Ils s’appelaient Thibault, Lindsay et Lucas.
Le premier avait 10 ans, les seconds 13 ans, quand ils se sont suicidés à la suite du harcèlement scolaire qu’ils avaient subi.
Il ne manque pourtant pas de psychologues et enseignants ayant traité le sujet et pensé des programmes de lutte contre le harcèlement scolaire.
En France, sur 12 millions d’élèves, cela signifie que près de 700 000 d’entre eux sont harcelés.
Selon une enquête de victimation publiée par la DEPP en décembre 2017, ont été harcelés :
Trois éléments définissent le harcèlement scolaire:
- L’expression d'une agressivité délétère.
- La pérennité de cette expression.
- Une relation de pouvoir disproportionnée qui induit un sentiment d'impuissance chez la victime.
Ce dernier point signifie que l’enfant harcelé n’a pas uniquement affaire à un individu qui joue des poings, mais à tout un
groupe.
Il est important de le souligner. L’harceleur
isolé n’existe pas. On harcèle toujours en groupe. En meute.
Il peut y avoir des configurations différentes. Cela peut être un jeune charismatique qui a su former sa petite cour de courtisans.
Cela peut être aussi un mélange de harceleurs
actifs et de harceleurs passifs qui se contentent d’être spectateurs et de ricaner. Sans leur concours complice, le harcèlement cesserait immédiatement.
Époque
numérique oblige, on ne peut faire l’impasse sur le cyberharcèlement, qui n’est qu’une autre forme de harcèlement scolaire.
Une forme non moins pernicieuse, tant les
écrans débrident les pulsions:
- Il est plus facile d’agresser une personne que l’on ne voit pas. Ne voyant ni son visage ni sa réaction, l’empathie est nulle, les propos et les gestes beaucoup plus violents.
- Il est plus facile de créer un effet de masse et d’ameuter un plus grand nombre de personnes pour harceler la victime. D’autant plus que plus nous sommes nombreux à harceler une personne, plus notre sentiment de responsabilité s’amoindrit.
Face à ce phénomène, tous les enfants ne réagissent pas de la même façon. Un certain nombre se confie à leurs parents, mais beaucoup restent dans le mutisme.
Comment expliquer ce
silence? Et comment délivrer la parole de son enfant et l’aider face au harcèlement scolaire?
Comment aider son enfant face au harcèlement scolaire?
Reconnaître les signes de harcèlement
Comment expliquer qu’un
enfant ne vienne pas trouver de l’aide auprès de ses parents?
Au-delà de la peur, de la honte et du manque de
confiance en soi qui sont bien présents, Bruno Humbeeck révèle un motif récurrent et particulièrement touchant: l’enfant veut préserver ses parents.
Notamment quand ces derniers sont très aimants, sensibles à
l’éducation positive, et que la moindre tristesse ou colère de leur petit les ébranle. Phénomène dont l’enfant est particulièrement conscient et qui ne fait que décupler ses
émotions.
Imaginons que l’enfant perde un jouet. Il exprime sa
tristesse, les parents deviennent affolés et aussi tristes que lui, ce qui ne fait qu’amplifier son chagrin.
L’importance affective excessive de ces parents provoque donc chez l’enfant une réticence à se confier. Si lui souffre terriblement, il n’ose
imaginer le degré de détresse parentale.
Alors, il choisit de se taire. Il préfère se confier à son animal de compagnie, à sa peluche ou à un camarade de galère qui connait aussi le harcèlement.
Face au silence, il n’est pas toujours évident pour les parents de détecter un quelconque problème. C’est d’autant plus difficile quand les signaux extérieurs de
peur et de mésestime de soi se manifestent de façon assez ténue.
Néanmoins ils existent:
- Les signaux somatiques comme les problèmes de sommeil, la perte d’appétit, les problèmes digestifs, l’incontinence urinaire.
- Puis les signaux émotionnels comme les changements d’humeur, l’agressivité, l’anxiété, la perte de plaisir et l’auto-dévalorisation.
- Les signaux cognitifs comme les oublis fréquents, les troubles du langage ou les idées confuses.
- Enfin les signaux en lien avec la vie scolaire: un mutisme par rapport à sa vie scolaire, un refus d’aller à la cantine, des vêtements abîmés.
Ses signaux repérés et le doute installé, comment amener l’enfant à se confier?
