Les études ont révélé une augmentation significative des cas de dépression et d’anxiété, soulignant une urgence de santé publique souvent sous-estimée.
Néanmoins, cette période a aussi mis en évidence la résilience humaine, de nombreuses personnes ayant trouvé des ressources pour surmonter ce défi.
Face à ces constats, plusieurs questions émergent:
Comment la crise a-t-elle mis en lumière l’importance de la résilience, de la solidarité et la valorisation des aspects culturels et naturels de la vie?
Comment une vision globale de la santé, incluant les dimensions environnementales, animales et humaines, peut-elle façonner un avenir meilleur?
En quoi diminuer la consommation d’écrans et les activités physiques et culturelles peuvent-elles améliorer notre mode de vie?
Questions auxquelles répond l’ouvrage de Nicolas Franck et Frédéric Haesebaert, Protéger sa santé mentale après la crise (Odile Jacob).
Nicolas Franck, est médecin psychiatre, chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier et enseignant à l’université Claude-Bernard de Lyon. Il est, également, l’auteur des ouvrages La Schizophrénie, Entraînez et préservez votre cerveau, et Covid-19 et détresse psychologique.
Frédéric Haesebaert, quant à lui, est psychiatre, docteur en neurosciences et chef de service au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon. Il se distingue par une approche thérapeutique innovante, intégrant la nature dans les soins destinés aux jeunes adultes atteints de troubles mentaux.
Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté la santé mentale de tous?
Nicolas Franck : Le monde a subi des changements profonds depuis la pandémie. Il est devenu un lieu où la distanciation entre les individus a été abolie après avoir été largement employée et où et le productivisme est redevenu omniprésent. Cette réalité est quelque peu déprimante car nous ne sommes pas revenus à l'avant-crise. Les crises continuent d’ailleurs de se succéder et de s'entremêler, créant une période prolongée de stress et d'angoisse.
Pourquoi avez-vous écrit ce livre à quatre mains ?
Nicolas Franck : Dans mon précédent ouvrage, nous avions identifié deux facteurs clés de protection de la santé mentale: les contacts sociaux via les écrans et l'accès à la nature. Nous avons souhaité explorer ces thèmes sur une période plus longue, environ trois à quatre ans, pour comprendre leur impact à long terme.
Frédéric Haesebaert: Ce qui m'a personnellement incité à co-écrire ce livre avec Nicolas, c'est notre intérêt commun pour la psychologie positive et les stratégies de protection de la santé mentale. Le rôle de la nature dans le bien-être mental, particulièrement mis en évidence pendant la pandémie, a été un sujet de réflexion majeur pour nous.
Nicolas Franck: Avant la crise, en tant que psychiatres, notre travail se concentrait principalement sur l'aide aux personnes avec des troubles mentaux souvent graves. La pandémie a changé la donne, affectant le bien-être de toute la population et mettant en lumière l'importance de la santé mentale. Cela m'a amené à m'orienter davantage vers la prévention et à m'ouvrir aux travaux de santé publique, un domaine que je n'avais pas vraiment exploré auparavant. Depuis mars 2020, je me suis investi dans cette nouvelle approche, visant à prévenir la dégradation de la santé mentale et à faciliter l'accès aux soins pour tous.
Les répercussions psychologiques de la crise covid-19
Comment la crise a-t-elle influencé les troubles de santé mentale existants et quels nouveaux troubles sont apparus?
Frédéric Haesebaert: La crise a exacerbé les troubles de santé mentale existants. La rupture des contacts sociaux et des déplacements a engendré un stress important. Nous avons observé une augmentation des troubles anxieux et dépressifs, ainsi que l'émergence de troubles comme la peur des maladies et l'écoanxiété.
Nicolas Franck: Le stress intense de ce changement a révélé la fragilité psychique de chacun. Au printemps 2020, nous avons vu une hausse des troubles anxieux et dépressifs. Les personnes déjà vulnérables, comme celles souffrant de troubles psychotiques ou alimentaires, ont vu leur situation s'aggraver. L'augmentation des addictions comme moyen de soulager l'anxiété a également été notable.
