Qu’est-ce que le feedback?
Le feedback est un cadeau
Pour beaucoup, le feedback n’est qu’un énième gadget de communication destiné aux managers dépassés.
Quand le feedback n’est pas sous-estimé, il est souvent mal utilisé. Lors d’un entretien, le supérieur évalue son collaborateur en expédiant rapidement les points forts du collaborateur pour souligner ses manques et ses lacunes.
Utiliser le feedback de cette manière, c’est oublier son intention première. A savoir de se nourrir d’une expérience vécue et du regard juste d’autrui pour s’adapter, grandir et performer ensemble.
En ce sens, le feedback n’est pas un monologue hiérarchique, mais une conversation pour apprendre et comprendre comment mieux interagir avec son environnement.
Aussi le feedback s’apparente davantage à un art qu’à simple un outil. Telle est la position de l’un des (rares) spécialistes du feedback, Stéphane Moriou.
Conférencier, entrepreneur et chercheur, nous l’avons reçu à la suite de la publication de son livre Feedback: le pouvoir des conversations (Dunod).
- Vous expliquez au début de votre ouvrage qu’il existe de nombreuses définitions du terme « feedback ». Quelle est la vôtre?
- Stéphane Moriou : Le feedback est un cadeau qu'on fait à l'autre pour le faire grandir et l'aider à réaliser son potentiel. Cela paraît tout simple mais cela demande beaucoup d'implications.
Le feedback est une langue naturelle
- En quoi le feedback est-il une nouvelle langue à apprendre?
- Stéphane Moriou : Au départ, dans nos travaux nous sommes partis comme tout le monde sur l'idée que le feedback était un outil de management. Puis, avec le temps, nous nous sommes aperçus que c'était un peu plus que cela.
Tel un cheval de Troie inoffensif, le feedback ouvre plein de portes en évoquant la
bienveillance ,
l’intelligence, la performance , l’innovation, l’agilité et la rapidité d’exécution.
- Stéphane Moriou : Le feedback une langue étrangère qui possède ses propres principes et règles de vocabulaire et de grammaire. Maîtriser cette langue permet d’avoir plus d’impact autour de soi.
- Selon vous, le feedback n’est pas culturel mais naturel car il fait partie des lois du vivant. Quels sont les mécanismes à l’œuvre?
- Stéphane Moriou : Le feedback est souvent considéré comme une énième mode anglo-saxonne. Il n’y a d’ailleurs pas d’équivalent en français pour le traduire. Le feedback littéralement signifie «nourrir en retour». Or, en creusant, le feedback s’inscrit dans le modèle cybernétique.
La cybernétique est un concept inventé par le mathématicien Norbert Wiener en 1948 pour illustrer la façon dont fonctionne le monde.
Il repose sur des systèmes en interaction qui échangent des informations, de l’énergie ou de la matière via des boucles de rétroactions. Ou dit autrement des boucles de feedback.
- Stéphane Moriou : On trouve des bouches de rétroactions partout dans la nature et dans notre corps. Sans elles, nous pourrions mourir beaucoup plus rapidement. Si vous touchez une plaque brûlante, une boucle de rétroaction s’enclenche pour vous signaler d’enlever votre main. Sans elle, vous finiriez avec une main brûlée.
S’il est entendu que le feedback est partout, comment l’utiliser en conscience et donner et recevoir du feedback efficacement?
Comment donner et recevoir du feedback efficacement?
Donner efficacement
- Vous évoquez les deux types de feedback que sont le feedback correctif et le feedback positif. Comment s’expriment-ils et se complètent-ils?
- SM: Le feedback positive consiste à montrer à autrui que ce qu’il fait de bien (geste, mot, comportement) pour l’encourager à le reproduire. Le feedback constructif, quant à lui, souligne ce qu’il faut corriger ou améliorer pour gagner en performance.
Parmi les techniques de feedback courantes, Stéphane Moriou met en garde contre celle du feedback sandwich. Elle consiste à glisser un message peu sympathique entre un compliment insignifiant et un encouragement positif.
- L’esprit de ces feedback repose sur l’idée que pour progresser il faut autant comprendre ce que nous faisons de bien que ce que nous devons encore améliorer. Or, nous ne verbalisons pas le premier point. Dans les entreprises et les foyers, peu de gens ont conscience de ce qu’ils font de bien car ils n’en ont aucun retour.
- Vous écrivez qu’il faut éviter l’emploi du feedback négatif, qui est de verbaliser ce qui a été mal fait. Comment communiquer sur les points d’améliorations et garder l’interlocuteur motivé?
