Quelles sont les limites et les dérives de l’éducation positive?
Publié le 24/05/2023, mis à jour le 02/12/2024
Développement & éducation des enfants
Quelles sont les limites et les dérives de l’éducation positive?
11 min de lecture
Quel est le paradoxe de l’éducation positive à la française?
L’éducation positive rend malheureux
L’éducation positive, aussi appelée éducation bienveillante, s’est construite sur une belle et simple théorie. Ce n’est que dans l’amour et dans l’échange d’égal à égal entre parent et enfant que ce dernier peut devenir un adulte épanoui et responsable.
Cette éducation a séduit (et continue de séduire) beaucoup de parents.
Un charme qui se comprend aisément au regard de l’éducation autoritaire, «à l’ancienne», que ces parents ont connu durant leur enfance.
Une éducation au mieux lacunaire sur le plan affectif, au pire violente et maltraitante. L’enfant était sommé d’obéir et de faire le moins de bruit possible pour ne pas déranger les adultes.
Pour autant, si l’éducation à l’ancienne est à proscrire, est-ce que sa parfaite antithèse, l’éducation positive, est-elle totalement louable?
La réponse est non selon Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien, psychothérapeute et auteur de référence sur l’éducation des enfants.
Alors que son but est de faire s’épanouir l’enfant dans le bonheur, celui-ci ne devient pas forcément un adulte heureux. Et il devient encore moins un adulte responsable et respectueux des autres.
En fait, l’éducation positive tend à créer des enfants-rois qui évoluent en ados tyranniques pour finalement devenir des adultes égocentriques et parfaitement détestables.
Quant aux parents, l’éducation positive donnée à leurs enfants les épuise et peut même les rendre malheureux.
La particularité de l’éducation positive à la française
Affirmer que l’éducation positive vend un faux bonheur revient à tendre un bâton pour se faire battre.
Nous avons pu l’observer avec Caroline Goldman, psychothérapeute et docteur en psychopathologie, dont l’ouvrage «File dans ta chambre» a crée de nombreux remous.
Avant de dévoiler les arguments de Didier Pleux (qui rejoignent ceux de Caroline Goldman), il nous semble donc judicieux de commencer par évoquer un pan de son parcours.
L’homme est en effet dénoncé par ses pairs (naturellement partisans de l’éducation positive) comme étant un réactionnaire nostalgique de l’éducation à l’ancienne. Ce qui est assez ironique.
Didier Pleux a été l’un des premiers à faire connaitre en France l’éducation positive à travers le programme Triple P, Positive Parenting Program, du professeur australien Matt Sanders.
Le but ce programme est de construire et renforcer l’estime et la confiance en soi de l’enfant tout en le préparant à la confrontation avec le réel.
Le réel étant que la vie peut se montrer injuste et cruelle. Que nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours et que nous en sommes encore moins le nombril.
Or, l’éducation positive telle que nous la connaissons ne prépare pas les enfants aux contraintes du réel.
La raison étant qu’elle a été mâtinée de la pensée de Françoise Dolto. Et notamment de son principe phare voulant que les enfants n’aient que des droits et les parents que des devoirs.
L’idée sous-jacente étant de leur épargner des blessures d’enfance vectrices de mal-être et de névroses. Une position qui est non seulement irrationnelle, mais qui surtout dessert les enfants.
Comment l’éducation positive dessert-elle les enfants?
L’enfant-roi ou l’égo hypertrophié
Avec Isabelle Filliozat, la pédiatre Catherine Gueguen est l’une des auteures phares de l’éducation positive.
Parmi ses positions, Gueguen affirme que l’enfant roi est le produit d’une éducation excessivement autoritaire.
Or, selon Didier Pleux, les foyers maltraitants engendrent plutôt des enfants soumis et étouffés dans leur personnalité. Certains deviennent des rebelles, mais beaucoup s’éteignent et deviennent des «murs».
Seule l’éducation positive engendre des enfants-rois. C’est le cocktail d’une éducation basée sur l’absence de toute frustration couplée à une survalorisation de l’enfant.
Mais ce cocktail est justifié par des études en neurosciences ayant démontré que les conflits provoquaient des dommages neuronaux collatéraux.
Or, c’est une lecture un peu rapide. Ce qui provoque des dommages neuronaux, ce sont les maltraitances quotidiennes portées sur des années ou un traumatisme conséquent (type viol). En aucun cas, les conflits ponctuels n’endommagent quoi que ce soit.
Ils sont même doublement nécessaires.
Tout d’abord, selon les travaux d’Antonio Damasio, quand un conflit s’enclenche, le cerveau de l’enfant reçoit de nouvelles données. Celles-ci conduisent à un nouvel agencement neuronal qui vient réguler les émotions et les comportements.