FH:Le stress affecte différemment selon l'âge et le contexte individuel. Les jeunes, notamment les étudiants, ont été durement touchés, avec une hausse des consultations pour des idées suicidaires.
Quels facteurs expliquent les différentes expériences de la pandémie?
NF: Cela dépend des circonstances personnelles et de la capacité individuelle à adapter son quotidien. Certains, plus résilients, ont trouvé des aspects positifs dans l'isolement ou les interactions à distance. D'autres, moins flexibles, ont eu du mal à s'ajuster.
FH: Les facteurs socio-économiques sont aussi déterminants. Les personnes en milieu rural avec des espaces extérieurs, par exemple, se sont mieux adaptées, contrairement à ceux confinés dans des petits espaces urbains.
NF: À l'automne 2020, la prolongation de la crise a été particulièrement éprouvante. Les étudiants ont subi un désespoir accru, lié à l'isolement et à l'incertitude de leur avenir. Les jeunes en phase de développement ont été affectés, alors que les aînés, malgré un risque accru, ont semblé mieux faire face.
Dans ce contexte inédit, les écrans ont pris une place centrale, à la croisée des chemins entre isolement et connexion.
Quel a été l'impact des écrans sur la santé mentale pendant la pandémie?
Les écrans durant la pandémie: un double tranchant
Comment les écrans ont-ils influencé la santé mentale des individus durant la pandémie?
NF: Pendant le confinement de 2020, les écrans ont préservé les liens sociaux, mais leur utilisation excessive est problématique. Il faut trouver un équilibre. Malgré la prédominance des interactions en ligne en 2020-2021, la transition post-pandémique nécessite de favoriser les rencontres en personne.
FH: L'abus d'écrans a exposé les gens à un flux continu d'informations négatives. Pendant le confinement, l'usage incontrôlé des réseaux sociaux est devenu courant rendant difficile la gestion du temps d'écran. Cette surutilisation peut conduire à des comportements difficilement maîtrisables, alimentés par la quête de gratifications instantanées.
NF: De plus, le télétravail à plein temps pendant la pandémie a favorisé les confusions entre vie professionnelle et vie personnelle, provoquant une montée inattendue du burn-out à la fin du confinement. Ce phénomène m’a étonné et nécessite une attention particulière.
Vous mentionnez une étude qui examine les impacts de l'exposition aux écrans sur la structure cérébrale des adolescents. Vous soulignez également que ces effets varient d'un individu à l'autre. De quelle manière les écrans modifient-ils la structure cérébrale et comment expliquez les différences entre individus ?
NF:La plasticité cérébrale signifie que la structure du cerveau se renforce lorsqu'une zone est fréquemment utilisée, mais qu’elle peut aussi s'affaiblir en cas de sous-utilisation. Les effets des écrans varient selon les études, pouvant causer de l'anxiété ou avoir des bénéfices comme l'amélioration des capacités visuo-spatiales. L'impact dépend de l'usage, de l'intensité et de la connexion avec le monde réel.
FH: La plasticité cérébrale favorise l'adaptation, mais elle peut poser problème lors d'activités répétitives. Cela ressemble à l'impact des gestes répétitifs sur nos articulations. Limiter notre traitement de l'information à la simple navigation sur un écran entraîne une adaptation à la simplicité, compliquant le passage à des méthodes plus complexes.
Éducation numérique: naviguer entre écrans et vie réelle
Quels conseils donneriez-vous aux parents dépassés par leurs enfants ou leurs adolescents accros aux écrans?
