Jeunesse radicalisée : comment se nourrit leur haine ?
Publié le 22/08/2018, mis à jour le 05/11/2024
Connaissance de soi
Jeunesse radicalisée : comment se nourrit leur haine ?
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À une époque marquée par les divisions sociales et les tensions identitaires, une partie de la jeunesse se détourne des voies classiques et choisit des sentiers plus radicaux, que ce soit à travers l’islam radical ou le populisme. Les faits parlent d’eux-mêmes : en France, le Front National (FN) est devenu le premier parti chez les jeunes votants, tandis que des groupes djihadistes comme Daesh recrutent activement des jeunes de 17 à 28 ans. Ce phénomène, à la croisée du religieux et du politique, suscite de nombreuses questions : qu’est-ce qui pousse ces jeunes vers la radicalité ? Quelles sont leurs motivations profondes ?
Pour mieux comprendre ces choix radicaux, des spécialistes se penchent sur leur enfance, leur contexte familial et leur environnement. Pourtant, selon Hélène L’Heuillet, psychanalyste et maître de conférences à Paris-Sorbonne, limiter l’analyse au parcours individuel ne suffit pas. Le phénomène de radicalisation est plus complexe : il nécessite également une réflexion sur la société elle-même, qui, selon elle, nourrit cette haine.
Pourquoi tant de haine ?
À travers ses recherches, Hélène L’Heuillet a constaté un langage commun, qu’il s’agisse des discours djihadistes ou populistes : celui de la haine. Mais comment cette haine s’exprime-t-elle, et surtout, d’où provient-elle ? Pour L’Heuillet, les motivations de cette jeunesse radicalisée ne sont pas véritablement politiques ou religieuses, malgré les revendications apparentes. Ce qui les guide, c’est avant tout une rage de destruction : ils veulent tout démolir, souvent sans avoir de projet de reconstruction.
Jeunesse djihadiste ou populiste : le choix commun de la destruction
Depuis toujours, la jeunesse est attirée par des idéologies extrêmes, mais la spécificité de la radicalisation actuelle réside dans son caractère destructeur. Selon Hélène L’Heuillet, cette radicalité n’est pas motivée par le désir de construire un nouvel ordre, mais par celui d’anéantir ce qui existe. Ce basculement, du refus d’un modèle vers la haine pure de ce modèle, est ce qui unit les jeunes djihadistes et populistes. Leur but n’est pas de transformer la société mais de la voir mourir.
La haine est ainsi pleinement assumée par ces jeunes, bien que ses manifestations varient : pour les djihadistes, elle se traduit par la violence physique, tandis que pour les populistes, elle s’exprime à travers un discours corrosif. Mais dans les deux cas, il s’agit d’un rejet absolu d’un système perçu comme oppresseur, voire maléfique. Cette haine devient un « vœu de mort », une rébellion qui ne cherche pas à négocier ou à composer, mais à éradiquer.
« Si le populisme est un double grimaçant de la démocratie, c’est que, de la démocratie, il critique une forme particulière, la forme représentative de la démocratie moderne. C’est la représentation politique qui est considérée comme responsable de la spoliation du pouvoir qui revient légitimement au peuple. » — Hélène L’Heuillet
Les partisans de Daesh partagent ce même rejet des valeurs occidentales et du système démocratique, qu’ils considèrent comme hypocrites et corrompus. Ce désir de destruction est au cœur de leur discours, tout comme celui des populistes, qui voient dans les élites politiques la cause des maux de la société.
Le déclinisme : un discours qui alimente la haine
Hélène L’Heuillet constate que les discours de fin du monde portés par cette jeunesse radicalisée trouvent un écho dans les propos de leurs aînés, à travers un discours décliniste très présent dans les médias. Ce discours, marqué par l’idée que la France et le monde sont en déclin, exprime une forme de haine voilée : celle d’une génération qui voit la fin de tout et ne croit plus en l’avenir.
Le déclinisme : un autre discours de haine
Les générations plus âgées véhiculent une vision sombre de la société, affirmant que la France est en perdition, que les valeurs s’effondrent, et que la jeunesse est condamnée à vivre dans un monde ruiné. Ces discours déclinistes sont empreints de pessimisme et de rancœur, et reviennent à dire : « après moi le déluge ». Facile à affirmer lorsqu’on a 60 ou 70 ans, mais difficile à accepter pour une jeunesse qui rêve d’avenir et de progrès.
Ce discours ne se contente pas de condamner l’état du pays ou du monde ; il vise également la jeunesse, accusée d’être « trop gâtée », d’avoir grandi dans un environnement d’« enfant-roi », sans mérite ni engagement. En somme, cette jeunesse serait responsable de la dégradation de la société, mais paradoxalement, elle ne mérite rien en retour. Derrière cette critique se cache une forme de haine envers la jeunesse elle-même, perçue comme incapable de reprendre le flambeau.