Ensuite, ce n’est pas le contentement qui nous donne le désir de vivre mais le manque et la frustration. Ce sont ces ingrédients qui cultivent notre goût de l’effort et sont à la base de nos rêves et de nos ambitions.
Moins un enfant est confronté aux frustrations, plus il a de grandes chances de se centrer sur sa petite personne et son petit plaisir immédiat.
Sûr de sa valeur et de son bon droit, il sera incapable de faire preuve d’empathie et aura tendance à chosifier les autres. Autrement dit, tout ne sera que calcul. Son entourage n’aura de valeur que s’ils répondent à ses attentes et ses exigences.
Une vulnérabilité existentielle à venir
Les principes de l’éducation positive consacrés à l’enfant ne changent guère pour l’adolescent.
Si on analyse les thèses d’Isabelle Filliozat, l’ado n’est responsable de rien.
La recherche du plaisir à tout crin, les colères, la paresse et l’insolence ne sont que la conséquence de son immaturité neuronale et de ses hormones. Vous ne pouvez rien faire d’autre que de l’accompagner dans la bienveillance et l’empathie.
Ce qui est totalement absurde pour Didier Pleux.
Plus que jamais, le parent doit intervenir et aider son ado à ne pas se laisser contrôler par son cerveau et à réguler ses comportements.
C’est de cette façon que l’ado évitera de tomber dans le circuit addictif du plaisir immédiat et d’être armé face aux aléas de la vie.
Le cocooning parental et la surprotection fragilisent l’adolescent dans sa capacité à pouvoir répondre et encaisser un échec relationnel, sentimental, scolaire ou professionnel.
Et même s’ils chutent, leur égo hypertrophié les empêche de se remettre en question et de se responsabiliser. Tout ce qui leur arrive de négatif est systématiquement la faute des autres ou celle d’un environnement dysfonctionnel.
Au fond, être protégé de toute frustration durant sa jeunesse revient peu ou prou à grandir dans un milieu stérilisé. On se construit un microbiote et un système immunitaire fragiles qui se font tuer par le premier microbe venu.
C’est pourquoi, pour le bien des enfants, il importe que les parents puissent entendre que le manque d’éducation à la frustration est aussi nuisible que le manque d’amour. Cela suppose de cultiver la bonne posture, qui est celle de la bonne autorité.
Comment s’instaure une bonne autorité?
Oublier la quête du sens pour retrouver le bon sens
L’un des grands torts de l’éducation positive est d’avoir désarmé les parents en leur assénant des éléments d’études psychologiques sans leur fournir de solutions.
Parmi ces éléments, le plus fameux d’entre eux étant: «si le parent est lui aussi porteur d'émotions négatives face au comportement de son enfant, c'est que son histoire, son passé d'enfant resurgit.»
Il est reconnu que beaucoup de nos attitudes parentales sont issues de notre passé. C’est pourquoi il est difficile d’avoir la bonne distance avec son enfant. Et c’est ce qui explique aussi pourquoi il est important de ne pas tout mélanger en effectuant un travail cognitif.
Ce travail consiste à penser sa vie, ses ressentiments et ses joies pour en faire une synthèse réfléchie et rationnelle. De cette façon, on est moins soumis à nos émotions devant le comportement de nos enfants.
L’éducation positive, au contraire, encourage le parent à entrer en empathie avec son enfant pour comprendre ses ressentis. Ce glissement émotionnel réveille des cicatrices ou des carences affectives qui viennent submerger le parent et l’empêcher de faire preuve de bon sens.
Didier Pleux raconte qu’une patiente appelée Diane se trouve désemparée devant le refus catégorique de son fils de s’impliquer à l’école. Elle dit avoir du mal à le raisonner car cela lui rappelle ses propres conflits d’enfance avec sa mère.
Cette mère se montrait excessivement exigeante avec Diane, au point de la terroriser et de la dégoûter de l’école. Or, elle a l’impression que la situation se répète.
Seulement, il n’en est rien. Si la petite Diane avait besoin de sécurité et d’affection, son fils, lui, a besoin d’être cadré. Un précepte qui n’est pas au goût de l’éducation positive.
Le retour des bons vieux cadres
Selon Françoise Dolto, pour qu’un enfant s’épanouisse, il ne doit être soumis et conditionné par aucun cadre.
Dans son ouvrage Les étapes majeures de l’enfance, la pédiatre écrit:
«Nous imposons [à l’enfant] de bonnes habitudes qui sont seulement des violences faites à sa liberté de vivre.»
L’éducation positive actuelle ne s’est pas éloignée de ce principe.