- SM: Il est important de préciser qu’une personne sur deux déclare manquer de reconnaissance. Ce chiffre effrayant est issu de nos recherches portées sur 17 pays. Ce qui fait du manque de reconnaissance la plus répandue des psychopathologies. Pour corriger cela, il est important d’apporter davantage de feedback positif. Notamment dans notre culture française, où nous avons tendance à nous focaliser sur ce qu’il ne va pas.
- Il ne s’agit pas d’annuler le feedback négatif et de brosser tout le monde dans le sens du poil. Il s’agit d’allier les deux pour gagner en performance et en humanité.
Recevoir efficacement
- L’art du feedback consiste non pas seulement à le donner mais aussi à le demander. A ce propos vous écrivez: «je déconseille la formule suivante: «s’il te plaît, donne-moi du feedback.» Comment bien demander un feedback?
- SM: En suivant les trois conseils suivants:
- Sur un même sujet, demandez ce que vous avez fait de bien et ce que vous pourriez encore améliorer.
- Avant une réunion, un entretien ou une présentation, anticipez toujours votre demande de feedback, car il est difficile d’avoir des idées «à chaud» directement après l’évènement.
- Demandez du feedback sur des éléments très précis (votre tenue, votre façon de parler etc.) afin de bien orienter votre interlocuteur sur votre attente.
- Vous expliquez que lorsque «le feedback ne marche pas, c’est qu’il y a souvent un dysfonctionnement du réservoir à estime de soi.» Qu’est-ce que cela signifie et implique?
- SM: D’après nos recherches, seuls 4% des gens sont totalement résistants au feedback. Mais parmi les 96% restants, beaucoup montrent des résistances car leurs réservoirs à estime à s oine sont pas suffisamment remplis.
Ces résistances s’expliquent par l’accumulation de critiques et de retours négatifs, souvent entendus depuis l’école. Cela entraîne un ras-le-bol rendant hermétique à tout feedback.
- SM: Mieux se former au feedback permet, à mon sens, de mieux remplir ces réserves à estime de soi. D’autres techniques comme la communication-non-violente, ont également cette prérogative. L’esprit reste le même. Il s’agit d’apporter dans nos échanges plus d’humanité, de générosité, d’attention et d’empathie.
Pour ce faire, il convient de développer des compétences
ad hoc en feedback.
Comment développer ses compétences en feedback?
Le bon espace-temps du feedback
- Pour développer les compétences de feedback, vous expliquez que nous avons besoin d’un environnement apprenant. Qu’est-ce qu’un environnement apprenant et comment peut-on le créer en entreprise, à l’école ou chez soi?
- SM: Le sujet est vaste! Le point essentiel étant de créer un environnement où nous avons le droit à l’erreur . Il ne peut y avoir d’apprentissage sans échec. Ce qui n’implique naturellement pas un droit à la récidive.
L’environnement apprenant implique également de se séparer du
jugement, de l’évaluation et du classement. Si cette logique de compétition peut motiver une petite minorité de la population, elle inhibe la grande majorité. Cela engendre des pertes de motivation et de confiance en soi.4
- SM: Tout comme le feedback négatif, il ne faut pas supprimer la logique de compétition. Elle est très utile dans un certain nombre de cas. Il faut cependant chercher à la conjuguer avec la logique de coopération, à conjuguer la bienveillance à l’exigence, ce dont le feedback est capable.
- Vous expliquez que le feedback régulier est préférable aux entretiens annuels pour performer, mais qu’il doit être bien dosé. Comment bien choisir son timing ? Quelles erreurs faut-il éviter ?
- SM: L’entretien annuel d’évaluation, où votre prochaine promotion ou augmentation de salaire est en jeu, est le plus mauvais moment choisi pour le feedback. Pour bien choisir son timing, il faut prendre conscience des mauvais moments. Le feedback efficace réclame un temps de qualité, où les deux parties sont disposées à échanger.
- Enfin, pour savoir si c’est le bon moment, l’astuce la plus simple est demander à la personne si elle est disponible pendant 5-10minutes pour revenir sur telle présentation ou tel dossier. Si jamais, elle ne l’est pas, vous lui proposez un créneau qui lui convient dans la journée ou la semaine prochaine.
Les postures-clés d'un échange
- Vous écrivez: «Le feedback ne se réduit pas à une seule aptitude: il est composé d’un ensemble subtil de sous-compétences» quelles sont-elles ?
- SM: Parmi les sous-compétences pour donner du feedback, les plus importantes sont:
- Apprendre à être à l’écoute de soi-même et du monde. Si vous souhaitez donner de beaux feedback, il faut développer vos capacités d’observations et être attentif aux autres.
- Prendre le temps de conceptualiser et de verbaliser son feedback pour avoir un vrai impact.
- Avoir le courage de le partager et d’accepter la contradiction ou l’insensibilité de l’autre.