« Aux tentations radicales de la partie de la jeunesse qui veut tout détruire, semblent correspondre les tentations radicales de la vieillesse qui dénigre tout sans rien vouloir assumer. » — Hélène L’Heuillet
Ainsi, les discours de haine ne viennent pas uniquement des jeunes radicalisés : ils sont également portés par les générations plus âgées, qui, par leurs propos pessimistes, nourrissent un climat de désespoir.
La haine : un sentiment autodestructeur
La haine, explique Hélène L’Heuillet, ne peut s’inscrire durablement dans le temps. Les régimes fondés sur des discours haineux finissent par s’autodétruire. Elle cite des exemples historiques, comme la Première République française ou le Troisième Reich, qui, après avoir instauré des régimes de terreur, se sont effondrés sous le poids de leur propre violence. Mais alors, comment contrer cette haine qui semble envahir les esprits ?
Pour Hélène L’Heuillet, la réponse réside dans un retour à la connaissance de soi. « Tout le problème vient précisément de ce que l’on projette sur l’autre la haine de soi-même », dit-elle. Pour dépasser ce sentiment, il faut commencer par se traiter soi-même comme un autre, en respectant cette part d’altérité qui existe en chacun de nous. Cette démarche de connaissance de soi permet de pacifier les esprits et d’ouvrir un espace de dialogue.
Apprendre à se comprendre pour mieux comprendre les autres
La haine que l’on porte à l’autre n’est souvent qu’une projection de ses propres frustrations, peurs, ou insécurités. En reconnaissant en soi cette part d’ombre, on peut apprendre à appréhender l’autre de manière plus sereine. Hélène L’Heuillet appelle à un retour au « connais-toi toi-même » du Temple de Delphes, une invitation à la réflexion intérieure pour construire un rapport pacifié avec le monde.
« Il vaudrait mieux commencer par se traiter soi même comme un autre, respecter la part d’altérité qu’on porte en soi, qui est source du langage et du désir, et à ce titre, seule pacifiante. » — Hélène L’Heuillet
Une sagesse ancienne : chacun porte en lui sa vision du monde
Pour illustrer cette idée, Hélène L’Heuillet rappelle un conte soufi qui montre comment notre perception du monde dépend de notre état intérieur.
Le conte du vieil homme et des voyageurs
Un vieil homme était assis à l’entrée d’une ville lorsqu’un voyageur s’approcha de lui et demanda : « Je ne suis jamais venu ici. Comment sont les gens dans cette ville ? » Le vieil homme répondit par une question : « Comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ? » Le jeune homme répondit : « Égoïstes et méchants. C’est pourquoi j’étais content de partir. » Le vieillard lui dit alors : « Tu trouveras les mêmes gens ici. »? » Le jeune homme répondit : « Ils étaient aimables et accueillants. J’ai eu du mal à les quitter. » Le vieillard répondit alors : « Tu trouveras ici les mêmes. »
Un passant, qui avait tout entendu, demanda au vieil homme pourquoi il avait donné deux réponses différentes. Ce dernier répondit : « Chacun porte en lui sa vision du monde. Et celui qui ouvre son cœur change aussi son regard sur les autres. »
Ce conte rappelle que notre perception des autres dépend de ce que nous portons en nous. Si nous cultivons la haine, nous voyons le monde comme un lieu hostile. En revanche, si nous ouvrons notre cœur, nous trouvons des qualités dans chaque personne. Cette sagesse ancienne est une leçon pour ceux qui se laissent envahir par la haine : le changement commence par soi.
Conclusion : faire face à la haine par la connaissance de soi
La radicalisation de la jeunesse, qu’elle soit djihadiste ou populiste, est nourrie par un sentiment de rejet et de désespoir. Mais derrière cette haine se cachent souvent des frustrations et des blessures intérieures qui, si elles étaient reconnues, pourraient ouvrir la voie à la réconciliation. La haine est un poison pour la société, mais aussi pour ceux qui la ressentent.
Hélène L’Heuillet, en appelant à une introspection, nous invite à dépasser la tentation de la destruction pour renouer avec un rapport pacifié à soi-même et aux autres. La haine ne résiste pas à la lumière de la connaissance de soi, et il est essentiel de se rappeler que chacun porte en lui sa vision du monde. Se connaître soi-même est le premier pas pour transformer la société dans un esprit de respect et de dialogue.
Pour aller plus loin : Hélène L’Heuillet, « Tu haïras ton prochain comme toi-même », Albin Michel, 2017
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