Toutefois, la théorie de Dolto et de ses héritiers n’a pas que des adhérents. Des travaux issus du professeur de psychologie de l’éducation, M. Bernard, ont démontré tout l’inverse.
Les habitudes forgent les caractères et les mœurs. Se laver, se brosser les dents, aller à l’école, au sport, au travail etc. Ce sont des activités pas toujours plaisantes mais si nous y allons, c’est parce que nous avons forgé des habitudes. Si nous ne comptions que sur notre motivation, nous serions nombreux à rester au lit.
Instaurer des règles de vie (habitudes) non négociables n’est pas faire de l’autoritarisme mais faire preuve d’autorité.
Dans le premier cas, on agresse, on détruit, on ignore les difficultés. Dans le second cas, on accompagne, on enseigne, parfois on impose, on interdit ou on a recourt à la sanction.
La bonne autorité est celle qui sait respecter l’équilibre entre l’amour et la frustration.
Et si jamais il est trop tard, si les parents sont débordés par un Néron de 15 ans ancré dans ses habitudes addictives et sa désertion scolaire, il n’y a qu’une seule solution. Celle de la rupture relationnelle provisoire.
Cela implique de contacter l’assistance sociale et de faire appel à un juge des enfants pour envoyer l’ado dans une famille d’accueil. C’est dur et la majorité des parents refusent de passer à l’acte.
Pour éviter ce douloureux écueil, Didier Pleux rappelle les trois principes d’une éducation rationnelle.
Quels sont les principes d’une éducation rationnelle?
Les trois acceptations de l’éducation rationnelle
L’éducation rationnelle entend équilibrer le principe de plaisir avec celui des réalités en aidant l’enfant à construire trois acceptations :
L’acceptation inconditionnelle de soi
C’est-à-dire de sa singularité, de ses potentiels, de ses talents ainsi que de ses déficits et de ses manques.
Le parent aura à cœur de sécuriser l’estime de soi et la confiance en soi de l’enfant en valorisant ses atouts. Mais également en lui faisant travailler ses lacunes.
L’acceptation inconditionnelle des autres
S’il est vrai que chez les enfants les plus anxieux (et donc les plus sensibles au regard de l’autre), l’empathie est une qualité naturelle, c’est loin d’être la norme. Et certainement pas chez les enfants intrépides.
Si leur empathie est peut-être présente durant leurs tous premiers mois, elle s’efface vite devant l’ivresse de la volonté de puissance. En clair, l’empathie, le sentiment d’autrui ne sont pas innés, ils s’acquièrent.
L’acceptation inconditionnelle du réel qui est le difficile apprentissage de la tolérance aux frustrations
Il s’agit ni plus ni moins que de domestiquer sa nature biologique. Celle qui nous pousse à vouloir assouvir nos désirs immédiatement et à tout prix. Le rôle des parents est ici essentiel, car sans eux, l’enfant est incapable de développer seul cette tolérance. C’est-à-dire de s’habituer à fournir des efforts et à ajuster ses désirs en fonction de la réalité.
Ce n’est qu’avec ces trois acceptations que l’on peut (espérer) voir grandir en maturité et en sérénité un futur jeune adulte responsable.
La mesure d’une éducation réussie
Arrivé à la fin de cette chronique, il convient d’apporter deux précisions.
Il ne serait pas surprenant que l’essai de Didier Pleux soit comparé à un règlement de compte. Il s’en défend pourtant en partageant cette conviction suivante:
Tout ce qui est dit dans les livres sur l’éducation positive n’a pas à être jeté, mais doit être sérieusement nuancé. Ce qui implique de ne pas ériger ces théories en dogmes.
La parentalité est un art délicat. Et pour savoir si nous faisons bonne route, complétons par une pensée de la très célèbre Maria Montessori:
«: le paradoxe de l'éducation positive à la française
Qu'est-ce que l'éducation positive ?
L'éducation positive, aussi appelée éducation bienveillante, est une approche qui met l'accent sur l'épanouissement de l'enfant à travers un échange d'égal à égal avec les parents. Son but est de créer un environnement aimant où l'enfant peut devenir un adulte heureux et responsable.
L'éducation positive est populaire parce qu'elle se présente comme une alternative à l'éducation autoritaire traditionnelle, souvent jugée trop sévère et émotionnellement distante. De nombreux parents l'adoptent pour éviter de reproduire les erreurs de leurs propres éducations marquées par des pratiques plus rigides et parfois violentes.
L'éducation positive a-t-elle des limites ?
