulmans, comme Mohammed Abduh, souhaitaient interpréter les textes issus de la pensée médiévale en prenant en compte le contexte moderne.
Mais d’autres penseurs que j’appelle les « revivalistes » ont complètement dévoyé ce courant réformiste par :
Leur désir de retourner vers un passé complètement mythifié, alors qu’on ne connait pas grand-chose du VIIème siècle et des premiers musulmans.
Leur rejet de l’altérité, qu’elle soit religieuse, occidentale ou féminine.
La question du voile dans l'Islam
Quelle est votre position sur le voile ? Est-ce une obligation, une tradition ou une incompréhension des textes ?
KB : Il y a une grande part d’incompréhension des textes, en plus il est souvent porté par tradition par beaucoup de femmes. Et dans toute cette confusion, les courants fondamentalistes utilisent les arguments qui confortent leur position dans leur volonté de contrôler le corps de la femme, de le rendre invisible dans l’espace public. Or, lorsqu’on revient à une lecture théologique des textes fondateurs, il n’y a absolument rien qui oblige la femme à porter le voile.
Comment a-ton pu travestir le texte à ce point-là, alors que le voile n’est même pas abordé ? On a parlé éventuellement de se couvrir la poitrine parce que les femmes étaient seins nus…
KB : Il y a une confusion sur cette question-là. Certains disent que les femmes étaient seins nus, alors qu’en fait elles avaient juste un décolleté un peu ouvert. Comme les musulmans, à cette époque-là, vivaient des conflits permanents avec leurs voisins non-musulmans qui attaquaient les femmes, il y a eu ce verset coranique pour conseiller aux femmes musulmanes de rabattre un bout de tissu sur leur poitrine.
Le terme coranique précis est « l’échancrure de leur décolleté ». Mais il y a eu toute une extrapolation, voire des interprétations farfelues de ces lectures, pour dire qu’il ne s’agit pas seulement du décolleté mais aussi des cheveux et de la tête.
Faire croire aux femmes que si elles veulent être de bonnes musulmanes elles doivent se couvrir la tête, c’est leur faire porter une culpabilité inadmissible.
L’amour et l’humour dans l’islam
De l’amour
Beaucoup de musulmans grandissent avec l’idée que les hommes peuvent se marier avec une femme d’une autre religion alors que c’est interdit aux femmes. Ce qui m’amène à vous demander quelle est votre position sur la mixité des couples ?
KB : C’est à nouveau une question d’interprétation, puisqu’il n’y a absolument rien dans les textes qui interdise aux femmes de se marier avec des non-musulmans. C’est une évolution interprétative et anthropologique du vécu et de la pratique religieuse musulmane.
Pour moi, il n’y a absolument aucun problème pour qu’une musulmane se marie avec un non-musulman. Dans notre mosquée, nous célébrons les mariages mixtes. Je trouve que c’est une source de richesse et de rapprochement entre les différentes religions. Ces couples mixtes sont magnifiques, on peut voir l’amour qui les unit. Je pense que c’est l’amour qui sera notre issue et notre espoir.
Quelle éducation donnée aux enfants dans ces couples mixtes ?
KB : L’enseignement qui doit être donné aux enfants c’est l’idée d’unicité sur laquelle sont fondées les trois monothéismes, ainsi que d’autres comme le Taoïsme, le Bouddhisme. L’unicité dont parle ces traditions spirituelles n’est pas totalement étrangère à l’unicité telle qu’on la trouve dans la mysticité musulmane.
Quelle que soit l’époque, la culture et la société, plus on s’élève dans la sagesse plus les opinions convergent.
L’idée d’unicité, d’un point de vue spirituel, est la première valeur à transmettre aux enfants dans le sens où l’unité est ce qui rapproche les humains.
De l’humour
Vous consacrez un chapitre entier à la place du fou « sage » dans l’islam, comme Nasredin, l’un des personnages les plus connus du monde arabo-musulman, qui, je vous cite « ont pratiqué la satire et le second degré au service de la sagesse pour tenter de corriger les vices et les travers du pouvoir politique et de la société. » Qu’en est-il de l’humour dans l’islam ? Peut-on rire de tout ?
KB : A l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris, où je prépare une thèse, j’ai une collègue qui prépare la sienne sur l’humour de Dieu dans la tradition musulmane. Quand on parle de l’islam orthodoxe, on a l’impression qu’il faut toujours être triste, sévère et en colère. Or, quand on a une démarche de recherche et que l’on retourne aux textes, on en trouve où Dieu et le Prophète rient. Le sourire, le rire, la légèreté font partie de notre humanité et nous sont essentiels dans nos vies qui peuvent être difficiles et dures.
(A ce propos, nous vous invitons vivement à lire les contes de Nasredin.)
Et de l’espoir
Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant ?
Il y a un grand besoin de parler de l’islam autrement que ce que l’on entend dans les médias et les polémiques. J’ai aussi envie de contribuer à éveiller les jeunes musulmans à l’incroyable richesse et profondeur spirituelle de l’islam, complétement méconnue car dévoyée et récupéré par des mouvements intégristes et fondamentalistes.
Vous savez comment votre livre a été reçu par les instances religieuses qui représentent l’islam en France ?
Je ne sais pas trop pour l’instant, mais je vous donnerai rendez-vous ! Mais ce livre a le mérite d’exister et d’être porté par une voix féminine de l’islam, ce qui est assez nouveau !