NF: Avec de jeunes enfants, une approche directive peut être efficace, tandis qu'avec les adolescents, il vaut mieux éviter les règles strictes et favoriser la sensibilisation aux dangers des écrans. Les parents devraient donner l'exemple en utilisant les écrans de manière équilibrée. Rebondir après une épreuve difficile demande du temps et des ressources. Selon cet article sur comment rebondir après une épreuve difficile, il est souvent bénéfique d’adopter une approche collective. Par exemple, dans les jeux vidéo en ligne, un échange avec les amis de l'enfant peut être une méthode efficace pour renforcer les liens et aider à surmonter les moments difficiles.. La clé réside donc dans un dialogue constructif, l'exemplarité et l'offre d'alternatives saines.
Conseils aux parents pour accompagner leurs enfants à mieux gérer les écrans:
Soyez exemplaires et cohérents en limitant votre propre temps d'écran.
Favorisez les moments partagés devant un écran pour encourager les interactions.
Établissez des attentes claires adaptées à l'âge concernant le temps d'écran.
Informez sur la cyberdépendance et ses risques.
Définissez des attentes pour la participation à la vie familiale et l'équilibre avec les écrans.
Soyez clairs, éducatifs et encourageants, sans agressivité.
NF: Il est utile de reconnaître nos propres difficultés. Une enquête récente a révélé que 70 % des adultes sont préoccupés par leur propre utilisation des écrans et que 50 % s'inquiètent pour leurs enfants. Nous sommes tous un peu dépassés par cette situation. Personnellement, j'aimerais réduire mon temps d'écran et privilégier d'autres formes de communication, comme les rencontres directes et pouvoir déléguer la gestion des messages que je reçois à une tierce personne.
Conseils pour les adultes pour mieux gérer les écrans:
Utilisez les écrans de manière proactive pour apprendre ou rechercher des informations.
Limitez la navigation sans but pour éviter le stress.
Désactivez les notifications inutiles.
Définissez des limites de temps, en particulier sur les réseaux sociaux.
Privilégiez des moments sans écran comme les repas en famille.
En réduisant notre dépendance aux écrans, nous ouvrons la porte à d'autres sources de bien-être telle que la nature.
Comment la nature contribue-t-elle à améliorer la santé mentale?
Les conditions pour maximiser les bienfaits de la nature
Vous soulignez que «l’effet de la nature sur la santé dépend du type et des caractéristiques de l’exposition elle-même.» Comment bénéficier des bienfaits de la nature?
FH:Les effets bénéfiques de la nature sont en partie dus à sa diversité. Plus de variété dans la faune et la flore entraîne de meilleurs effets. Bien que l'individu ne puisse pas toujours influencer cette diversité, le sentiment de connexion à la nature est essentiel. Comprendre la complexité du système naturel en observant pourquoi certains arbres poussent à certains endroits procure d'importants bienfaits. Il s'agit de s'immerger, se laisser fasciner et appréhender la nature.
NF: Je conseille à chacun de réfléchir au nombre de contacts qu'il entretient avec la nature et d'organiser son emploi du temps pour maximiser ces moments. Cela peut être aussi simple que choisir de marcher à travers un parc au lieu de prendre la voiture ou les transports en commun.
FH: Les études montrent qu'il faudrait environ 2 heures d'exposition à la nature par semaine pour en tirer des bénéfices significatifs, avec des avantages qui augmentent jusqu'à environ 5 heures par semaine.
Comment avez-vous intégré la nature dans la prise en charge de vos patients?
FH : Je recommande à mes patients d'intégrer la marche dans leur routine quotidienne et de rechercher des endroits arborés. Nous travaillons sur la possibilité de prescrire la nature, comme l'activité physique, à Lyon. Nous avons mis en place des thérapies assistées par la nature avec des séances d'exposition à la nature dans différents parcs de Lyon, travaillant sur l'éducation du regard, des exercices de respiration en plein air et l'écoute de la nature. Nous encourageons également les patients à intégrer des pauses nature dans leur vie quotidienne pour promouvoir cette connexion à la nature.
Les bénéfices de l'exposition précoce à la nature
Selon l'étude de Nancy M. Wells en 2006, qui a inclus plus de 2000 adultes américains, grandir dans des espaces verts et s'immerger dans la nature pendant l'enfance est crucial pour développer des attitudes respectueuses de l'environnement et améliorer la résilience et le bien-être mental.