Oui, selon certains experts comme Didier Pleux, l'éducation positive a des limites. Bien qu'elle cherche à promouvoir l'épanouissement de l'enfant, elle peut parfois conduire à des résultats négatifs, comme la création d'enfants-rois qui, en grandissant, deviennent des adultes égocentriques et peu respectueux des autres.
Comment l'éducation positive rend-elle certains parents malheureux ?
L'éducation positive peut épuiser les parents. Elle exige souvent des efforts intenses pour éviter les conflits et répondre aux besoins émotionnels de l'enfant en permanence. Ce niveau de dévouement peut entraîner de la fatigue, de la frustration et un sentiment de malheur chez les parents qui ont du mal à trouver un équilibre entre leurs propres besoins et ceux de leurs enfants.
Quelle est la particularité de l'éducation positive à la française ?
En France, l'éducation positive a été influencée par des penseurs comme Françoise Dolto, qui prônait l'idée que les enfants ont principalement des droits tandis que les parents ont des devoirs. Cela a conduit à une version de l'éducation positive qui, selon certains critiques, n'apprend pas aux enfants à gérer la réalité de la vie, notamment les frustrations et les limites.
En quoi l'éducation positive peut-elle être nuisible pour les enfants ?
L'éducation positive, lorsqu'elle est mal appliquée, peut créer des enfants qui ne connaissent pas la frustration ni les limites. Cela peut conduire à un "enfant-roi" : un enfant trop sûr de lui, égocentrique et incapable de gérer les frustrations de la vie. À l'adolescence, ce comportement peut se transformer en une incapacité à faire face aux échecs ou à prendre des responsabilités.
Qu'est-ce qu'un enfant-roi ?
Un enfant-roi est un enfant dont l'éducation repose sur une absence de frustration et une survalorisation de sa personne. En grandissant, cet enfant devient souvent égocentrique, incapable d'empathie et voit les autres comme des outils pour répondre à ses propres besoins.
Comment l'éducation positive peut-elle fragiliser les adolescents ?
L'éducation positive, en se concentrant uniquement sur la bienveillance et en évitant les conflits, peut rendre les adolescents vulnérables face aux échecs scolaires, relationnels ou professionnels. Ils peuvent avoir du mal à se responsabiliser et à faire face aux réalités du monde adulte.
Pourquoi l'absence de frustration est-elle un problème dans l'éducation ?
L'absence de frustration empêche les enfants d'apprendre à faire des efforts, à persévérer et à ajuster leurs désirs en fonction de la réalité. Cela peut les rendre incapables de gérer les défis de la vie, car ils n'ont pas été préparés à faire face aux contraintes de la réalité.
Que recommande Didier Pleux pour une éducation réussie ?
Didier Pleux recommande une éducation équilibrée qui allie amour et frustration. Selon lui, les enfants doivent être préparés à la réalité de la vie, et cela passe par l'apprentissage de la tolérance aux frustrations et par l'acceptation de soi, des autres et du monde réel.
Quel est le rôle de la frustration dans le développement de l'enfant ?
La frustration aide les enfants à développer leur résilience et leur capacité à faire face aux défis. Elle leur apprend que tout ne peut pas toujours se passer comme ils le souhaitent et les prépare à la réalité de la vie adulte.
L'éducation positive est-elle totalement à rejeter ?
Non, Didier Pleux ne rejette pas entièrement l'éducation positive. Il souligne simplement que ses principes doivent être nuancés et adaptés à la réalité. Il est important de ne pas transformer ces théories en dogmes rigides et de trouver un équilibre entre bienveillance et autorité.
Quelle est la solution si l'éducation positive ne fonctionne pas avec un adolescent ?
Si un adolescent devient ingérable, Didier Pleux recommande parfois des solutions extrêmes comme le placement temporaire en famille d'accueil via un juge des enfants. Cette option est difficile à accepter pour de nombreux parents, mais elle peut être nécessaire dans certains cas pour redresser la situation.
Qu'est-ce que l'éducation rationnelle proposée par Didier Pleux ?
L'éducation rationnelle cherche à équilibrer le plaisir et la réalité. Elle aide les enfants à accepter trois principes fondamentaux :
L'acceptation inconditionnelle de soi : connaître et accepter ses forces et ses faiblesses.
L'acceptation inconditionnelle des autres : apprendre à comprendre et respecter les autres.
L'acceptation inconditionnelle du réel : apprendre à tolérer les frustrations et à ajuster ses désirs en fonction de la réalité.
Comment mesurer la réussite d'une éducation ?
Selon Maria Montessori, la réussite d'une éducation peut se mesurer au niveau de bonheur de l'enfant. Il est important que l'enfant grandisse dans un environnement qui lui permet d'être épanoui, tout en étant préparé aux réalités de la vie adulte.