Pour ce qui est de recevoir du feedback, la compétence essentielle est d’être capable d’accueillir et d’entendre ce qui peut nous déranger.
- Vous partagez quelques routines feedback essentielles pour une bonne journée. Quelle est la vôtre?
- SM: Je vais vous en donner deux:
- Je commence toujours ma journée en envoyant un feedback positif à une personne rencontrée rencontré la veille. Cela me permet de commencer ma journée dans un état d’esprit positif.
- J’ai appris avec le temps à accepter les feedbacks correctifs auxquels je ne croyais pas. Instinctivement, je refusais d’entendre certains feedbacks. Puis, je me suis rendu des avantages à agir différemment. D’une part, je montre de la considération envers mes interlocuteurs. D’autre part, cela me permet de sortir de ma zone de confort en plus de gagner de nouvelles bonnes idées.
Si le feedback s’apparente à un art relationnel, réussira-t-il pour autant à se faire reconnaître comme tel et à survivre aux effets de mode?
Le feedback survivra-t-il aux effets de mode?
l'art de la conversation, un outil d’avenir
- Vous écrivez: «j’aurais pu croire que le feedback était une simple mode. J’ai compris qu’il était le symptôme d’’une nouvelle autorité en train de se dessiner.» Quelle est cette nouvelle autorité?
- SM: Nous vivons une révolution des autorités depuis globalement la Seconde Guerre mondiale. Depuis 30 000 ans, nous ne connaissions que l’autorité par soumission qui repose sur le duo peur/admiration. Cette forme d’autorité fonctionne très bien dans un monde où les contraintes sont à très court-terme. Elle est aujourd’hui contestée et nous pouvons l’observer tous les jours. Toutes les formes d’autorités (religieuses, syndicales, managériales, scientifiques) sont remises en cause en permanence.
Une nouvelle forme d’autorité, radicalement différente de la première, a vu le jour: l’autorité par engagement. Ce deux autorités ne se comprennent pas encore. Pour les uns, le leader est faible, pour les autres, le leader est un fou furieux.
- SM: Pour être réellement efficace, nos travaux ont démontré qu’il va falloir créer un nouveau paradigme d’autorité en conjuguant et hydratant ces deux formes d'autorité opposées. Le feedback correspond à ce besoin d’équilibre.
- Vous expliquez qu’il est possible de faire de la performance sans feedback, mais qu’il est absolument impossible de faire de la haute performance sans feedback. En quoi le feedback est-il un atout pour surperformer?
- SM: La capacité à partager du feedback sur un micro-détail et à l’accueillir sans égo modifie immédiatement la performance. Elle est sublimée. Je l’ai constaté dans les entreprises et sur la scène. En assistant à un coaching d’une chanteuse lyrique anglaise avec un grand pianiste, ce dernier lui a demander de modifier son si bémol. Pour une oreille novice, ce changement est un détail. Pourtant, la chanteuse a accepté le feedback et s’est ajustée immédiatement. C’était magique à voir.
Les techniques évoluent, l’intention du feedback demeure
- Il y a beaucoup de phrases brillantes dans votre livre dont l’une qui m'a particulièrement touché: «Le courage ne consiste pas à dire tout ce que l'on pense, il consiste à penser tout ce que l'on dit.»
- SM: Certains ont la conviction intime qu’il est bon de toujours dit ce que l’on pense. Or, c’est faux, cela crée beaucoup de conflits et de tensions. A mon sens, communiquer consiste à réduire la distance naturelle qui nous sépare de l’autre. Il ne s’agit pas d’être contre la liberté d’expression, mais de s’interroger sur le bienfondé de nos propos. Sont-ils constructifs? Vont-ils augmenter ou réduire la distance entre nous?
- Le feedback donné aux collaborateurs est-il le même de celui donné aux enfants ou y a-t-il des différences?
- SM: Même si les collaborateurs ne sont pas des enfants et inversement, les techniques et l’intention du feedback restent les mêmes. Il doit être utilisé pour faire grandir les personnes et nos proches. Le feedback est un bel outil pour donner confiance aux autres et renforcer la relation de confiance.
Communiquer n’est pas facile…Comme l’avait malicieusement écrit Bernard Werber:
«Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous entendez, ce que vous comprenez... il y a dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même…»
Effectivement, essayons.
D’une part, parce que le verbe est ce qui nous distingue vraiment du reste du vivant. Il est notre singularité. Notre sacerdoce. Le premier contributeur de notre génie et de notre puissance.
D’autre part, il serait dommage de ne pas connaître ces moments de grâce faisant que «quelques mots plein de lumière peuvent changer un destin» dixit Stéphane Moriou.
Propos de Stéphane Moriou recueillis par Amal Dadolle