Cette recherche met en lumière l'importance de l'éducation environnementale dès le plus jeune âge pour renforcer la conscience écologique et la santé mentale
Que conseillez-vous aux adultes qui n’ont pas été exposés à la nature durant leur enfance ?
FH: Même si les bienfaits de la nature sont plus marqués lorsqu'ils sont intégrés dès l'enfance, il est important de se rappeler que notre comportement reste plastique tout au long de notre vie. Pour ceux qui n'ont pas eu cette chance dans leur jeunesse, il n'est jamais trop tard pour s'éduquer à la nature. En tant qu'adultes, nous pouvons toujours apprendre et nous reconnecter à notre environnement naturel.
Tandis que la nature se révèle être une alliée précieuse pour notre équilibre mental, il est temps de nous pencher sur ceux qui veillent sur notre santé mentale au quotidien: les psychiatres. Quels sont les nouveaux horizons et défis auxquels ils font face aujourd'hui?
Quels sont les nouveaux défis pour les psychiatres d’aujourd'hui?
Vers une nouvelle psychiatrie
Vous faites partie des psychiatre «nouvelles générations». Comment accompagner la formation des psychiatres dans cette ouverture aux pratiques complémentaires?
NF: La formation des psychiatres est en constante évolution pour intégrer des pratiques complémentaires et modernes. Par exemple, des journées de formation sont organisées et animées par des personnes ayant surmonté des troubles mentaux, apportant ainsi leur expérience du rétablissement. L'enseignement en psychiatrie s'élargit pour inclure des approches non médicamenteuses, comme l'exposition à la nature pour prévenir les troubles mentaux.
De quels troubles parle-t-on en l’occurrence ?
NF: La santé mentale doit être envisagée comme un continuum allant du bien-être absolu aux troubles sévères, avec plusieurs seuils:
Le premier seuil marque la transition entre le bien-être et un état de mal-être (irritabilité, contrariété et insatisfaction).
Le deuxième seuil sépare le mal-être troubles mentaux courants tels que l'anxiété et la dépression.
Le troisième seuil relie les troubles mentaux courants aux troubles plus sévères.
NF: Toutes les personnes, y compris celles souffrant de troubles mentaux sévères, ont la capacité de se protéger du stress et à aller mieux. Le fait de concevoir les troubles de cette manière a pour avantage de réduire la stigmatisation et de montrer que chacun est en mesure de protéger sa santé mentale.
FH: Je pense que la psychiatrie est en pleine transformation avec un lien croissant entre la santé mentale et la psychiatrie. Nous devons jouer un rôle essentiel en informant et en promouvant la santé mentale pour comprendre comment cultiver le bien-être et prévenir les troubles psychiatriques.
Pour cela, il est nécessaire de repenser la formation des psychiatres pour qu'ils deviennent des leaders de la santé mentale, tout comme les cardiologues le sont pour la santé cardiovasculaire. Cette transformation ne doit pas se limiter aux professionnels de la santé mentale; elle doit toucher toute la société, des écoles aux entreprises.
Le bien-être post-crise
L'expérience collective d'une crise met en avant l'importance des comportements favorisant la résilience, la solidarité et la valorisation des aspects culturels et naturels de la vie.
À l’instar des professeurs Franck et Haesebaert, souhaitons que la société évolue vers une organisation plus solidaire, culturellement riche et écologique, malgré les défis économiques.
À l’échelle individuelle, ils proposent des pistes pour vivre mieux après la crise, telles que la réduction de la consommation d'écrans, la promotion des activités physiques et culturelles, et un regain d'intérêt pour l'écologie. Ils encouragent une approche holistique de la santé, intégrant les dimensions environnementales, animales et humaines.
Leur appel à une prise de conscience collective met en lumière notre responsabilité de reconsidérer notre mode de vie dans son intégralité, offrant ainsi des perspectives plus optimistes pour les générations futures.
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