Faire émerger la parole
Faire émerger la parole suppose de laisser venir l’enfant se confier.
Pour qu’il le fasse, il doit se sentir en
sécurité.
Autrement dit, il doit sentir qu’il peut exprimer tout ce qu’il a à dire sur le cœur. Sans craindre de se faire gronder, de voir sa
souffrance relativisée ou ses parents effondrés.
Le parent doit adopter la posture juste. Il n’est ni un mur impressionnant, ni un roseau fragile, mais un roc rassurant et protecteur. Il doit le faire sentir à son enfant, voire le lui dire explicitement. S’il y a un problème, je suis là, je suis prêt à t’écouter et je trouverai des solutions.
La posture juste de l’écoute implique que le
parent laisse l’enfant s’exprimer. Sans jugement sans
coaching de vie. Il doit lui garantir que dorénavant, il va s’occuper de cette affaire et que l’enfant a le droit de venir lui demander tous les jours où il en est.
Le parent a ensuite deux autres missions à tenir: s’occuper de l’affaire et redonner
confiance en soi à son enfant.
Agir auprès de l’école et de son enfant
S’occuper de l’affaire en
question:
- Rédiger sur papier tout ce que l’enfant a vécu avec un maximum de détails (faits, dates, circonstances, témoins et impact du harcèlement sur l’enfant)
- Prendre rendez-vous avec le chef d’établissement pour qu’il règle le problème.
- Si besoin, porter plainte au commissariat. Depuis la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 le harcèlement scolaire constitue un délit.
- Si besoin également, rapprochez-vous d’associations de parents d’élèves pour trouver des conseils et soutiens.
- Si rien n’est réglé dans les 10 jours, relancer le chef d’établissement par courrier en précisant que vous avez envoyé une copie à son supérieur, le Dasen (directeur d’académie des services de l’Éducation nationale). Cela devrait le motiver à agir plus vite.
Donner des outils à son enfant pour qu’il reconstruise sa confiance en soi.
Cette reconstruction passera à la fois par les actes et les
mots:
- Les actes: L’inscrire à une activité qui lui fera du bien. S’il en exerce déjà une, l’inscrire dans un sport de combat ou de défense. Il n’y a rien de plus efficace pour regagner une confiance en soi perdue.
- Les mots: le parent doit faire comprendre à l’enfant que son harcèlement est totalement arbitraire. Il n’est ni bizarre, ni différent des autres. S’il est perçu comme tel (et se perçoit donc également ainsi), c’est parce que sa sécurité et son bien-être sont menacés. Il en perd son naturel et développe des troubles du comportement.
Il est essentiel de retenir qu’il n’y a pas de profil-type de victime. Il suffit d’être au mauvais endroit, au mauvais
moment. N’importe qui peut donc se faire harceler. Ou participer au harcèlement. Dans ce cas, que peut faire un parent?
Que faire quand mon enfant est le harceleur?
Les deux profils de harceleur
Tous les harceleurs ne sont pas du même gabarit.
On distingue deux profils principaux:
- Les suiveurs et passifs se laissant embrigader par le charisme de leur leader ou la pression du groupe.
En leur for intérieur, ils estiment que le harcèlement va souvent trop loin, mais ils n’osent défier le chef et le groupe de peur de devenir à leur tour leur victime.
Ils sont donc soulagés lorsque les adultes interviennent pour mettre fin aux brimades et autres jeux sournois. S’ils écopent
d’une sanction, ils ne s’en plaignent pas. Ils ont retenu la leçon et n’harcèleront plus jamais personne.
- Le second profil est infiniment plus problématique. C’est le harceleur qui n’éprouve ni regrets ni remords. Ses mécanismes d’empathie sont temporairement ou durablement bloqués.
L’enjeu pour le parent est donc de stimuler cette
intelligence émotionnelle afin que les mécanismes se libèrent.
Stimuler l’intelligence émotionnelle
La petite astuce consiste à faire parler l’enfant-harceleur de ses propres émotions pour qu’il prenne
conscience de leur présence. Puis de lui faire évoquer les
émotions ressenties par sa victime.
Généralement, il s’en suit l’expression de regrets et de
culpabilité. Ce qui est un indice encourageant, indiquant le
réveil des mécanismes d’empathie.
Après les paroles suivent les actes. Le harceleur doit envisager des solutions pour corriger son
attitude. La première et plus importante étant, bien sûr, de présenter des
excuses et de faire amende honorable.
C’est un cas rare, mais il est possible que les mécanismes d’empathie restent totalement bloqués. On le reconnait au peu de paroles prononcées par l’enfant. Il se contente de marmonner un «oui», «non», «j’sais pas» ou «j’m’en fous».
Dans ce cas, il n’y a d’autres choix que de faire appel à psychopédagogue.
Naturellement, le harcèlement scolaire n’est pas seulement le problème des parents. Il implique également et directement l’école. C’est en son sein que doivent être résolus ces problèmes.
Pour ce faire, Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier ont conçu la MPP, la Méthode de la Préoccupation
Partagée.
Quelles solutions l’école peut-elle mettre en place?
La méthode de la préoccupation partagée
La MPP est une méthode directement
inspirée des travaux d’Anatol Pikas, psychologue de l’éducation.
Ces trois grands principes sont les suivants:
- Un engagement total de tout l’établissement auprès de l’élève harcelé
- Des entretiens de 3min avec les élèves à recadrer
- Des élèves-ambassadeurs
Un engagement et un soutien inconditionnel envers l’élève harcelé
- Un engagement total du chef de l’établissement et de l’ensemble des acteurs éducatifs pour soutenir l’élève harcelé et ses parents.
L’idée est de créer une relation d’alliance entre les deux parties. Une relation où se trouvent donc la sincérité, un regard positif et l’empathie.
L’enfant doit se sentir sécurisé, écouté et protégé. Il doit être
assuré du soutien sans faille de l’établissement.
Des entretiens courts et ciblés avec les intimidateurs
- Tenir des entretiens de 3min avec les élèves-harceleurs et les élèves-témoins
L’idée est d’écouter les témoins et d’éviter toutes formes de représailles des harceleurs sur leur victime. Et pour ce faire, elle doit rester anonyme. Il est donc hors de question d’organiser un conseil de classe ou un affrontement.
L’entretien avec ces élèves ne doit pas excéder plus de 3min. C’est très court. Le chef d’établissement se contentant d’exprimer son inquiétude au sujet de l’élève harcelé et de demander à l’élève de chercher une solution pour améliorer la situation.
Deux cas de figure sont à envisager:
- Soit l’élève rentre dans le jeu et propose des solutions en s’engageant à les exécuter. L’élève est remercié, l’entretien est terminé. Un autre rendez-vous est fixé pour vérifier que les solutions ont bien été mises en place.
- Soit il nie et se renferme. Dans ce cas, l’entretien se clôt et un nouveau rendez-vous de 3min est pris pour le lendemain. A nouveau, le chef d’établissement exprimera son inquiétude et demandera ce qui peut être fait pour l’élève-cible.
La succession de ces rendez-vous ne doit pas outrepasser le délai de 2 semaines. Au-delà, les élèves harceleurs sont
confrontés aux sanctions et leurs parents sont informés.
La formation d’élèves-ambassadeurs
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Former des élèves-ambassadeurs
Le dernier grand principe de cette Méthode de la Préoccupation Partagée est non seulement de sensibiliser tous les élèves au sujet du harcèlement, mais aussi de les rendre actifs.
Tous les ans, des élèves-ambassadeurs sont formés. Ils apprennent à repérer les signes de harcèlement pour prévenir les adultes, à sensibiliser leurs pairs et à
offrir leur soutien aux victimes.
Ils tiennent un rôle indispensable.
Entre 2014 et 2018, cette méthode a été testée dans tous les établissements scolaires de l’académie de Versailles avec un taux de
réussite de 80%.
Son efficacité a été démontrée. Il ne reste plus qu’à espérer qu’elle convainc les hautes instances de l’Education Nationale de l’appliquer à tous les établissements.
Il est connu qu’en France le besoin de
réinventer l’école est urgent et que nous ne manquons pas d’idées.
Ce qui nous manque, c’est de les voir
incarner au grand jour. Espérons que cela sera le cas pour la MPP.
Source: Bruno Humbeeck, Le harcèlement scolaire, guide pour les parents, Odile Jacob, 2023
Jean-Pierre Bellon & Marie Quartier, Se former en équipe contre le harcèlement scolaire, ESF Sciences humaines, 2023